Archive | février, 2022

Le Vin de l’Adieu

23 Fév

Il arrive qu’un ami nous quitte, comme ça, sans rien dire.

Un copain de bistro nommé Eric, un camarade parisien exilé dans ce Sud profond…

Robe vieil or ou bronze aux multiples reflets joyeux, le verre tournoie et vient égayer la table de travail pour évoquer le souvenir d’un copain.

A portée de l’œil, proche du nez, pas loin de la bouche, le vin de chenin, l’Anjou, l’ange et le vin, l’Angevin, celui qui balise le chemin, le ch’nin du voyage, le vin de l’adieu, celui qui brille et que l’on trinque plus d’une fois, que l’on boit en pensant à ce personnage mystérieux, chaleureux, cet ancien, Eric, fidèle et courageux compagnon du café à la terrasse animée donnant sur la place des Trois Six.

Le Quarts de Chaume presque éternel, celui d’une grande année et d’un domaine angevin qui fut exemplaire, le sublime cru de lumière et de clarté, une de ces bouteilles que l’on n’oubliera pas de si tôt.

Michel Smith

La grande comédie des primeurs

17 Fév

Quel gâchis ! Quelle perte de temps et d’argent !

Les voilà partis de nouveau. Chaque année, c’est la même litanie, le même train qui se met en branle, la même comédie. Depuis trois semaines, ma boîte mails, comme ma boîte aux lettres d’ailleurs, ne cessent de recevoir des invitations pontifiantes sur le thème aussi excité qu’éculé, les primeurs. Un air de déjà-vu, du genre : « Venez, venez ! Vous allez vous régaler, c’est super ! Châteaux chics et bouteilles chocs, occasion unique, buffet de rêve, dîner aux chandelles avec le proprio (mais oui mon pote), gigot haricots, coucher au château, palabres avec la baronne, blablabla… »

Comble de malheur, même les sans grades s’y mettent (voir ci-dessous). Et le phénomène, depuis quelques années, gagne les régions jusque-là épargnées. Mais quand, en France, les appellations viticoles cesseront-elles de se copier les unes aux autres ? Bigre, laissons la folie des primeurs aux classés et occupons nos ardeurs et notre argent – celui des vignerons – à des idées plus novatrices et moins bouffeuses de fric.

Avec mon éternel côté naïf du mec qui n’y connaît rien et ne pige que dal en markétinge, j’ai préparé une réponse toute faite pour mes chères copines attachées de presse qui m’adressent leurs invitations par mail, réponse déjà utilisée l’an dernier. Je vous la livre telle quelle :

«Bonjour. Et merci d’avoir pensé à moi. C’est l’occasion de vous redire que depuis 20 ans, je ne participe plus à la comédie des  primeurs. Je préfère goûter les vins une fois mis en bouteilles, tels qu’ils se présentent au consommateur ».

Primeurs

Je n’ai jamais compris, quand bien même se nommerait-on Parker ou Bettane, comment un nez, aussi affûté soit-il, est en mesure, entre deux petits-fours, de se prononcer sur un vin qui est encore au berceau, même pas encore junior, à peine remis du choc de sa naissance. Je sais, je sais, les doctes nez précités – et les autres que j’ai oublié (mille excuses aux membres du Grand Jury) – sont capables de moult prouesses. Soit, je leur accorde ce don de sniffeurs parmi d’autres. Mais le plus grave dans cette histoire, c’est qu’on leur refile le plus souvent un assemblage bichonné, évidemment concocté à partir des meilleures barriques qui, à mon humble avis, n’est que le reflet bien lustré d’un hypothétique vin futur. Vin qu’il reste à élever, à éduquer, à mettre en bouteilles, à transporter.

Bon, je sais, on va me rétorquer que participer à ces pince-fesses aquitains permet à un journaliste peu fortuné ou débutant, à un acheteur potentiel aussi, de se faire une idée assez précise de l’état du millésime. On va me dire que pour un étranger, la campagne des primeurs est l’occasion rêvée de rencontrer les stars du vignoble. Certes. Mais a-t-on besoin de déplacer tout ce beau monde à grand frais pour constater l’état d’un millésime par ailleurs largement décrit par les pros dès sa naissance, voire même avant ? Quand on a l’infime privilège de goûter un vin le plus souvent associé à un jus boisé plus ou moins envahissant, je ne vois pas comment il est possible, à moins d’être devin, d’hypothéquer sur son devenir. Il peut se passer tant et tant de choses d’ici 2012 dans l’évolution du jeune vin, lequel sera de toute façon mélangé – pardon, assemblé – avec des centaines d’autres barrique d’âges et de bois différents.

