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L’Ermitage, sans le « H », mais avec cire

4 Avr

Parfois, ouvrir une bouteille devient une tâche pénible. Le vigneron – ici, il est aussi négociant – a l’idée de mettre de la cire solide, car il existe une cire « molle » qui se décolle facilement lors de l’ouverture, pour recouvrir le sommet de son (cher) flacon. Ça fait mieux, ça fait sérieux et ça donne un aspect « précieux » à la bouteille. Du moins, c’est ce que le vigneron veut croire. Alors, dans ce cas précis, le tire-bouchon devient marteau (moi aussi du coup !) et, quand vient l’heure fatidique du débouchage, on en fout partout de ces misérables éclats de cire que l’on retrouvera parfois nichés jusque sur une étagère. Comme si cela ne suffisait pas, pour parachever votre irritation, voilà que le bouchon ne sort pas, qu’il s’effrite, qu’il se transforme en poussière de liège dont on trouvera aussi des traces plus tard jusque dans le col de sa propre chemise ! Quand une telle déconfiture vous arrive, il ne vous reste plus qu’à filtrer le vin sans attendre en le passant doucement au travers d’un tamis et d’un entonnoir, afin qu’il s’écoule le plus proprement possible dans une carafe, enfin débarrassé de 99,90 % de son liège.

Enfin, seulement, on peut déguster cet Ermitage 2007 – on peut aussi mettre Hermitage sur l’étiquette – aux accents toastés et boisés. J’aime redécouvrir ces millésimes passés à la trappe. Qui se souvient en effet de cette année sans louanges particulières ? Pour ça, il fallait le conserver en cave, miser sur sa qualité. Ce que j’ai fait. Alors, direz-vous, comment est-il ?

Assez boisé, donc, concentré, presque noir de robe, marqué au nez par des effluves feuillues, viandées, avec touches de laurier, de cuir, un nez qui se complexifie au bout de deux jours d’ouverture au frigo; en bouche, les tannins boisés et fumés sont bien marqués sans être trop rêches et l’on sent derrière une matière riche, une certaine épaisseur, des notes de cassis bien mûr, une légère acidité en finale pour un vin qui se déguste sans problèmes sur des rognons de veau ou un magret de canard grillé sur la peau.

Après tout ça, Michel Chapoutier peut dormir sur ses deux oreilles : heureusement que son vin, est bon !

Le Biz nouveau est arrivé !

28 Mar

Chaque année, en période de vendanges, il me revient en tête. Comme la Chansonnette de Montand ou comme un boomerang que l’on aurait lancé avec précision au cours de l’endormissement hivernal de la vigne pour le recevoir entre les mains (ou entre les dents) au moment crucial des vendanges. Pas de doute, il énerve, il agace, il jalouse, il irrite les pores de la peau, et pourtant, l’homme du vin, c’est bien lui, le dénommé Hervé Bizeul. Oh, il ne se revendique pas comme tel, il ne proclame pas non plus qu’il l’est, mais il insiste surtout avec justesse, me semble-t-il, sur la nécessaire vision que l’on se doit d’avoir lorsque l’on parle du vin : celle d’un rapport intime entre l’homme, la plante et la nature. 

Le travail de la vigne est saisonnier et il serait stupide de croire – à l’instar de bien des protagonistes vineux – qu’il suffit de planter la vigne dans un trou pour en récolter ensuite tous les bienfaits et les bénéfices sonnants et trébuchants. Alors, j’en reviens à Hervé Bizeul, le type même de celui qui apprend en cinq minutes, l’encyclopédiste, le curieux de tout, le frangin qui cuisine comme un chef et qui séduit les nanas à coups de fourchette et de cuisson longue, le gars qui énerve quoi, au point d’en rajouter des lignes et des lignes sur un blog à nul autre pareil où il apparait en ouverture avec une fleur des champs entre les dents.

Tout ce qu’il raconte dans ce blog indiscipliné est intéressant, tout ce qu’il décrit force l’intelligence, il fascine autant les vignerons culs terreux qu’il interpelle aussi ceux de la finance qui mettent leurs billes dans une terre starisée. On y suit les vicissitudes d’un homme des villes devenu rat des champs, explorateur infatigable de cailloux, de bosses rocheuses, de plans inclinés, chercheur sans diplômes en sciences viticoles, astrales, florales et tutti quanti, animateur-formateur d’équipes de femmes et hommes dont le principal est d’aimer le travail et de faire naître le plaisir qui en découle, même en rechignant les jours de pluie ou en grelottant face à la tramontane. Tout ce qu’il écrit, souvent avec beauté et drôlerie, tout ce dont il rêve et dont il reçoit l’émotion, un livre, une chanson, un poème, tout ce qu’il apporte, même lorsque le ton devient franchement technique, tout cela me touche, m’interpelle comme on disait il y a 50 ans, me frappe le cerveau et me laisse songeur quant au dur labeur de la vigne et du fruit béni que l’on attend d’elle.

