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L’Ermitage, sans le « H », mais avec cire

4 Avr

Parfois, ouvrir une bouteille devient une tâche pénible. Le vigneron – ici, il est aussi négociant – a l’idée de mettre de la cire solide, car il existe une cire « molle » qui se décolle facilement lors de l’ouverture, pour recouvrir le sommet de son (cher) flacon. Ça fait mieux, ça fait sérieux et ça donne un aspect « précieux » à la bouteille. Du moins, c’est ce que le vigneron veut croire. Alors, dans ce cas précis, le tire-bouchon devient marteau (moi aussi du coup !) et, quand vient l’heure fatidique du débouchage, on en fout partout de ces misérables éclats de cire que l’on retrouvera parfois nichés jusque sur une étagère. Comme si cela ne suffisait pas, pour parachever votre irritation, voilà que le bouchon ne sort pas, qu’il s’effrite, qu’il se transforme en poussière de liège dont on trouvera aussi des traces plus tard jusque dans le col de sa propre chemise ! Quand une telle déconfiture vous arrive, il ne vous reste plus qu’à filtrer le vin sans attendre en le passant doucement au travers d’un tamis et d’un entonnoir, afin qu’il s’écoule le plus proprement possible dans une carafe, enfin débarrassé de 99,90 % de son liège.

Enfin, seulement, on peut déguster cet Ermitage 2007 – on peut aussi mettre Hermitage sur l’étiquette – aux accents toastés et boisés. J’aime redécouvrir ces millésimes passés à la trappe. Qui se souvient en effet de cette année sans louanges particulières ? Pour ça, il fallait le conserver en cave, miser sur sa qualité. Ce que j’ai fait. Alors, direz-vous, comment est-il ?

Assez boisé, donc, concentré, presque noir de robe, marqué au nez par des effluves feuillues, viandées, avec touches de laurier, de cuir, un nez qui se complexifie au bout de deux jours d’ouverture au frigo; en bouche, les tannins boisés et fumés sont bien marqués sans être trop rêches et l’on sent derrière une matière riche, une certaine épaisseur, des notes de cassis bien mûr, une légère acidité en finale pour un vin qui se déguste sans problèmes sur des rognons de veau ou un magret de canard grillé sur la peau.

Après tout ça, Michel Chapoutier peut dormir sur ses deux oreilles : heureusement que son vin, est bon !

Oh, là! V’là venir Turenne

28 Mar

Je reviens en séance de rattrapage avec cette bouteille d’un joli flacon du Languedoc gouté ce midi au petit Restaurant La Victoire, une de nos bonnes adresses de Béziers, tout au bas des fameuses Allées qui sont nos Champs Élysées bien à nous.

Photo©MichelSmith

Ce Grès de Montpellier 2017 est l’une des grandes cuvées de l’Abbaye de Valmagne, haut-lieu de notre histoire et de notre viticulture. Il s’agit-là d’un assemblage très Syrah (dont on sent le fruit), mais rehaussé de Grenache (25%) de Mourvèdre (20%) et de 5% de Morrastel. Toute l’originalité de ce vin réside dans cet apport discret de Morrastel qui, se liant à la finesse fruitée de la Syrah et à la chaleur du Grenache, sans oublier le côté un peu strict des tannins du Mourvèdre (absolument pas gênant en l’occurrence), va conférer une sympathique note presque rustique à l’assemblage. Une chose est sûre : le vin se goûte divinement bien en ce moment et il a de quoi tenir encore au moins 2 à 3 ans avec un service de préférence sur une belle volaille rôtie. Lorsque l’on connaît ce lieu incomparable de spiritualité qu’est cet ensemble abbatial cistercien fondé en 1139, on ne peut qu’adhérer.

Environ 16 € départ cave.

