Vienne,1952. Bruno Walter dirige le Philharmonique de la capitale autrichienne. Il est accompagné de la contralto Kathleen Ferrier dans le fameux Chant de la Terre de Gustav Mahler qui fut l’ami du chef d’orchestre. Un « disque de légende », comme on dit. Un disque que je ne me lasse pas d’écouter. Et très souvent, je ne sais pourquoi ni comment, lors de mes retours de marché, il m’inspire au plus haut point et me plonge dans la préparation d’un plat spontané, sans suivre de recettes particulière et sans chichis, du type de plat qui va suivre. Sans oublier l’accompagnement.
La dernière fois, ce fut lors de mon retour d’un voyage au Maroc. J’avais soif de vin, de pureté salivante, de délice terrien. Cette soif ajoutée à la musique mahlerienne m’inspirèrent un risotto. J’ai une folle envie de vous le raconter, mon risotto. Mais avant toute affaire en cuisine, une descente en cave s’impose. Là, au bout d’une exploration rapide, je tombais pile au « rayon Rhône » sur trois bouteilles d’un vin IGP Méditerranée « Les Anthénors » de l’ami Jean-luc Colombo, un blanc issu de ses vignes de Clairette plantées quelque part au large de Carry-le-Rouet, plus précisément sur la commune de Sausset-les-Pins, à quelques lieues de Marseille, son port d’attache familial. J’examinai ce beau flacon à la forme légèrement évasée, l’étiquette ornée de trois cyprès – Jean-Luc ne fait jamais les choses à moitié -, pour découvrir le millésime. C’était un 2018 que j’avais volontairement oublié. J’ai toujours entendu, venant de la part de je ne sais quels doctes savants de la vigne et du vin, que la Clairette, par je ne sais quel manque d’acidité, ne saurait « vieillir » au-delà de deux ou trois ans. Sachant que ce cépage ancien était responsable à mes yeux de la finesse et de la profondeur de beaucoup de vins de Châteauneuf-du-Pape et de la méconnue appellation Clairette du Languedoc (goûtez celle du Château La Croix Chaptal, de par chez moi, dans l’Hérault) -, ce genre d’affirmation venant aussi de quelques remarques recueillies au fil des ans auprès de vignerons sudistes, me donna l’idée de conserver quelques exemplaires de ce cépage, comme ça, par curiosité, par esprit de contradiction certainement, enfin bref, juste pour voir. Certes six ans d’âge, ce n’est pas très vieux, mais enfin il faut faire avec ce que l’on a. Résultat, le flacon se retrouva illico au frigo pour dégustation. En un premier verre, le vin que j’avais apprécié dans sa jeunesse, n’avait guère me dire. Mais au bout de l’après-midi dans le verre, à l’air libre, il se décida à me parler, avé l’accent : fenouil des sentiers, garrigues, fleurs de thym, résine, salinité, pêche de vigne, j’étais bien en Provence, à la fois chez Giono, Pagnol et Guédiguian, en plein « Chant de la Terre ». Prenant en compte les origines italiennes, piémontaises je crois, de la famille Colombo, je gardais l’idée première d’un risotto.
Pour moi, faire un risotto, c’est un peu comme un jeu, une sorte de dépaysement, une évasion. Cette fois-ci, spontanément, je voulais donner au plat une connotation végétale et printanière inspiré que j’étais par ce que j’avais rapporté du marché, petits pois, oignons tendres, de l’aillé, ainsi qu’une botte d’asperges vertes.
A partir de là, le reste est simplissime : un peu d’huile de pépin de raisin au creux de la poêle pour faire frémir à feu vif les oignons, leurs tiges vertes et l’aillé émincés, deux ou trois belles louches de riso arborio, on touille bien jusqu’à faire briller et brunir légèrement l’ensemble, puis on y ajoute une louche de bouillon de légumes (ou de volailles), des tiges tendres d’asperges (garder la partie la plus dure des tiges pour un bouillon) taillées en fines rondelles; on touille encore et encore et, de nouveau, une louche de bouillon; lorsque le tout se met à bien saisir, on verse un demi verre du vin blanc de Clairette, quelques lamelles de parmesan pour obtenir un aspect quelque peu crémeux, puis une lichette de vin rancio pour parfumer, puis on touille et re-touille avec la spatule en bois avant de finir la cuisson avec une louche supplémentaire de bouillon, deux ou trois si nécessaire. L’opération prend une vingtaine de minutes et requiert une présence permanente au cours de laquelle on n’hésite pas à trifouiller la surface du plat à coups de tranchant de spatule dans un sens puis dans l’autre, à tourner et retourner le riz et, lorsque la cuisson avance bien, on goûte le grain jusqu’à ce qu’il soit croquant mais aussi fondant; ajouter sel et poivre selon son goût (perso, j’y met une mini cuillère à café de curcuma en poudre), on baisse le feu vers la fin de cuisson, on ajoute deux belles noix de beurre, un peu de thym frais et (ou) fines herbes grossièrement hachés, une louche de petits pois et les pointes d’asperges vertes mises préalablement en réserve lors de la préparation. Lorsque que le riz est à point, on saupoudre éventuellement selon goût un peu de Parmigiano Reggiano râpé (15 mois d’affinage au moins), on coupe le feu et on couvre le plat pour bien infuser les parfums avant de servir au besoin réchauffé une ou deux minutes à feu vif. Il m’arrive de rajouter le parmesan râpé au moment du service quitte à faire hurler les spécialistes.
Qu’il soit légumier, à base de crevettes ou de coquillages, aux truffes ou aux cèpes, à la moelle ou aux viandes blanches (lapin, pintade, poulet…), la rondeur, la suavité de la Clairette servie pas trop glacée se marie bien avec le risotto. La puissance retenue, la persistance en bouche du vin, sans oublier la profondeur, tout cela ressortira encore mieux si l’on tente de transvaser la veille le vin en une carafe ventrue. Après cela, on peut s’offrir une belle sieste en compagnie de la Première de Mahler, ou la Quatrième ou la Sixième, peu importe. Pour ma part, j’ai pu constater que s’il reste une lichette de Clairette en finale, ce n’est pas plus mal pour apaiser l’esprit !
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