Comme l’an dernier, ses billets au jour le jour de la vendange me sont devenus lectures indispensables. Alors faîtes comme moi, abonnez-vous au Biz Nouveau et suivez le temps des vendanges pas à pas, filez droit sur le site d’Hervé Bizeul et de son Clos des Fées !

Michel Smith

Salon Millésime Bio 2015 : mes trophées de l’année.

3 Avr

Les organisateurs du petit salon sympa de jadis, devenu en quelques années la vitrine géante de la bio mondiale ont eu l’idée – à moitié heureuse à mes yeux – d’organiser une sorte de « prix spécial de la presse »; une super récompense des médias, à partir des médaillés vins bio de l’année, ceux du Challenge Millésime Bio. J’ai bien essayé de participer en commençant par les rouges, le premier jour, mais j’ai vite déchanté, car les vins n’étant pas cachés d’une robe, ce qui me paraît essentiel dans le cadre de l’attribution d’un prix, j’étais bien entendu tenté, tordu comme je suis, d’attribuer mes coups de cœur aux flacons de mes potes vignerons en priorité, si possible ceux amoureux des cépages autochtones, CinsaultCarignanTerretGrenache et consorts. J’aurais pu m’en tenir au Sud-Ouest ou au Bordelais, à la Savoie, l’Autriche ou l’Afrique du Sud, mais là aussi, je me sentais piégé car, depuis le temps que je viens au salon, je commence à en connaître un rayon et à avoir une flopée de favoris.

Alors, pour me venger en souriant de ces déconvenues, n’ayant pas encore reçu les résultats de ce super concours à l’heure où je rends ma copie, c’est à dire cette nuit, j’ai décidé d’attribuer mes propres trophées, en fonction de plusieurs catégories un peu loufoques afin de faire un maximum de buzz et un maximum d’heureux. Si vous souhaitez en ajouter d’autres, libre à vous! Par honnêteté, je précise que, sur un plan purement déontologique, à mon avis, un vrai journaliste ne devrait jamais avoir à attribuer de prix. Mais voilà, vous me connaissez et je n’en suis pas à une contradiction près.

Photos©MichelSmith
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1 – Le prix du plus beau Crachoir du salon est remis à l’Alsacien Mathieu Boesch (Domaine Léon Boesch) pour son magnifique crachoir en grès de sel typique de Betschdorf !

Photo©MichelSmith
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2 – Le prix du Fino le plus Fou va à la Gélatine de Fino des Bodegas Robles à Montilla, spécialité que les cuisiniers du royaume s’arrachent déjà !

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3 – Le prix du Couple Vigneron qui a résisté plus de 40 ans à toutes les tempêtes va à Monique et Michel Louison qui, après s’être battus à Faugères font revivre un magnifique terroir à leur dimension, le Domaine de La Martine, dans le Haute Vallée de l’Aude, près de Limoux, où le Cabernet franc donne un incomparable rosé encore plus dense que celui déjà repéré l’an dernier.

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4 – Le prix du plus Beau Design pour un « bag in box » est attribué à ce dessin de Mika et ce joli slogan aperçu au stand de Biotiful Wines. J’en profite pour ajouter que Nadine Franjus-Adenis qui commente souvent sur ce blog est à l’origine d’un nouveau concours vineux dédié à ce genre de contenants.

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5 – Le prix des plus Jolies Bulles revient tout naturellement à l’équipe du Château de La Liquière qui, non contente de vinifier des Carignans hors pairs concocte depuis 3 ans un délicieux breuvage moitié Grenache, moitié Mourvèdre, élaboré dans une cave de Gaillac pour une sacrée méthode ancestrale baptisée « L’unique Gaz de Schiste » qui vaut son pesant de douceur et de vivacité !

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Jim, trying to eat ! Photo©MichelSmith

6 – Le prix de la plus Belle Moustache 2015 était pour moi le plus facile à attribuer, le plus évident : il va à notre Jim Budd qui n’a pas cessé durant trois jours de gambader dans les rues de Montpellier et les travées de Millésime Bio.

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7 – Le prix de la Déclaration d’Amour va tout droit à John Bojanowski du Clos du Gravillas qui a choisi de composer un tendre message à l’attention de son épouse Nicole, en guise de numéro de lot tatoué sur le col de ses bouteilles.