Photo©MichelSmith
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Rive droite, After Midnight

1 Avr

Il me semble vous l’avoir déjà avoué : filles, garçons, je compte de nombreux amis dans le vignoble. Normal, puisque, même si cela complique parfois un peu plus mon job de journaliste, j’aime les vignerons. J’envie leur travail quand ils trouvent encore le temps d’être sur leurs terres, je jalouse leur vie qui, bien que compliquée, leur apporte beaucoup de choses, et je me laisse volontiers emporter par l’enthousiasme que communiquent en moi leurs vins.

Le vignoble de Sainte-Foy-la-Grande, non loin de Castillon. Photo©MichelSmith

Le vignoble de Sainte-Foy-la-Grande, non loin de Castillon. Photo©MichelSmith

D’ailleurs, c’est par eux que j’ai découvert le vin. Avant leurs paysages, leurs « terroirs », leurs « crus », avant leurs caves ou leurs vignes, avant de connaître quoi que ce soit sur leur train de vie, leur famille, leur tracteur, leur pressoir, ce sont les vignerons et eux seuls qui m’ont formé au goût du « bon » vin. Au fil des rencontres, par leurs explications, par leurs témoignages, je me suis tissé un réseau aussi amical que solide dans le vignoble, que ce soit en Alsace ou dans le Bordelais, ou ailleurs, une série de points de chute où il fait bon se poser ne serait-ce que pour humer l’air du temps. Ainsi vous comprenez pourquoi, si jamais certains d’entre vous se posaient la question, je préfère m’inviter à passer une journée chez eux plutôt que de m’imposer le temps d’un éclair ce qui est, hélas, le lot commun de bien des critiques qui se disent tout connaître et qui vont à la découverte d’une appellation en une demi-journée. Et je sais de quoi je parle…

François et Nicolas Thienpont. Photo©MichelSmith

François et Nicolas Thienpont. Photo©MichelSmith

Donc, passé Sainte-Foy-la-Grande, j’étais l’autre jour vers Castillon-la-Bataille, aux marges de la Dordogne et sur les premières marches de la côte de Saint-Émilion, que Vincent Pousson, moqueur et persifleur, a tôt fait de rebaptiser Saint-et-Million tant il est vrai que son classement à la noix ne repose sur rien d’autres que  le pognon. C’est une région que j’ai fréquentée un peu à une époque où, déjà, je commençais à me lasser du bling bling saint-émilionais et bordelais. Ainsi donc, alors que je m’apprêtais à passer une mémorable soirée en un lieu que l’on m’a interdit de citer, je songeais à ces amis vignerons que j’ai dans le coin. Je revoyais des visages, en particulier ceux de deux mondes souvent opposés pourrait-on dire : l’ironie grinçante et poétique d’un François des Ligneris ; la faconde truculente d’un Régis Moro, du Vieux Château Champ de Mars, dont les vins brillent de plus en plus depuis qu’il s’installe dans la biodynamie ;  la frêle mais décidée Dany Rolland, œnologue conseil avec son ex-époux Michel dont j’ai chroniqué le dernier livre il y a plusieurs mois ici même et dont j’aimerais bien un jour goûter la cuisine, ne serait-ce que pour mettre les points sur les « i » sur une certaine façon de faire le vin « à la bordelaise » ; l’approche « tannique » de Christine Derenoncourt, autre « femme de » qui conduit avec assurance et détermination le Domaine de l’A, en Castillon, pendant que son mari, Stéphane, sillonne le monde pour prêcher la bonne parole du vin ; les frères ThienpontFrançois et Nicolas précisément qui, allures de gentlemen farmers, drôles de mélanges belgo-bordelais, tout en surveillant les propriétés familiales des Côtes de Francs, toujours sur la même côte, me rappellent toute une époque où l’on n’avait pas besoin de salamalecs pour découvrir le Libournais en leurs compagnies, je pense à des crus remarquables tels Vieux Château Certan et Le Pin (Pomerol) dirigés par un autre membre de la famille, Alexandre, fils d’un fameux Léon, ou Château Pavie-Macquin (Saint-Émilion), quelques unes des perles gérées ou cogérées par Nicolas, sans oublier le « petit » négoce de Bordeaux dirigé par François ; j’oublie encore certain noms amis, mais vous allez me reprocher de faire dans le « name dropping »…