De fait, la description d’un vin tasté en primeurs, les prédictions que l’on peut en tirer quant à son évolution, me semblent relever du pur hasard. La plupart des grands Mouton et autres Latour étant réservés aux oligarques de ce monde, ces derniers se sentent-ils vraiment rassurés d’apprendre qu’un Master of Wine recommande chaudement d’investir dans un cru que, de toute façon, ils comptaient bien acheter un jour pour parfaire leurs collections ? Du côté de chez moi, je sais pertinemment qu’un vin de Bizeul ou de Gauby sera hautement recommandé quelque soit le millésime. Si je suis fan de Beaucastel, de Trévallon ou de Pibarnon, je l’achète régulièrement sans recourir aux avis autorisés de ces messieurs et dames en mal d’invitations. Quant à savoir s’il vaut mieux acheter un 5ème GCC plutôt qu’un second ou un premier, il suffit de lire les reportages dans la presse spécialisée pour être au parfum. Au moins, ils présentent l’avantage de se baser sur plusieurs références à la fois, plusieurs dégustations, plusieurs millésimes.

Et comme le souligne justement l’ami Jim dans un de ses posts sur le sujet, entre la lecture d’un commentaire de dégustation «primeurs» et le plaisir de voir son cru chéri entrer en cave, outre le risque sur la qualité évoquée plus haut, on a largement le temps de se faire arnaquer par l’intermédiaire qui a encaissé votre chèque à la commande.

Reste à considérer l’aspect purement marketing de cette comedia dell’arte. Est-ce si utile pour un cru ou pour une association de vignerons de dépenser tant pour si peu en retour ? Certes, la presse du monde entier se déplace, se fait choyer couvert et gîte compris, mais cela améliore-t-il pour autant les chiffres de vente du Bordelais ? Paradoxalement, pendant ce temps, les vins étrangers, eux, progressent, y compris dans la catégorie «premium». Tout cela au détriment des vins français. Mais c’est une autre histoire.

(PS Article paru en 2010 sur le site Les5duVin)

Michel Smith

Picpoul, les raisons d’un succès

17 Fév

Mes amis blogueurs et moi-même avons parfois la dent dure envers le Languedoc viticole. Nous l’aimons bien, trop peut-être, ce qui fait que nous sommes prompts à le critiquer au moindre faux pas. Combien de fois n’ai-je pas décrié l’ambition démesurée de certaines appellations, l’aptitude qu’ont ces mêmes appellations à vouloir se hausser un peu trop du col, la gabegie de certains, la timidité maladive des uns et la médiocrité des autres, l’immobilisme des appellations et, à l’inverse, le trop grand empressement de leurs dirigeants happés dans la politique locale par trop pesante. Parfois, il faut bien l’admettre, je suis allé trop vite en besogne. En cherchant bien, les success stories ne manquent pas en Languedoc. Aussi lorsque ce matin il me vient l’envie de positiver, alors j’en profite. Cela se passe en réalité dimanche soir, sur la terrasse de ce lieu somme toute assez inattendu, au Château Les Carrasses, un castel de conte de fée restauré à grand frais par un Irlandais fortuné, une folie vigneronne transformée en hostellerie de luxe quelque part à proximité du Canal du Midi, grosso modo entre Béziers et Narbonne.

Château Les Carrasses dans les vignes du Languedoc, non loin de Béziers. Photo Michel Smith
Au Château Les Carrasses. Photo©MichelSmith

Ce soir-là, pour quelques privilégiés dont je faisais partie, on exposait une bonne douzaine de flacons estampillés Picpoul de Pinet avec quelques plats d’huîtres du cru, c’est-à-dire en provenance directe de l’étang de Thau, scandaleusement accompagnées de citron et de sauce vinaigrée à l’échalote. Tout en réclamant un poivrier pour réparer cet affront au goût iodé du divin mollusque, je menais d’arrache-pied une épique bataille dans le but illusoire de maintenir les bouteilles à la bonne température vu qu’on nous servait un sorbet de vin. Las de ce combat à la Don Quichotte, je me rapprochais de mon ami Guy Bascou, le président de ce vin récemment admis dans le sacro saint club des crus du Languedoc. Pour m’éviter toute réprimande, je précise que depuis longtemps (1985) l’amateur d’huîtres que je suis pouvait se rincer le gosier avec un Coteaux-du-Languedoc-Picpoul-de-Pinet (ouf !), mais que dès cette année 2013, le 14 Février dernier pour être précis, après une décennie de palabres inaoesques et plusieurs décades de célébrité locale (vdqs depuis 1954) sur les fruits de mer, le territoire caché dans un triangle Pézenas, Agde, Sète, peut désormais se revendiquer aop Picpoul de Pinet à part entière et se targuer par la même occasion d’être, avec 1.400 ha en production (l’aire d’appellation couvre 2.400 ha), la plus grande aop de blanc du Sud de la France, la seule aussi à arborer le nom de son unique cépage, le piquepoul blanc.