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Place de la Comédie, Montpellier by night. Photo©MichelSmith

8 – Le prix de la plus Belle des Soirées va, comme d’habitude, aux jeunes vignerons du Beaujolais venus dans une belle brasserie proche de la Place de la Comédie avec force magnum et vieilles bouteilles afin de prouver que le Beaujolais a du cœur !

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9 – Le prix des « Estrangers » les plus Accueillants est attribué aux quatre vignerons de Vinibio menés par le conquérant et francophile Jao Roseira, de la Quinta do Infantado, monté de son Douro natal pour tenter de faire connaître les Vinho VerdeLisboa et autres appellations du Portugal.

Photo©MichelSmith
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10 – Le prix de l’Optimisme Catalan a été décerné à Bruno Ribière et à Frédérique Barriol-Montès qui ont su résister face au « Roussillon bashing » infligé par notre consoeur Rosemary George dans le dernier numéro de Decanter.

 Michel Smith

(Article initialement publié le 29 Janvier 2015 sur le site Les5duVin)

La grande comédie des primeurs

17 Fév

Quel gâchis ! Quelle perte de temps et d’argent !

Les voilà partis de nouveau. Chaque année, c’est la même litanie, le même train qui se met en branle, la même comédie. Depuis trois semaines, ma boîte mails, comme ma boîte aux lettres d’ailleurs, ne cessent de recevoir des invitations pontifiantes sur le thème aussi excité qu’éculé, les primeurs. Un air de déjà-vu, du genre : « Venez, venez ! Vous allez vous régaler, c’est super ! Châteaux chics et bouteilles chocs, occasion unique, buffet de rêve, dîner aux chandelles avec le proprio (mais oui mon pote), gigot haricots, coucher au château, palabres avec la baronne, blablabla… »

Comble de malheur, même les sans grades s’y mettent (voir ci-dessous). Et le phénomène, depuis quelques années, gagne les régions jusque-là épargnées. Mais quand, en France, les appellations viticoles cesseront-elles de se copier les unes aux autres ? Bigre, laissons la folie des primeurs aux classés et occupons nos ardeurs et notre argent – celui des vignerons – à des idées plus novatrices et moins bouffeuses de fric.

Avec mon éternel côté naïf du mec qui n’y connaît rien et ne pige que dal en markétinge, j’ai préparé une réponse toute faite pour mes chères copines attachées de presse qui m’adressent leurs invitations par mail, réponse déjà utilisée l’an dernier. Je vous la livre telle quelle :

«Bonjour. Et merci d’avoir pensé à moi. C’est l’occasion de vous redire que depuis 20 ans, je ne participe plus à la comédie des  primeurs. Je préfère goûter les vins une fois mis en bouteilles, tels qu’ils se présentent au consommateur ».

Primeurs

Je n’ai jamais compris, quand bien même se nommerait-on Parker ou Bettane, comment un nez, aussi affûté soit-il, est en mesure, entre deux petits-fours, de se prononcer sur un vin qui est encore au berceau, même pas encore junior, à peine remis du choc de sa naissance. Je sais, je sais, les doctes nez précités – et les autres que j’ai oublié (mille excuses aux membres du Grand Jury) – sont capables de moult prouesses. Soit, je leur accorde ce don de sniffeurs parmi d’autres. Mais le plus grave dans cette histoire, c’est qu’on leur refile le plus souvent un assemblage bichonné, évidemment concocté à partir des meilleures barriques qui, à mon humble avis, n’est que le reflet bien lustré d’un hypothétique vin futur. Vin qu’il reste à élever, à éduquer, à mettre en bouteilles, à transporter.

Bon, je sais, on va me rétorquer que participer à ces pince-fesses aquitains permet à un journaliste peu fortuné ou débutant, à un acheteur potentiel aussi, de se faire une idée assez précise de l’état du millésime. On va me dire que pour un étranger, la campagne des primeurs est l’occasion rêvée de rencontrer les stars du vignoble. Certes. Mais a-t-on besoin de déplacer tout ce beau monde à grand frais pour constater l’état d’un millésime par ailleurs largement décrit par les pros dès sa naissance, voire même avant ? Quand on a l’infime privilège de goûter un vin le plus souvent associé à un jus boisé plus ou moins envahissant, je ne vois pas comment il est possible, à moins d’être devin, d’hypothéquer sur son devenir. Il peut se passer tant et tant de choses d’ici 2012 dans l’évolution du jeune vin, lequel sera de toute façon mélangé – pardon, assemblé – avec des centaines d’autres barrique d’âges et de bois différents.

