Archive | Vins musicaux RSS feed for this section

Pas de Mahler sans Clairette !

4 Avr

Vienne,1952. Bruno Walter dirige le Philharmonique de la capitale autrichienne. Il est accompagné de la contralto Kathleen Ferrier dans le fameux Chant de la Terre de Gustav Mahler qui fut l’ami du chef d’orchestre. Un « disque de légende », comme on dit. Un disque que je ne me lasse pas d’écouter. Et très souvent, je ne sais pourquoi ni comment, lors de mes retours de marché, il m’inspire au plus haut point et me plonge dans la préparation d’un plat spontané, sans suivre de recettes particulière et sans chichis, du type de plat qui va suivre. Sans oublier l’accompagnement.

La dernière fois, ce fut lors de mon retour d’un voyage au Maroc. J’avais soif de vin, de pureté salivante, de délice terrien. Cette soif ajoutée à la musique mahlerienne m’inspirèrent un risotto. J’ai une folle envie de vous le raconter, mon risotto. Mais avant toute affaire en cuisine, une descente en cave s’impose. Là, au bout d’une exploration rapide, je tombais pile au « rayon Rhône » sur trois bouteilles d’un vin IGP Méditerranée « Les Anthénors » de l’ami Jean-luc Colombo, un blanc issu de ses vignes de Clairette plantées quelque part au large de Carry-le-Rouet, plus précisément sur la commune de Sausset-les-Pins, à quelques lieues de Marseille, son port d’attache familial. J’examinai ce beau flacon à la forme légèrement évasée, l’étiquette ornée de trois cyprès – Jean-Luc ne fait jamais les choses à moitié -, pour découvrir le millésime. C’était un 2018 que j’avais volontairement oublié. J’ai toujours entendu, venant de la part de je ne sais quels doctes savants de la vigne et du vin, que la Clairette, par je ne sais quel manque d’acidité, ne saurait « vieillir » au-delà de deux ou trois ans. Sachant que ce cépage ancien était responsable à mes yeux de la finesse et de la profondeur de beaucoup de vins de Châteauneuf-du-Pape et de la méconnue appellation Clairette du Languedoc (goûtez celle du Château La Croix Chaptal, de par chez moi, dans l’Hérault) -, ce genre d’affirmation venant aussi de quelques remarques recueillies au fil des ans auprès de vignerons sudistes, me donna l’idée de conserver quelques exemplaires de ce cépage, comme ça, par curiosité, par esprit de contradiction certainement, enfin bref, juste pour voir. Certes six ans d’âge, ce n’est pas très vieux, mais enfin il faut faire avec ce que l’on a. Résultat, le flacon se retrouva illico au frigo pour dégustation. En un premier verre, le vin que j’avais apprécié dans sa jeunesse, n’avait guère me dire. Mais au bout de l’après-midi dans le verre, à l’air libre, il se décida à me parler, avé l’accent : fenouil des sentiers, garrigues, fleurs de thym, résine, salinité, pêche de vigne, j’étais bien en Provence, à la fois chez Giono, Pagnol et Guédiguian, en plein « Chant de la Terre ». Prenant en compte les origines italiennes, piémontaises je crois, de la famille Colombo, je gardais l’idée première d’un risotto.

Pour moi, faire un risotto, c’est un peu comme un jeu, une sorte de dépaysement, une évasion. Cette fois-ci, spontanément, je voulais donner au plat une connotation végétale et printanière inspiré que j’étais par ce que j’avais rapporté du marché, petits pois, oignons tendres, de l’aillé, ainsi qu’une botte d’asperges vertes.