Tout cela pour en venir à un vin goûté lors de cette trop courte escapade du côté de Castillon-la-Bataille, un vin assez unique, un rouge bordelais servi en magnum comme tous les autres vins de la soirée, mais un rouge qui, hormis un Barolo de Voerzio et un Douro  de Nieport m’est arrivé sur table sur le coup de deux heures du matin, horaire où j’étais tout juste apte à prendre quelques photos et complètement incapable de noter quoi que ce soit. À mes côtés, j’avais un ami de Facebook en la personne de Daniel Sériot dont il m’arrive de suivre le blog. En compagnie d’Isabelle son épouse, Daniel semblait approuver poliment mes paroles. Au stade où j’en étais, je ne faisais probablement que dire à la cantonade quelque chose de stupide comme « Putain, il est super ce vin » sans prendre pour autant l’accent de Cantona !

Photo©MichelSmith

Le vin d’après minuit Photo©MichelSmith

De mes vagues souvenirs encore embués, il ressort que ce Montagne Saint-Émilion 2005 au nom de Château Beauséjour (ni Duffau-Lagarosse, ni Bécot…) avait un équilibre tel qu’il arrivait à me charmer en cette heure pourtant avancée de la nuit. En plus de me charmer, j’ose dire qu’il me rafraîchissait. Et même qu’il me réveillait l’esprit, qu’il me mettait en appétit, bref, qu’il me fascinait. Aucun cinéma, pas d’entourloupe, pas de maquillage, pas d’ outrance, rien que la justesse, un soupçon de retenue aussi, mais point trop, il y avait dans ce vin une sorte de don de soi qui m’allait au plus profond. Faut-il en arriver là pour être en mesure de décréter qu’un vin est noble, grand, ou tout ce que vous voulez ? Je veux dire, faut-il le déguster bien après minuit ?

Certainement pas, bien sûr. Les vieilles vignes de ce domaine à forte proportion cabernet franc sont à n’en pas douter responsables de l’épaisseur ressentie dans ce premier millésime marquant le renouveau de Beauséjour. Mais ce qui est sûr, c’est que la prochaine fois que je navigue à contre courant du mascaret le long de la Dordogne je ferais un crochet pour rencontrer l’auteur de ce vin, un sage connu sous le nom de Pierre Bernault.

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Que déduire de tout ce charabia ? Que l’on déguste pas si mal après minuit... 

Michel Smith

(article publié en juillet 2013 sur le site les5duVin)

Le Vin de l’Adieu

23 Fév

Il arrive qu’un ami nous quitte, comme ça, sans rien dire.

Un copain de bistro nommé Eric, un camarade parisien exilé dans ce Sud profond…

Robe vieil or ou bronze aux multiples reflets joyeux, le verre tournoie et vient égayer la table de travail pour évoquer le souvenir d’un copain.

A portée de l’œil, proche du nez, pas loin de la bouche, le vin de chenin, l’Anjou, l’ange et le vin, l’Angevin, celui qui balise le chemin, le ch’nin du voyage, le vin de l’adieu, celui qui brille et que l’on trinque plus d’une fois, que l’on boit en pensant à ce personnage mystérieux, chaleureux, cet ancien, Eric, fidèle et courageux compagnon du café à la terrasse animée donnant sur la place des Trois Six.

Le Quarts de Chaume presque éternel, celui d’une grande année et d’un domaine angevin qui fut exemplaire, le sublime cru de lumière et de clarté, une de ces bouteilles que l’on n’oubliera pas de si tôt.