De fait, la description d’un vin tasté en primeurs, les prédictions que l’on peut en tirer quant à son évolution, me semblent relever du pur hasard. La plupart des grands Mouton et autres Latour étant réservés aux oligarques de ce monde, ces derniers se sentent-ils vraiment rassurés d’apprendre qu’un Master of Wine recommande chaudement d’investir dans un cru que, de toute façon, ils comptaient bien acheter un jour pour parfaire leurs collections ? Du côté de chez moi, je sais pertinemment qu’un vin de Bizeul ou de Gauby sera hautement recommandé quelque soit le millésime. Si je suis fan de Beaucastel, de Trévallon ou de Pibarnon, je l’achète régulièrement sans recourir aux avis autorisés de ces messieurs et dames en mal d’invitations. Quant à savoir s’il vaut mieux acheter un 5ème GCC plutôt qu’un second ou un premier, il suffit de lire les reportages dans la presse spécialisée pour être au parfum. Au moins, ils présentent l’avantage de se baser sur plusieurs références à la fois, plusieurs dégustations, plusieurs millésimes.

Et comme le souligne justement l’ami Jim dans un de ses posts sur le sujet, entre la lecture d’un commentaire de dégustation «primeurs» et le plaisir de voir son cru chéri entrer en cave, outre le risque sur la qualité évoquée plus haut, on a largement le temps de se faire arnaquer par l’intermédiaire qui a encaissé votre chèque à la commande.

Reste à considérer l’aspect purement marketing de cette comedia dell’arte. Est-ce si utile pour un cru ou pour une association de vignerons de dépenser tant pour si peu en retour ? Certes, la presse du monde entier se déplace, se fait choyer couvert et gîte compris, mais cela améliore-t-il pour autant les chiffres de vente du Bordelais ? Paradoxalement, pendant ce temps, les vins étrangers, eux, progressent, y compris dans la catégorie «premium». Tout cela au détriment des vins français. Mais c’est une autre histoire.

(PS Article paru en 2010 sur le site Les5duVin)

Michel Smith

Picpoul, les raisons d’un succès

17 Fév

Mes amis blogueurs et moi-même avons parfois la dent dure envers le Languedoc viticole. Nous l’aimons bien, trop peut-être, ce qui fait que nous sommes prompts à le critiquer au moindre faux pas. Combien de fois n’ai-je pas décrié l’ambition démesurée de certaines appellations, l’aptitude qu’ont ces mêmes appellations à vouloir se hausser un peu trop du col, la gabegie de certains, la timidité maladive des uns et la médiocrité des autres, l’immobilisme des appellations et, à l’inverse, le trop grand empressement de leurs dirigeants happés dans la politique locale par trop pesante. Parfois, il faut bien l’admettre, je suis allé trop vite en besogne. En cherchant bien, les success stories ne manquent pas en Languedoc. Aussi lorsque ce matin il me vient l’envie de positiver, alors j’en profite. Cela se passe en réalité dimanche soir, sur la terrasse de ce lieu somme toute assez inattendu, au Château Les Carrasses, un castel de conte de fée restauré à grand frais par un Irlandais fortuné, une folie vigneronne transformée en hostellerie de luxe quelque part à proximité du Canal du Midi, grosso modo entre Béziers et Narbonne.

Château Les Carrasses dans les vignes du Languedoc, non loin de Béziers. Photo Michel Smith
Au Château Les Carrasses. Photo©MichelSmith

Ce soir-là, pour quelques privilégiés dont je faisais partie, on exposait une bonne douzaine de flacons estampillés Picpoul de Pinet avec quelques plats d’huîtres du cru, c’est-à-dire en provenance directe de l’étang de Thau, scandaleusement accompagnées de citron et de sauce vinaigrée à l’échalote. Tout en réclamant un poivrier pour réparer cet affront au goût iodé du divin mollusque, je menais d’arrache-pied une épique bataille dans le but illusoire de maintenir les bouteilles à la bonne température vu qu’on nous servait un sorbet de vin. Las de ce combat à la Don Quichotte, je me rapprochais de mon ami Guy Bascou, le président de ce vin récemment admis dans le sacro saint club des crus du Languedoc. Pour m’éviter toute réprimande, je précise que depuis longtemps (1985) l’amateur d’huîtres que je suis pouvait se rincer le gosier avec un Coteaux-du-Languedoc-Picpoul-de-Pinet (ouf !), mais que dès cette année 2013, le 14 Février dernier pour être précis, après une décennie de palabres inaoesques et plusieurs décades de célébrité locale (vdqs depuis 1954) sur les fruits de mer, le territoire caché dans un triangle Pézenas, Agde, Sète, peut désormais se revendiquer aop Picpoul de Pinet à part entière et se targuer par la même occasion d’être, avec 1.400 ha en production (l’aire d’appellation couvre 2.400 ha), la plus grande aop de blanc du Sud de la France, la seule aussi à arborer le nom de son unique cépage, le piquepoul blanc.