A partir de là, le reste est simplissime : un peu d’huile de pépin de raisin au creux de la poêle pour faire frémir à feu vif les oignons, leurs tiges vertes et l’aillé émincés, deux ou trois belles louches de riso arborio, on touille bien jusqu’à faire briller et brunir légèrement l’ensemble, puis on y ajoute une louche de bouillon de légumes (ou de volailles), des tiges tendres d’asperges (garder la partie la plus dure des tiges pour un bouillon) taillées en fines rondelles; on touille encore et encore et, de nouveau, une louche de bouillon; lorsque le tout se met à bien saisir, on verse un demi verre du vin blanc de Clairette, quelques lamelles de parmesan pour obtenir un aspect quelque peu crémeux, puis une lichette de vin rancio pour parfumer, puis on touille et re-touille avec la spatule en bois avant de finir la cuisson avec une louche supplémentaire de bouillon, deux ou trois si nécessaire. L’opération prend une vingtaine de minutes et requiert une présence permanente au cours de laquelle on n’hésite pas à trifouiller la surface du plat à coups de tranchant de spatule dans un sens puis dans l’autre, à tourner et retourner le riz et, lorsque la cuisson avance bien, on goûte le grain jusqu’à ce qu’il soit croquant mais aussi fondant; ajouter sel et poivre selon son goût (perso, j’y met une mini cuillère à café de curcuma en poudre), on baisse le feu vers la fin de cuisson, on ajoute deux belles noix de beurre, un peu de thym frais et (ou) fines herbes grossièrement hachés, une louche de petits pois et les pointes d’asperges vertes mises préalablement en réserve lors de la préparation. Lorsque que le riz est à point, on saupoudre éventuellement selon goût un peu de Parmigiano Reggiano râpé (15 mois d’affinage au moins), on coupe le feu et on couvre le plat pour bien infuser les parfums avant de servir au besoin réchauffé une ou deux minutes à feu vif. Il m’arrive de rajouter le parmesan râpé au moment du service quitte à faire hurler les spécialistes.

Qu’il soit légumier, à base de crevettes ou de coquillages, aux truffes ou aux cèpes, à la moelle ou aux viandes blanches (lapin, pintade, poulet…), la rondeur, la suavité de la Clairette servie pas trop glacée se marie bien avec le risotto. La puissance retenue, la persistance en bouche du vin, sans oublier la profondeur, tout cela ressortira encore mieux si l’on tente de transvaser la veille le vin en une carafe ventrue. Après cela, on peut s’offrir une belle sieste en compagnie de la Première de Mahler, ou la Quatrième ou la Sixième, peu importe. Pour ma part, j’ai pu constater que s’il reste une lichette de Clairette en finale, ce n’est pas plus mal pour apaiser l’esprit !

Pour plus de Chant de la Terre, rendez-vous ICI !

Rive droite, After Midnight

1 Avr

Il me semble vous l’avoir déjà avoué : filles, garçons, je compte de nombreux amis dans le vignoble. Normal, puisque, même si cela complique parfois un peu plus mon job de journaliste, j’aime les vignerons. J’envie leur travail quand ils trouvent encore le temps d’être sur leurs terres, je jalouse leur vie qui, bien que compliquée, leur apporte beaucoup de choses, et je me laisse volontiers emporter par l’enthousiasme que communiquent en moi leurs vins.

Le vignoble de Sainte-Foy-la-Grande, non loin de Castillon. Photo©MichelSmith

Le vignoble de Sainte-Foy-la-Grande, non loin de Castillon. Photo©MichelSmith

D’ailleurs, c’est par eux que j’ai découvert le vin. Avant leurs paysages, leurs « terroirs », leurs « crus », avant leurs caves ou leurs vignes, avant de connaître quoi que ce soit sur leur train de vie, leur famille, leur tracteur, leur pressoir, ce sont les vignerons et eux seuls qui m’ont formé au goût du « bon » vin. Au fil des rencontres, par leurs explications, par leurs témoignages, je me suis tissé un réseau aussi amical que solide dans le vignoble, que ce soit en Alsace ou dans le Bordelais, ou ailleurs, une série de points de chute où il fait bon se poser ne serait-ce que pour humer l’air du temps. Ainsi vous comprenez pourquoi, si jamais certains d’entre vous se posaient la question, je préfère m’inviter à passer une journée chez eux plutôt que de m’imposer le temps d’un éclair ce qui est, hélas, le lot commun de bien des critiques qui se disent tout connaître et qui vont à la découverte d’une appellation en une demi-journée. Et je sais de quoi je parle…