Michel Smith

Deux vins faciles, mais joyeux

16 Fév

Je voulais entamer cette mi-février par une note joyeuse afin d’insuffler un minimum d’espoir et d’encourager tous les indigents qui se seraient laissés berner par la stupide couillonnade médiatique qui a déferlé sur nos provinces, et qui, le mois dernier, consistait à vouloir assécher nos gosiers pour nous aider à mieux racheter nos coupables cuites de fin d’année. Chez nous, en Languedoc, c’est vrai que notre janvier a été plus “dry” que “wet” pour la bonne raison que le soleil et le ciel bleu nous ont accompagné presque sans relâche. Cela n’a fait que renforcer ma soif revancharde. Alors, pour mieux punir ces empêcheurs de boire en paix, je leur inflige en plein février ces deux cuvées inspirantes et désaltérantes, à boire sans trop attendre et sans retenue tant elles sont porteuses de bonheur.

Le Tempranillo du Languedoc

Très honnêtement, au début de la dégustation (à l’aveugle, of course), je pensais intuitivement à la vinification carbonique vue par l’esprit d’un artiste vigneron. “Mais c’est un super Beaujolais !” m’écriai-je, tout heureux que j’étais de me retrouver dans le plus parfait style de cette technique qui n’est pas donnée à tout le monde et qui est par ailleurs honteusement méprisée du côté des extrémistes du vin (il y en a !) qui se disent aussi volontiers puristes. Ce n’est que plus tard, en me penchant sur la fiche technique, que j’eus le plaisir de constater que le nul en dégustation que je suis avait, pour une fois, raison… tout en ayant tort, car le vin, précieusement illustré comme toutes les cuvées de la Famille Fabre (mille bravos pour la joliesse des étiquettes et bien le bonjour au passage à ce cher Louis, prince des Corbières !) n’était en rien un Beaujolais sudiste, mais un brave Pays d’Oc. Ce n’était pas un Gamay vinifié en macération carbonique, mais un Tempranillo, cépage espagnol très répandu outre-Pyrénées et qui, sans les années 50/60 s’est glissé timidement entre Corbières et Minervois, ainsi qu’en Biterrois. Une fois ces données assimilées, j’eus la confirmation du plaisir que me procure cette “carbo” lorsqu’elle est menée avec soin, cette sensation d’immédiateté (ne me parlez surtout pas de “buvabilité” !), l’impression de croquer dans le millésime 2020 que l’on commence à voir évoluer en qualité. Aujourd’hui que je l’ai bien en bouche et que je le savoure frais sans réserve (au bout de trois jours de réfrigérateur) sur ma très hivernale potée de queue de bœuf, choux, navets, carottes, etc, il est temps de le raconter : le fruit assurément bien en place, présent et mûr à cœur (cerise, plutôt) se ressent dès les premières gorgées sans qu’on ait besoin de l’implorer; j’y ajoute toutes sortes de notes ensoleillées, une saveur rondouillarde et charmante, une belle pincée de poivre, une touche cacaotée, voire sucrée et une envie folle d’enchanter de nouveau mon gosier lors d’un futur déjeuner sur l’herbe. De ce fait, le vin fut englouti sans qu’il soit besoin de me prier ! 

Photo©MichelSmith

Avec ce Tempranillo du Midi, dont la source se trouve au Domaine Coulon, propriété des Fabre certifiée bio (Ecocert) depuis près de 30 ans, vin vinifié sans soufre de surcroît, nous entrons dans la règle, dans la plus noble définition d’un vin de macération carbonique, celle qui consiste à reproduire le goût de la grappe entière conduite à bonne maturité à la manière d’un Henry Marionnet en Touraine. J’ai pu par ailleurs apprécier un autre cépage espagnol de la famille Fabre, blanc cette fois-ci, l’Alvarinho du Domaine de la Grande Courtade. 8,80 € départ cave, tel est le prix de la joie !