Guy Bascou, le président heureux de l'AOP Picpoul de Pinet. Photo: Michel Smith
Guy Bascou. Photo©MichelSmith

Mais pourquoi peut-on parler de succès à propos du Picpoul de Pinet ? D’abord parce que cette appellation y croit depuis longtemps. Aux grands professeurs spécialistes du blanc venus parler à ces culs terreux de vignerons du sud il y a 20 ans en leur disant qu’il serait inimaginable de penser pouvoir faire du blanc en Languedoc-Roussillon, cette appellation prouve le contraire. Non, monsieur dont-je-tairai-le-nom par charité chrétienne, Bordeaux et Bourgogne – on pourrait aussi ajouter la Loire – ne sont pas les seules régions détentrices de terres à blancs !  Ensuite parce que les vignerons des 4 caves coopératives et les 24 caves particulières ont su s’entendre depuis 1994 sur l’utilisation d’une bouteille spécifique nommée « Neptune » réservée au vin blanc sec Picpoul de Pinet et que chaque année plus de 8 millions de cols – beaucoup capsulées vis – circulent à travers le monde. Enfin parce qu’à l’export le Picpoul se porte bien atteignant plus de 40% des ventes avec quelques 600.000 bouteilles vendues aux États-Unis, par exemple.

Bon, certes, les doctes dégustateurs amateurs de Bâtard-Montrachet et autres Sancerre Cul de Beaujeu peuvent dormir paisiblement sur leurs deux oreilles : Picpoul de Pinet ne cherche pas à se mesurer à eux. Il se contente, pour le moment, d’être un super Gros Plant du Sud, assez proche même d’un bon Muscadet. Souvenons-nous cependant qu’il y a 30 ans, seuls quelques illuminés prédisaient un avenir de grand vin dans le Muscadet… Je reste persuadé pour ma part que l’appellation va progresser ces prochaines années et que les duretés ressenties dans quelques vins vont tôt disparaître. Ainsi donc, le Picpoul de Pinet est un agréable vin blanc, sans soucis, pour démarrer un repas, sur une truite fumée ou un hareng pommes à l’huile, par exemple, pour jouer un rôle certain sur les sushis ou pour accompagner des fruits de mer, huîtres et coquillages en particulier, missions où le Picpoul se donne à cœur joie.

Alors, je ne sais si cela sera utile à mes lecteurs, mais j’ai concocté une liste toute personnelle de bons Picpoul de Pinet dans le millésime 2012 : Domaine Félines-Jourdan, les Vignerons de Montagnac « Terres Rouges », L’Ormarine « Préambule », L’Ormarine « Juliette », « Cap Cette » de la cave coopérative de PomérolsBon profit !, comme on dit en Catalogne… et profitez-en bien !

(PS Publié en 2014 sur le site Les5duVin)

Michel Smith

Vins « nature » : aux chiottes les intrants !

8 Sep

Élégant comme titre, n’est-ce pas ? Évidemment, j’aurais pu dire «À bas les intrants !», ou mieux encore «Basta les intrants !», mais comme je suis d’humeur irrévérencieuse et que je suis mon propre rédac-chef, je me lâche.

D’abord qu’entends-je par «intrants» ? Si je consulte mon Larousse en ligne, je constate qu’à l’énoncé de ce mot, il fait tilt et m’adresse un message d’erreur. Idem du côté de son frangin british, le Harrap’s. Voyons donc du côté de chez god Google… Là ça marche un peu mieux car il convoque son assistant Wiki qui me propose une « ébauche », laquelle m’explique que cela concerne différents produits apportés aux terres et aux cultures : engrais, amendements, produits phyto, activateurs ou retardateurs, semences et plants… Bref, des additifs plus que louches.

Photo : DR

Ce machin, pardon ce mot qui est en train sournoisement de s’immiscer dans notre belle langue serait-il devenu un barbarisme de plus, un truc d’un nouveau genre, un mot à la mode pour remplacer le mot additif? Il est vrai qu’il est utilisé en long, en large et en travers, à tout bout de champ, si vous préférez, par mes chers petits camarades naturistes (ou naturophiles) du vin, à commencer par mon ami Antonin Iommi-Amunategui, auteur d’un nouveau petit (23 pages) livre rouge au titre manifestement polémique, Manifeste pour le Vin Naturel, publié aux Éditions de l’Épure. Ce même personnage, clone basque du Dujardin cinématographique à l’allure de grand échalas échevelé, organisateur d’un salon de vins très «naturels», dirige un blog assez déjanté: No Wine Is Innocent, hébergé par le web media L’Obs/Rue 89Un site qui, soit dit en passant, ne rechigne pas sur la pub intrante comme celle de Citroën ou de Pierre & Vacances. Mais bon, faut bien vivre…