François et Nicolas Thienpont. Photo©MichelSmith

François et Nicolas Thienpont. Photo©MichelSmith

Donc, passé Sainte-Foy-la-Grande, j’étais l’autre jour vers Castillon-la-Bataille, aux marges de la Dordogne et sur les premières marches de la côte de Saint-Émilion, que Vincent Pousson, moqueur et persifleur, a tôt fait de rebaptiser Saint-et-Million tant il est vrai que son classement à la noix ne repose sur rien d’autres que  le pognon. C’est une région que j’ai fréquentée un peu à une époque où, déjà, je commençais à me lasser du bling bling saint-émilionais et bordelais. Ainsi donc, alors que je m’apprêtais à passer une mémorable soirée en un lieu que l’on m’a interdit de citer, je songeais à ces amis vignerons que j’ai dans le coin. Je revoyais des visages, en particulier ceux de deux mondes souvent opposés pourrait-on dire : l’ironie grinçante et poétique d’un François des Ligneris ; la faconde truculente d’un Régis Moro, du Vieux Château Champ de Mars, dont les vins brillent de plus en plus depuis qu’il s’installe dans la biodynamie ;  la frêle mais décidée Dany Rolland, œnologue conseil avec son ex-époux Michel dont j’ai chroniqué le dernier livre il y a plusieurs mois ici même et dont j’aimerais bien un jour goûter la cuisine, ne serait-ce que pour mettre les points sur les « i » sur une certaine façon de faire le vin « à la bordelaise » ; l’approche « tannique » de Christine Derenoncourt, autre « femme de » qui conduit avec assurance et détermination le Domaine de l’A, en Castillon, pendant que son mari, Stéphane, sillonne le monde pour prêcher la bonne parole du vin ; les frères ThienpontFrançois et Nicolas précisément qui, allures de gentlemen farmers, drôles de mélanges belgo-bordelais, tout en surveillant les propriétés familiales des Côtes de Francs, toujours sur la même côte, me rappellent toute une époque où l’on n’avait pas besoin de salamalecs pour découvrir le Libournais en leurs compagnies, je pense à des crus remarquables tels Vieux Château Certan et Le Pin (Pomerol) dirigés par un autre membre de la famille, Alexandre, fils d’un fameux Léon, ou Château Pavie-Macquin (Saint-Émilion), quelques unes des perles gérées ou cogérées par Nicolas, sans oublier le « petit » négoce de Bordeaux dirigé par François ; j’oublie encore certain noms amis, mais vous allez me reprocher de faire dans le « name dropping »…

Tout cela pour en venir à un vin goûté lors de cette trop courte escapade du côté de Castillon-la-Bataille, un vin assez unique, un rouge bordelais servi en magnum comme tous les autres vins de la soirée, mais un rouge qui, hormis un Barolo de Voerzio et un Douro  de Nieport m’est arrivé sur table sur le coup de deux heures du matin, horaire où j’étais tout juste apte à prendre quelques photos et complètement incapable de noter quoi que ce soit. À mes côtés, j’avais un ami de Facebook en la personne de Daniel Sériot dont il m’arrive de suivre le blog. En compagnie d’Isabelle son épouse, Daniel semblait approuver poliment mes paroles. Au stade où j’en étais, je ne faisais probablement que dire à la cantonade quelque chose de stupide comme « Putain, il est super ce vin » sans prendre pour autant l’accent de Cantona !

Photo©MichelSmith

Le vin d’après minuit Photo©MichelSmith

De mes vagues souvenirs encore embués, il ressort que ce Montagne Saint-Émilion 2005 au nom de Château Beauséjour (ni Duffau-Lagarosse, ni Bécot…) avait un équilibre tel qu’il arrivait à me charmer en cette heure pourtant avancée de la nuit. En plus de me charmer, j’ose dire qu’il me rafraîchissait. Et même qu’il me réveillait l’esprit, qu’il me mettait en appétit, bref, qu’il me fascinait. Aucun cinéma, pas d’entourloupe, pas de maquillage, pas d’ outrance, rien que la justesse, un soupçon de retenue aussi, mais point trop, il y avait dans ce vin une sorte de don de soi qui m’allait au plus profond. Faut-il en arriver là pour être en mesure de décréter qu’un vin est noble, grand, ou tout ce que vous voulez ? Je veux dire, faut-il le déguster bien après minuit ?

Certainement pas, bien sûr. Les vieilles vignes de ce domaine à forte proportion cabernet franc sont à n’en pas douter responsables de l’épaisseur ressentie dans ce premier millésime marquant le renouveau de Beauséjour. Mais ce qui est sûr, c’est que la prochaine fois que je navigue à contre courant du mascaret le long de la Dordogne je ferais un crochet pour rencontrer l’auteur de ce vin, un sage connu sous le nom de Pierre Bernault.

laporte05

Que déduire de tout ce charabia ? Que l’on déguste pas si mal après minuit... 