Photo©MichelSmith

Le Cabernet Franc de Loire

Cela faisait un bail que je n’avais pas plongé mon nez et mes lèvres dans un vin de cette société de négoce portant le nom de son fondateur, Donatien Bahuaud, maison fondée en 1929, maison que j’allais visiter il y a 40 ans dans le Pays Nantais et plus précisément dans le Muscadet, histoire de parfaire mon éducation et d’apprécier les vins, ceux du Château de La Cassemichère en particulier, sans omettre ceux de la cuvée “Masters”, série qui consacrait à la fois les compétitions de golf et les meilleurs jus de l’appellation en leur redonnant fruit, corps et matière. Depuis, cette société familiale a été reprise par je ne sais plus qui pour évoluer et se recentrer sur la gamme des appellations ligériennes, à l’instar de ce Saint-Nicolas-de-Bourgueil 2018 qui semble être la seule cuvée estampillée “bio” de la maison. Saisi à bonne température, c’est-à-dire autour de 16/17°, ce rouge soyeux, assez généreux en tannins que j’ai trouvés plutôt aimables, veloutés et poivrés, gorgé d’accents floraux et fruités (violette, mûre…), ce vin quasi gargantuesque, eh bien figurez-vous que je l’ai bu de bon cœur et qu’il m’a fallu me raisonner pour, in fine, planquer la bouteille une fois entamée de moitié et m’éviter ainsi de la vider presque d’un trait.

Assurément, c’est bon signe lorsque le vin se boit volontiers, comme ça, sans hésitation, signe que c’est immédiatement bon et sans reproche, surtout sur un magret de canard bien grillé sur sa peau ou encore sur des travers de porc également bien brunis. Je n’ai pas de fiche technique sur ce Cabernet franc de négoce, mais je parierais volontiers ma chemise de cow boy que la macération carbonique est pour quelque chose dans le plaisir ressenti. Environ 12 €, tel est le prix du plaisir !

Michel Smith

Champagne Sentimental

29 Avr

Pour commencer, peut-être allez-vous trouver ma chronique désuète, voire un brin farfelue. Ce ne sera pas la première fois. Tout d’abord, je vous dois une explication. Avril est pour moi l’occasion de célébrer tous les béliers qui me côtoient : en premier lieu, un de mes fils, Victor, ma maman, Françoise, qui n’est plus de ce monde mais qui me reste proche, quelques autres encore… dont ma pomme. Cela me donne plus d’une excuse pour faire sauter le bouchon. Ce qui fut fait l’autre jour, encouragé, je dois le dire, par l’envoûtant touché pianistique de Tommy Flanagan sur La Jazz, une des formidables radios thématiques (je vous recommande aussi La Baroque) que nous offre notre redevance sur le site de France Musique.

Et voilà qu’en levant mon verre (non, je n’utilise plus de flûte) je me laisse vite emporter par le constat que l’on a tous en nous un champagne de cœur, un champagne de prédilection, un champagne d’amour. Dans une cuvée spéciale ou non, que l’on soit à jeun ou au bord de la sieste digestive, en état normal ou en plein spleen, dans sa baignoire ou devant son clavier comme moi ce soir, peu importe, car ce vin qui nous est cher devient l’espace d’un instant dans mon imaginaire un vrai sentimental champagne. Au même titre que ces Trois petites notes de musique valsées bien mieux que ne le fait Montand par Juliette Gréco (sur une musique de Georges Delerue), qu’un poème de Beaudelaire si joliment récité par Serge Reggiani ou qu’un déjeuner toscan bien arrosé à L’Osteria Le Logge, le calme gourmet à deux pas de l’animation du Campo de Siena.

©MichelSmith

Curiosité journalistique aidant, une fois le goût bien avancé et bien ancré, reconnaissons-le, on a tous un champagne de prédilection, un champagne avec un “C” majuscule, une marque, une maison, un récoltant-manipulant pour ne pas dire un. vigneron, un style, une époque, un genre, une référence, un champagne-perso, un champagne sur lequel on se damnerait lorsque l’on désespère de la vie ou, au contraire, celui que l’on bénirait si l’on se sentais comblé par elle. Allez, je vous accorde deux ou trois noms, pas plus. Chez moi, en bon « septantenaire », il y a plus d’une maison, plus d’une référence au sein de la grande famille Champagne : Drappier, BollingerVeuve ClicquotCharles Heidsieck… Le champagne étant devenu cher, seuls quelques-uns que je compte sur les doigts de deux mains, reposent en ma cave sachant que, par principe, je ne les boirai, quelque soit leur type, qu’une fois passé trois à cinq années de repos après leur mise en bouteilles. 