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Invité à venir prêcher la bonne parole du vin dit «naturel» dans les murs hideux de la bibliothèque municipale du vieux Perpignan, le chevalier Antonin nous a gratifié d’une causerie d’une heure sur le sujet suivie d’une dégustation au Comptoir des Crus, la cave dirigée par Jean-Pierre Rudelle. Sans me priver d’intervenir de temps à autres, vous vous en doutez, j’ai bien écouté le discours pour enfin comprendre ce que je savais déjà, à savoir que le vin naturel est plus un concept philosophico-écolo-mélanchono qui, certes, prends racines dans les grandes villes, mais semble s’étendre désormais jusque dans les profondeurs de nos campagnes, là où il y a des pigeons, mais aussi des buveurs assermentés et des vignerons-résistants armés de certitudes bien ancrées du genre (j’arrange à ma manière) : laissons la vigne pousser et le raisin venir sans rien rajouter de ce qui pourrait déranger son cycle naturel et encore moins dans la transformation de son jus en vin. Gare aux méchants qui parlent encore de «vins bobo pour amateurs bobo», j’apprends que le mouvement s’universalise à la vitesse grand « V » et qu’il serait stupide de l’ignorer et de le villipander.

Loin de moi de telles idées, mais… Bien entendu, les adeptes de ce mouvement qui fait tâche – enfin, qui s’agrandit de jour en jour – vont me haïr et me cracher dessus en me faisant sentir que je n’ai rien compris au film. Pourtant, de mon côté, en vieux routard-roublard que je suis vite devenu l’âge aidant, je dois préciser que je n’ai rien contre les tenants du vin sans intrants. Il m’arrive d’en boire très souvent.

Comme le laisse entendre Antonin, le vin évolue, les goûts aussi et tout ce que demandent ces braves filles et garçons, c’est qu’on les laisse boire en paix et découvrir à leur guise tous ces goûts nouveaux qui peuvent parfois déplaire aux grincheux, mais qui révèlent aux autres des aspects insoupçonnés de la plus hygiénique des boissons. «J’insiste sur le mot naturel, martèle Antoninpour dire que ces (ses) vignerons, eux, ne trichent pas. En allant vers eux, on a une garantie de transparence. Les vins sont sans artifices. C’est souvent la manifestation bancale et polémique du vin idéal. Le vin naturel fait parler du vin et c’est l’essentiel ».

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Et mon Antonin de faire comprendre qu’il est ravi de la tournure médiatique et polémique que déclenche ce mouvement, car il expose «une agriculture artisanale, autonome et saine qui offre un modèle économique alternatif, viable, durable», insistant aussi au passage sur la «conception plus libre et l’indépendance volontaire de ses acteurs, du vigneron au consommateur en passant par le caviste ou le restaurateur».

Cet aspect des choses est flagrant pour les habitués des réseaux sociaux. Comme moi, ils constatent la nature presque insurrectionnelle, parfois belliqueuse, bordélique et sauvage qu’ont certains partisans de cette nouvelle conception du vin, de cette contre-culture, devrais-je dire pour rejoindre Antonin, lorsqu’ils se mettent en avant. L’orateur balaie au passage avec conviction tous les clichés que déclenchent les vins naturels auprès des critiques, qu’ils soient journalistes, professionnels ou amateurs.

Ainsi, il tempère sur le soufre en s’appuyant sur les recommandations de l’Association des Vins Naturels : « Il ne faut pas se focaliser que sur les sulfites car ceux-ci sont tolérés même s’ils ne sont pas souhaités. En revanche, nous ne cédons rien sur l’emploi des levures naturelles qui, elles, sont les seules garantes d’une transformation naturelle de jus de raisin en vin. En cela nous sommes contres les grigris de l’oenologie tout en sachant que le vin réclame soins et attentions ».

Photo©MichelSmith
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Enfin, Antonin admet volontiers et va jusqu’à déplorer que l’utilisation du qualificatif «naturel» sur une étiquette ne soit pas légale: « Je serais pour l’officialiser afin de foutre un peu plus la merde », dit-il pour avouer dans la foulée que sa réflexion «est peut-être utopique». Oui, tout cela ne serait-il pas un peu utopique ? Comme pouvaient l’être l’ensemble des réflexions des soixante-huitards à une époque où ils prônaient l’amour et pas la guerre ?