Guy Bascou, le président heureux de l'AOP Picpoul de Pinet. Photo: Michel Smith
Guy Bascou. Photo©MichelSmith

Mais pourquoi peut-on parler de succès à propos du Picpoul de Pinet ? D’abord parce que cette appellation y croit depuis longtemps. Aux grands professeurs spécialistes du blanc venus parler à ces culs terreux de vignerons du sud il y a 20 ans en leur disant qu’il serait inimaginable de penser pouvoir faire du blanc en Languedoc-Roussillon, cette appellation prouve le contraire. Non, monsieur dont-je-tairai-le-nom par charité chrétienne, Bordeaux et Bourgogne – on pourrait aussi ajouter la Loire – ne sont pas les seules régions détentrices de terres à blancs !  Ensuite parce que les vignerons des 4 caves coopératives et les 24 caves particulières ont su s’entendre depuis 1994 sur l’utilisation d’une bouteille spécifique nommée « Neptune » réservée au vin blanc sec Picpoul de Pinet et que chaque année plus de 8 millions de cols – beaucoup capsulées vis – circulent à travers le monde. Enfin parce qu’à l’export le Picpoul se porte bien atteignant plus de 40% des ventes avec quelques 600.000 bouteilles vendues aux États-Unis, par exemple.

Bon, certes, les doctes dégustateurs amateurs de Bâtard-Montrachet et autres Sancerre Cul de Beaujeu peuvent dormir paisiblement sur leurs deux oreilles : Picpoul de Pinet ne cherche pas à se mesurer à eux. Il se contente, pour le moment, d’être un super Gros Plant du Sud, assez proche même d’un bon Muscadet. Souvenons-nous cependant qu’il y a 30 ans, seuls quelques illuminés prédisaient un avenir de grand vin dans le Muscadet… Je reste persuadé pour ma part que l’appellation va progresser ces prochaines années et que les duretés ressenties dans quelques vins vont tôt disparaître. Ainsi donc, le Picpoul de Pinet est un agréable vin blanc, sans soucis, pour démarrer un repas, sur une truite fumée ou un hareng pommes à l’huile, par exemple, pour jouer un rôle certain sur les sushis ou pour accompagner des fruits de mer, huîtres et coquillages en particulier, missions où le Picpoul se donne à cœur joie.

Alors, je ne sais si cela sera utile à mes lecteurs, mais j’ai concocté une liste toute personnelle de bons Picpoul de Pinet dans le millésime 2012 : Domaine Félines-Jourdan, les Vignerons de Montagnac « Terres Rouges », L’Ormarine « Préambule », L’Ormarine « Juliette », « Cap Cette » de la cave coopérative de PomérolsBon profit !, comme on dit en Catalogne… et profitez-en bien !

(PS Publié en 2014 sur le site Les5duVin)

Michel Smith

Deux vins faciles, mais joyeux

16 Fév

Je voulais entamer cette mi-février par une note joyeuse afin d’insuffler un minimum d’espoir et d’encourager tous les indigents qui se seraient laissés berner par la stupide couillonnade médiatique qui a déferlé sur nos provinces, et qui, le mois dernier, consistait à vouloir assécher nos gosiers pour nous aider à mieux racheter nos coupables cuites de fin d’année. Chez nous, en Languedoc, c’est vrai que notre janvier a été plus “dry” que “wet” pour la bonne raison que le soleil et le ciel bleu nous ont accompagné presque sans relâche. Cela n’a fait que renforcer ma soif revancharde. Alors, pour mieux punir ces empêcheurs de boire en paix, je leur inflige en plein février ces deux cuvées inspirantes et désaltérantes, à boire sans trop attendre et sans retenue tant elles sont porteuses de bonheur.