Revenons donc à ce sentiment, à cette sensation sentimentale. S’il fallait en citer un qui me ravit par dessus tout pour sa régularité, son style toujours-là, fidèle entre tous les fidèles, c’est bien le Brut Classic de Deutz lequel mérite pleinement son image de classicisme que l’on associe facilement à la danse, la peinture ou la musique. Cet attachement serait-il dû à la courtoisie, à la gentillesse si particulière, au nom si « vieille France » et à la force de persuasion de l’ancien responsable de la communication de la maison Deutzle dénommé Arnaud Bro de Comères ? Pour ma part, cela ne fait aucun doute. Arnaud, c’est à toi que je pense en écrivant ces lignes. C’est bien dans les caves et les salons de la vénérable maison Deutz à Aÿ, dûment chaperonné par toi, que j’ai appris ce que je sais aujourd’hui du vin de la Champagne : la science subtile des assemblages, le rôle important du chef de cave, le vieillissement, la finition d’une cuvée… C’est en y allant régulièrement, en goûtant avec le plus d’attention et de sérieux que de possible que j’ai découvert la justesse du vin rehaussé de ses bulles, celle de la noble cuvée William Deutz en particulier, en plus de l’importance capitale que l’on affecte à la régularité d’une cuvée dite « de base » ou plus justement d’un « brut sans année« . Ce type de cuvée, en effet, se doit de refléter à elle seule l’esprit, le style, la régularité, l’image d’une maison ou d’un domaine et il me semble que cette démarche n’est plus tout à fait de mise depuis que le champagne se banalise en fréquentant sans retenue les rayons bulles des grandes surfaces.

©MichelSmith

Aujourd’hui donc, je viens d’ouvrir une bouteille de mon champagne « marqueur », celui que j’appelle mon champagne. Le Brut Classic de Deutz me transporte à nouveau dans un voyage champenois aussi lumineux que nostalgique, une transportation émaillée de parfums de cuisine, celle de Gérard Boyer à Reims surtout, de vignes en fleurs entre Verzenay et Bouzy, de caves-cathédrales fraîches et profondes, des pauses cigares au fond d’un parc un verre aux accents de pinot noir à portée de main. Je revois ces gens passionnés qui vous content leur métier force bouteilles à l’appui. A petites doses, le vin se remémore en moi. Il revit, il me revient, les senteurs s’amplifiant dans le verre. Comme ce jour d’avril où les bulles sautillent, si fines et délicates. La bouche est d’une précision et d’une intensité rassurantes :  fraîcheur persistante en appui, structure bien affirmée, acidité juste, fruits blancs mûrs tout en vinosité, de petits fruits des bois aussi qui traduisent avec justesse la dominante pinot noir dans l’assemblage avec le chardonnay, plus que bonne tenue en bouche, voilà que Deutz me confirme à nouveau son style épuré, son classicisme revendiqué. Voilà que ce brut-sans-année (bsa pour les pros) assure avec brio sa mission de direction d’orchestre tant et si bien qu’en dehors d’être un simple champagne d’ouverture, un bon blanc de mise en bouche si vous préférez, il se pose en parfait vin de repas, en compagnon digne et sérieux de ma printanière pintade en pot au feu. Bref, le Classic de Deutz m’a fait une fois de plus le coup du Sentimental Champagne me laissant In a Sentimental Mood sur l’air du Duke en compagnie de John Coltrane, un titre devenu un des grands classiques du jazz… et maintenant du Champagne.

Michel Smith

Les 5 du Vin

Pour commencer, peut-être allez-vous trouver ma chronique désuète, voire un brin farfelue. Ce ne sera pas la première fois. Tout d’abord, je vous dois une explication. Avril est pour moi l’occasion de célébrer tous les béliers qui me côtoient : en premier lieu, un de mes fils, Victor, ma maman, Françoise, qui n’est plus de ce monde mais qui me reste proche, quelques autres encore… dont ma pomme. Cela me donne plus d’une excuse pour faire sauter le bouchon. Ce qui fut fait l’autre jour, encouragé, je dois le dire, par l’envoûtant touché pianistique de Tommy Flanagan sur La Jazz, une des formidables radios thématiques (je vous recommande aussi La Baroque) que nous offre notre redevance sur le site de France Musique.