Oscar Wilde, ce cher Oscar, disait bien qu’une « carte du monde sur laquelle ne figure pas le pays d’Utopie ne mérite pas le moindre coup d’œil ». Et croyez-moi, c’est bien pour cela que je suis allé voir celui qui mène l’insurrection contre les intrants qui seraient trop nombreux à ses yeux à être encore utilisés dans la conception d’un vin, fut-il bio ou biodynamique. En plus du doute que j’affiche souvent lorsque je me trouve en présence d’un vin dit «naturel», je reste donc sagement figé, comme Antonin, dans cette utopie un rien naïve, bien décidé à accompagner de ma curiosité tout ce qui se fait dans ce registre du « nature ».

Tout en demeurant sceptique. Car je suis à l’écoute, convaincu qu’aucun de ces nombreux vins « bizarres » goûtés ces vingt dernières années se revendiquant peu ou prou de ce mouvement n’a été en mesure de m’impressionner au point de m’émouvoir jusqu’aux larmes. Se pourrait-il cependant que je sois à ce point insensible à la beauté des choses ? Je ne le crois pas.

Michel Smith

Cet article a été précédemment publié en Octobre 2015 sur le site Les5duVin

Oh, les Bourges, on se bouge !

9 Fév

Vrai ça ! Du Médoc capitale Pauillac au Libournais capitale Saint-et-Millions, le Mondovino, le monde du vin n’a de mots que pour les Crus Classés au point de nous casser les oreilles et les… Or, ce n’est pas logique. En effet, il m’apparaît par je ne sais quel éclair tombé du ciel que, depuis quelques années, lorsqu’ils ont cherché face à la presse agenouillée à s’acheter une conduite syndicale affichant force bonnes manières et intégrité en même temps qu’un jeu limite grand show, notre chère, noble et illustre confrérie des Crus Bourgeois s’est comme volatilisée de la scène médiatique. Côté communication, les « bourges » du Bordelais, du moins ceux du Médoc, me semblent dangereusement en sommeil. Seraient-ils en manque d’inspiration ? En recherche désespérée d’une bonne attachée de presse ? Ou bien se mettraient-ils volontairement en mode discrétion absolue pour éviter les questions qui fâchent ? Éviter de reparler de procédures judiciaires par exemple lancées au lendemain de leur magistrale réforme de 2010. Dommage, car on aimerait bien – moi en tout cas, puisqu’ils ont fait partie de mon apprentissage  – en savoir plus sur leur devenir. Où en sont -ils ? Que font ils ?

Bon d’accord, il est vrai que, coutumier du fait, j’affirme des choses en vrac, sans savoir. Vrai aussi que cela doit faire une éternité que je n’ai franchi la porte d’un chai médocain fut-il Bourgeois. C’est un fait : je n’ai pas lu toute la presse du vin ces temps-ci et on va dire que je suis en retard d’une guerre chose que je comprends vu que je ne peux plus me payer d’abonnements à la RVF, Vignerons, Terre de Vins ou au Wine Spec et que même, ô sacrilège !, dans un souci bien légitime de vouloir protéger mon pauvre portefeuille, j’ai omis de renouveler ma cotisation au plus vaillant des magazines du vin, j’ai nommé le très respectable Rouge et le Blanc, lequel ne dit que ce qu’il pense sans se laisser influencer par l’ogre publicitaire qui fait marcher au pas la langue de bois à défaut de celle de Molière ou du journalisme.

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Non mais, enfin quoi, qu’est-ce que ça peut bien signifier ce silence radio ? Communiquez les bourges ! C’est le peuple du vin qui le réclame quand bien même je sais pertinemment qu’il n’en a rien à foutre. Vite, ou sinon vous allez sombrer dans l’oubli ! N’y a-t-il plus d’émetteurs côté Médoc ? Serait-ce le calme plat vers l’estuaire ? Nos vignes-trotteurs Bettane & Desseauve ne courent-ils plus le célèbre marathon ? Ça leur ferait pourtant grand bien … (mes excuses les gars, mais faut penser à l’âge et la retraite qui vous guette !). Quant à Bob, soit, je veux bien admettre qu’il ait pu changer son fusil d’épaule en se concentrant sur la revalorisation des « petits » vins à moins de 10 $ tout en se gargarisant avec des grands crus à 200 $ minimum, mais enfin, que fait-il ? Ou alors, que font ses adjoints ? Pourquoi ne vont-ils pas enquêter sur cette extraordinaire source vineuse que le monde entier nous envie, les Crus Bourgeois ?