Le Tempranillo du Languedoc

Très honnêtement, au début de la dégustation (à l’aveugle, of course), je pensais intuitivement à la vinification carbonique vue par l’esprit d’un artiste vigneron. “Mais c’est un super Beaujolais !” m’écriai-je, tout heureux que j’étais de me retrouver dans le plus parfait style de cette technique qui n’est pas donnée à tout le monde et qui est par ailleurs honteusement méprisée du côté des extrémistes du vin (il y en a !) qui se disent aussi volontiers puristes. Ce n’est que plus tard, en me penchant sur la fiche technique, que j’eus le plaisir de constater que le nul en dégustation que je suis avait, pour une fois, raison… tout en ayant tort, car le vin, précieusement illustré comme toutes les cuvées de la Famille Fabre (mille bravos pour la joliesse des étiquettes et bien le bonjour au passage à ce cher Louis, prince des Corbières !) n’était en rien un Beaujolais sudiste, mais un brave Pays d’Oc. Ce n’était pas un Gamay vinifié en macération carbonique, mais un Tempranillo, cépage espagnol très répandu outre-Pyrénées et qui, sans les années 50/60 s’est glissé timidement entre Corbières et Minervois, ainsi qu’en Biterrois. Une fois ces données assimilées, j’eus la confirmation du plaisir que me procure cette “carbo” lorsqu’elle est menée avec soin, cette sensation d’immédiateté (ne me parlez surtout pas de “buvabilité” !), l’impression de croquer dans le millésime 2020 que l’on commence à voir évoluer en qualité. Aujourd’hui que je l’ai bien en bouche et que je le savoure frais sans réserve (au bout de trois jours de réfrigérateur) sur ma très hivernale potée de queue de bœuf, choux, navets, carottes, etc, il est temps de le raconter : le fruit assurément bien en place, présent et mûr à cœur (cerise, plutôt) se ressent dès les premières gorgées sans qu’on ait besoin de l’implorer; j’y ajoute toutes sortes de notes ensoleillées, une saveur rondouillarde et charmante, une belle pincée de poivre, une touche cacaotée, voire sucrée et une envie folle d’enchanter de nouveau mon gosier lors d’un futur déjeuner sur l’herbe. De ce fait, le vin fut englouti sans qu’il soit besoin de me prier ! 

Photo©MichelSmith

Avec ce Tempranillo du Midi, dont la source se trouve au Domaine Coulon, propriété des Fabre certifiée bio (Ecocert) depuis près de 30 ans, vin vinifié sans soufre de surcroît, nous entrons dans la règle, dans la plus noble définition d’un vin de macération carbonique, celle qui consiste à reproduire le goût de la grappe entière conduite à bonne maturité à la manière d’un Henry Marionnet en Touraine. J’ai pu par ailleurs apprécier un autre cépage espagnol de la famille Fabre, blanc cette fois-ci, l’Alvarinho du Domaine de la Grande Courtade. 8,80 € départ cave, tel est le prix de la joie !

Photo©MichelSmith

Le Cabernet Franc de Loire

Cela faisait un bail que je n’avais pas plongé mon nez et mes lèvres dans un vin de cette société de négoce portant le nom de son fondateur, Donatien Bahuaud, maison fondée en 1929, maison que j’allais visiter il y a 40 ans dans le Pays Nantais et plus précisément dans le Muscadet, histoire de parfaire mon éducation et d’apprécier les vins, ceux du Château de La Cassemichère en particulier, sans omettre ceux de la cuvée “Masters”, série qui consacrait à la fois les compétitions de golf et les meilleurs jus de l’appellation en leur redonnant fruit, corps et matière. Depuis, cette société familiale a été reprise par je ne sais plus qui pour évoluer et se recentrer sur la gamme des appellations ligériennes, à l’instar de ce Saint-Nicolas-de-Bourgueil 2018 qui semble être la seule cuvée estampillée “bio” de la maison. Saisi à bonne température, c’est-à-dire autour de 16/17°, ce rouge soyeux, assez généreux en tannins que j’ai trouvés plutôt aimables, veloutés et poivrés, gorgé d’accents floraux et fruités (violette, mûre…), ce vin quasi gargantuesque, eh bien figurez-vous que je l’ai bu de bon cœur et qu’il m’a fallu me raisonner pour, in fine, planquer la bouteille une fois entamée de moitié et m’éviter ainsi de la vider presque d’un trait.

Assurément, c’est bon signe lorsque le vin se boit volontiers, comme ça, sans hésitation, signe que c’est immédiatement bon et sans reproche, surtout sur un magret de canard bien grillé sur sa peau ou encore sur des travers de porc également bien brunis. Je n’ai pas de fiche technique sur ce Cabernet franc de négoce, mais je parierais volontiers ma chemise de cow boy que la macération carbonique est pour quelque chose dans le plaisir ressenti. Environ 12 €, tel est le prix du plaisir !

Michel Smith