Et voilà qu’en levant mon verre (non, je n’utilise plus de flûte) je me laisse vite emporter par le constat que l’on a tous…

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Rancio, patience et langue de « cha »

18 Juin

Pourquoi ne pas faire ici l’éloge de la Patience ?

L’autre jour, je me suis transporté sans me presser chez moi, au plus profond du trou du cul de la France, là où il ne fait tout de même pas si mal vivre puisque le monde entier y accourt. Là, aux pieds du Canigou, à quelques pas du Centre du Monde, nous avons une spécialité en matière de vins que de nombreuses régions nous envient. Une spécialité qui exige une sacrée dose de patience. Bon peuple, sois rassuré, car je ne vais pas t’asséner un énième cours sur les Côtes du Roussillon Villages (ou pas Villages), ni sur les Vins de Pays des Côtes Catalanes dont les plus excitants sont très carignanisés. Non, ce ne sont pas les braves muscats qu’ils soient de Rivesaltes, de Printemps ou de Noël qui ont retenu aujourd’hui l’attention de mes délicates papilles. Ce n’est pas non plus mon beau Banyuls, encore moins mon Maury chéri, chéri… (au fait, qui se souvient dAlice Sapritch et de son « chéri, chéri » ?) que je redécouvre pour vous en ce jour printanier.

Le vin dont je vais causer a le plus souvent l’appellation un peu vieillotte et un brin ringarde de Rivesaltes tout court. Vous savez bien, le style de vin de la mémé qui dit à sa copine après une séance de sieste suivie de papotages et de ragots : « vous prendrez bien deux doigts de vin doux ? » tout en sortant du placard la boîte (en métal) qui renferme les boudoirs et les  langues-de-chat. Ah les langues-de-chat de ma mémé ! Et les plus anciens de se souvenir du chanteur bellâtre, vantant les mérites de ce vin et de son beau pays dans une pub façon Séguéla – l’enfant du pays devenu défenseur de la Rolex et non du Solex – sur l’air entraînant de « Je vais te chanter la ballade, la ballade des gens heureux »… Toute une époque !

En ce temps-là, dans les années 60, les «marketeurs» n’avaient d’yeux que pour les apéritifs de marque (Vabé, Bartissol, Byrrh… mais il y en avait d’autres) qui rapportaient alors un fric fou. Ces marques, que nos grand-mères (et pépés) confondaient souvent avec du vin cuit, se sont éteintes un beau jour, sauf peut-être quelques-unes qui sont encore présentes en GD. Accompagnant ce déclin, le public a oublié que, sous le nom Rivesaltes, il pouvait coexister plusieurs types de vins : grenat, tuilé, ambré, hors d’âge, etc. Parmi ceux-là, il en est un qui, à mon humble avis, est promis à un grand et long avenir, c’est le style rancio. Attention, ce terme, ou plutôt ce qualificatif, peut avoir au moins deux sens : rancio sec et rancio doux. Il peut aussi offrir une palette de robes entre tuilées et ambrées. Bien que cette distinction ne figure même pas dans le décret (à moins de l’avoir mal consulté ou mal interprété…), c’est le premier style, le rancio sec, qui à mon avis a le plus de noblesse et le plus de chances de séduire le palais des amateurs de vins originaux. Du moins, c’est celui qui ne souffre pas la moindre médiocrité, le moindre relâchement, la moindre marque d’impatience…