Michel Smith

(article publié en juillet 2013 sur le site les5duVin)

Bruckner et le mystère enfoui de la Jarana

16 Sep

Dans le genre vin et musique ou musique et vins, on ne fait guère mieux ! Cette fois-ci, il y a le même souffle, la même respiration, le mouvement identique, la symphonique ressemblante, la communion ; majesté, paix, silence, puis dramaturgie musclée, magnificence, puissance, que sais-je encore…, dans l’émouvante interprétation de la symphonie n°7 d’Anton Bruckner par un Herbert von Karajan vieillissant mais vaillant, romantique, un dernier souffle de vie associé à la précision légendaire du Wiener Philharmoniker, “un disque de légende” comme on aime le claironner sur France Musique où je l’ai entendu pour la toute première fois, disque que j’ai pu récupérer chez mon pote YouTube afin de vous le faire partager en toute bonté de ma part, car ma bonté, elle aussi est légendaire, et elle n’a pas de limites !

Parce qu’il y a un mystère tout aussi dissimulé, mystère difficilement perceptible dans le vin blond et presque rond que je laisse fondre en bouche avant d’affronter mon déjeuner, une demi-heure de réflexion, c’est mon temps de méditation – il s’agit d’une cuvée Jarana de la maison Emilio Lustau à Jerez-de-la-Frontera – offrant au palais une progression que je qualifierai de “dramatique”, un vin “difficile” tellement qu’il est facile de passer à côté, de le voir sans y prêter attention, sans y déceler ce qu’il a à cacher. Et pourtant, j’aime ces vins émotifs, cette manière qu’ils ont de nous calmer, de nous faire adopter une lente respiration, encore une fois un mouvement en retenue, mais si joliment rythmée, respiration allègre perceptible uniquement les yeux clos, dans la discrétion, tant elle est faite d’élégance et de subtilités infimes entrecoupées de vastes paysages, espaces tantôt langoureux puis devenant subitement majestueux – je sais, je me répète – s’étirant en plein éveil, guettant la pleine lumière, celle de la création, celle de l’Andalousie (pourquoi pas puisque c’est le royaume de ce vin) qui s’accorde sans que l’on ait besoin de prier en ce précieux moment alors que résonne cette sublime « numéro sept » du cher Anton. Des choses que je ne ressens que chez lui ? Évidemment, non puisqu’il y a en réserve bien d’autres musiques planantes et dansantes même en allant flâner quelques fois vers le jazz et ses compositeurs de génie ; j’y reviendrai un jour en examinant d’autres vins aussi inspirants que celui-ci, ce Jerez (xérès chez certains sommeliers) Fino qui, au passage, me laisse encore en bouche cette saveur particulière comme une étrange salinité liée au cuir et à la sueur, un sucré-salé-amer, goût bizarre, me direz-vous, mais une saveur qui colle avec ces grands espaces, paysages arides et montagneux que l’on rencontre dans certains westerns bien filmés, du Technicolor certes, mais bien édulcoré, grâce à une étrange palette brumeuse, un peu comme ces montagnes douces, pourtant sévères, de nos Corbières ou des Cévennes.

Et comme s’il fallait en rajouter, je vous propose de communiquer un peu plus en sirotant quelques lampées de cette mystérieuse Jarana jusqu’à plus soif, tandis que vous laisserez voyager en vous le vin pour en apprécier chaque mouvement, chaque note, chaque instant le plus calmement et le plus longuement possible. Profitez-en, le vin n’est pas ruineux, du moins là où je l’achète. Je n’ai pas à ce jour meilleur exercice à vous proposer !

Alors, bien sûr, il y a Brahms, Ravel, Dvorák, Strauss, Debussy, Haydn, Beethoven et les autres… Tenez, j’ai aussi retenu pour vous cette merveilleuse symphonie numéro neuf de mon bien-aimé Gustav (Mahler) avec le même Karajan et son équipage dynamique du Berliner Philharmoniker. C’est beau et suave comme un Tokaji de Hongrie, ou comme un Danube bleu, bien bleu, sage et argenté comme la Loire vers Les Rosiers, entre Saumur et Angers quand on la descend, ou bucolique comme les rives de la Gartempe en Charente, comme un verre de Condrieu bu à Condrieu au bord du Rhône, ou encore tendre comme un coucher de soleil sur les Carpates, ou bien alors romantique comme une promenade nocturne dans un Venise désert un soir de pleine lune ! Amusez-vous donc à les marier ces rythmes avec les jus des treilles les jours de solitudes (oui, j’ai plusieurs solitudes !) lorsque vous ne savez guère que faire. Laissez votre “vague à l’âme” voguer au fil de votre rêverie, laissez-le vous guider sans opposer de résistance. Vous verrez, c’est un sacré bon moment à passer.

Michel Smith