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Comment faire pour ne plus cautionner notre Brel national (bien que Belge) qui chantait haut et fort : « Les Bourgeois (remarquez mon « B » majuscule…), c’est comme les cochons plus ça devient vieux plus ça devient… » ? Je vous fais grâce du dernier mot qui pourrait être mal interprété par les temps qui courent et du non-dit qui suit encore plus impubliable. J’ai cherché sur Google avec ces mots : « Crus Bourgeois du nouveau ? » et les premiers articles arrivant en tête datent de 2010. Bon c’est vrai qu’en septembre et octobre 2012, la RVF et Le Point ont évoqué le classement annuel. Dans ce cas, serais-je un petit peu trop impatient ? Qui sait, après tout il se pourrait bien qu’on en reparle dans un petit mois ? Il est vrai que, pour la RVF en tout cas, il ne s’agissait pas d’un véritable article de fond. Plus un truc que l’on met sur un site en mal d’action au cas ou quelqu’un oserait aborder le sujet. Comme une nécro prête à l’emploi au Monde en quelque sorte. C’est pourquoi je vous recommande plutôt la lecture de l’article de Jacques Dupont qui évoque le classement pour le millésime 2010 et qui raconte fort bien la manière dont les choses fonctionnent. Mais depuis, plus rien. Silence radio, ou pas grand chose, sur cette « alliance » composée de 260 châteaux intègres… Allez, on va faire un petit test : lequel parmi vous serait capable de me citer de tête au moins trois noms de châteaux apparaissant pour la première fois en 2010 dans le « classement » (devrais-je dire « dans la liste » puisqu’ils ne sont classés qu’alphabétiquement ?) des Crus Bourgeois ? Et qui serait en mesure sans tricher de me citer le nom du grand vainqueur de la Coupe des Crus Bourgeois2013 toujours vaillamment organisée par Le Point ? Allez, pour ce dernier je vous aide, c’est ici.

Mis à part cet « événement » qui doit faire à chaque fois la « une » de la presse locale, on a vraiment une impression d’immobilisme chez les Bourgeois. Par curiosité (malsaine, cela va de soi), j’ai consulté au passage la liste des membres du Jury de la Coupe. Il y a des gens bien de tous les horizons, y compris un Master of Wine, un vrai, et la charmante Suzanne Methé de L’Amateur, magazine qui semble pourtant avoir fermé ses portes depuis plusieurs mois. On va dire qu’avec l’âge je deviens aigri ou jaloux, mais dans cette honorable liste, je ne vois pas un seul membre de l’équipe des 5 du Vin ! Pourtant, je jurerais volontiers que Hervé et (ou) David y auraient leur place vu qu’ils participent à de nombreux concours. Pour ce qui est de mon auguste personne, je ne recule pas devant l’obstacle qui consisterait à me frotter au monde bourgeois du Médoc. Tiens, au passage, il y a plus de 20 ans, certains châteaux dans les Côtes de Bourg, le Sauternais et les Graves entendaient revendiquer le terme de « Cru Bourgeois ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

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Pas grave tout ça, me direz-vous. On se consolera peut-être avec les Crus Artisans. Ça te dirait bien ça Hervé, non ? Quoi ? Qu’est-ce encore ? Un hochet de plus pour médocains oubliés, pour vignerons du bas de l’échelle ? Un classement pour les exclus et les pauvres de la presqu’île ? Allons, allons, trêve de persiflage master Smith. Les Crus Artisans existent bel et bien. Ce n’est ni plus ni moins qu’une association qui rassemble une quarantaine de domaines obéissant à certaines règles en partie détaillées ici même encore et toujours sous la plume experte de Jacques Dupont. Leurs vins sont bien plus abordables que ceux de la bande des Bourgeois ou ceux de l’aristocratie locale dite des « classés », même si certains de ces Crus Artisans commercialisent autour de 40 € le flacon, notoriété oblige. À l’instar de Château Béhèré, sur Pauillac , lequel a d’ailleurs été repris il y a peu, faute de successeur par, je vous le donne en mile, non pas par un russe ou un chinois, mais par un cinquième Cru Classé, le Château Pédesclaux. D’ailleurs, cela ne me surprendrait pas qu’un jour Béhèré fasse son entrée dans le monde des Bourgeois tant il est vrai que, dans le Médoc, on échappe rarement à son destin.

Michel Smith

PS- À titre personnel, et pour ceux que cela intéresserait, je vous donne la liste dans le désordre de quelques uns de mes Bourgeois préférés :

Bel Air, Belle Vue, Charmail, Lousteauneuf, Les Ormes Sorbet, Paloumey, Meyre, Peyrabon, La Tour Haut Caussan, La Tour de Mons, La Tour de By, Villegeorge, etc. Mais il est vrai que  j’aime aussi Sociando-Mallet, Gloria, Poujeaux et Chasse Spleen qui ne sont ni classés « grand cru », ni « bourgeois », enfin si j ne me trompe pas dans mes gammes…

Précision de l’auteur de ces lignes : ARTICLE PUBLIÉ EN 2013 SUR  les5duVin