#Vendredi du Vin # 63 : Le mariage de patience entre Rancio sec et langue de Cha

Pour quelle raison a-t-il l’heur de me plaire ? Tout simplement parce qu’il se rapproche d’un mode d’élevage antique, très influencé me semble-t-il par l’Espagne si proche (mais n’étant pas Catalan, je me garderai de me prononcer avec certitude, vous le comprendrez…), et surtout un style qui réclame le plus d’abnégation puisque, en partant d’un rendement déjà faible, il faut accepter les longs séjours en vieux foudres dans une pièce sans chauffage ni climatisation, périodes au cours duquel le vin sue littéralement et s’évapore dans l’air sous forme de part des anges, phénomène encore en vogue chez les meilleurs producteurs de Cognac et d’Armagnac pour ne retenir que ces exemples-là. De cet élevage dans le temps, sur plusieurs années, plusieurs décennies parfois, le vin acquiert en même temps qu’il se concentre un goût aussi inimitable qu’il est indéfinissable. Un fort goût que, dans le pire des cas, l’on qualifiera de «goût de terroir» ce qui ne veut absolument rien dire. Car, pour moi, ce rancio a le goût même de la patience.

#Vendredi du Vin # 63 : Le mariage de patience entre Rancio sec et langue de Cha

C’est que le rancio est rancio, voilà tout. Et dans le mot rancio, il y a rance. D’où ce goût de noix verte, souvent ponctué, selon les sols, les cépages, les variations thermiques et les foudres d’élevages, de raisin de Corinthe, d’abricot sec, de bigarade, d’épices, de pierre à fusil, de café torréfié, de feuilles de tabac en fermentation, d’ananas confit, de fumée, de résine grillée, que sais-je encore. Bu frais, mais non glacé, servi à petites doses, le rancio sec est un régal à l’apéritif, sur du jambon Jabugo, par exemple, du chorizo, ou sur des amandes grillées, des olives, des anchois, etc. Il est fait pour les calmes, les sages, les philosophes. Précaution à prendre, il convient surtout d’en limiter sa consommation afin de laisser un peu de place – et de chance – aux vins qui vont suivre à table. Cette remarque, selon moi, vaut pour toutes les circonstances. Car c’est aussi un vin que je goûte volontiers sur les fromages, vieux brebis, cantal, comté, beaufort, et en général tous ces fromages que l’on peut accompagner d’une marmelade d’orange amère. Le rancio sec, c’est un peu comme le tango corse (clin d’œil à Fernandel), un de ces délicieux vins « conditionnés » qui incitent à la méditation – seul dans un transat, les yeux mi-clos, un cigare à portée de main – ou à la contemplation d’un paysage, d’un tableau, d’un film et pourquoi pas à l’écoute d’une grande musique baroque (Haendel, Bach, Lully…), d’opéra ou de jazz.

Mais je l’ai expérimenté récemment sur un mariage plus qu’inattendu, en fin d’après-midi, quand venait l’heure des douceurs. Tout cela m’est venu d’une amie journaliste, Brigitte, aujourd’hui partie pour un long et mystérieux voyage dans le ciel. Sur sa page Facebook, la dame avait présenté un jour la photo d’un drôle de rectangle d’un joli vert pâle, un vert plutôt pistache. Il s’agissait d’une nouvelle spécialité japonaise baptisée «Cha No Ka», une langue-de-chat au thé vert Okoicha (Matcha) de Kyoto, le nec plus ultra, paraît-il, des thés verts épais. Cette délicate douceur qui ressemble à une œuvre d’art contemporain comporte une mince épaisseur de chocolat blanc, comme prise en sandwich entre deux fines couches de langue-de-chat au thé vert. Suprême raffinement, délicate attention, chaque biscuit est emballé dans un sachet sous vide.

#Vendredi du Vin # 63 : Le mariage de patience entre Rancio sec et langue de Cha

Je ne suis pas fan des citations à tout va, mais là, je me régale tant avec ce mariage inattendu que j’ai ressorti celle d’Oscar Wilde«Le seul moyen de  se délivrer de la tentation, c’est d’y céder».
Voilà qui est fait. Mais dans la patience, cela va de soi.

Michel Smith

PS. Article revu et corrigé paru en 2014 sur le blog Pourlevin de l’époque… sur Skyrock !