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Force de rosés en Pays d’Aix

28 Mar

Fin de journée d’hiver dans l’arrière-pays d’Aix-en-Provence. Après une journée active passée avec Peter Fischer dans ses vignes bio du Château de Revelette qu’il finissait de tailler avec ses hommes, l’heure était à la détente. Provençal dans l’âme, volontiers partageur, amoureux de son « terroir le plus froid de la Provence », « Piteur », comme on l’appelle ici avé l’accent, avait rassemblé sur un simple coup de fil quelques uns de ses voisins et amis. Une petite armée vigneronne s’était mise à table chez la belle brune Christine Charvet dans sa géniale pizzeria-guinguette de Jouques où le vin occupe une place de choix. Une adresse que je recommande chaudement. Au passage, Jouques est un délicieux village où il fait bon passer un week-end vigneron entrecoupé de randonnées. Mais revenons à notre réunion. Mots d’ordre de la soirée : convivialité, déconnades en tous genres et Carignan à gogo sans ordre précis, sans cérémonial. Vaste et beau programme.

Peter Fischer, un vigneron toujours dans le vent. Photo©MichelSmith
Peter Fischer, un vigneron toujours dans le vent. Photo©MichelSmith

Je ne parlerai pas du « Pur » de Peter, vin déjà évoqué il y a peu dans cette même rubrique. Pas non plus du Carignan des absents. Mais je vais vous dire du bien de deux vins de couleur rose, pour une fois, deux cuvées qui mettent en avant mon cépage chéri.

-IGP Var 2012, Domaine de La RéaltièreL’ineffable et sympathique ingénieur agronome Pierre Michelland (je vous ai déjà parlé de son rouge « Cul Sec » 2011 l’an dernier) avait apporté son rosé brut de cuve dont la mise n’était plus qu’une affaire de jours, un vin qui ne sera pas filtré et qui comporte 80 % de carignan noir vinifié en pressurage direct et agrémenté de 20% de clairette. Comme son rouge, il pète la forme et se distingue par sa carrure et sa droiture. Vraiment à l’aise sur les délicieuses pizzas. Son « Chant du Coq » blanc 2011 à 80% carignan blanc, le reste en sauvignon, se défendait pas mal aussi en dépit d’une petite touche sucrée en finale.

Pierre Michelland, de la Réaltière. Ses vins sont aussi souriants que lui ! Photo©MichelSmith
Pierre Michelland, de la Réaltière. Ses vins sont aussi souriants que lui ! Photo©MichelSmith

Côteaux-d’Aix 2010Domaine La Chapelle Saint-BacchiChristian Valensi travaille aussi l’olivier et le lavandin. Sous le même nom cuvée, « Carpe Diem », il vinifie un pur alicante, réalise chaque année un rosé confidentiel (1.300 bouteilles, 9 € départ cave, il en reste encore un peu) cent pour cent carignan issu d’un pressurage direct vinifié d’abord en cuve avec une légère macération à froid, puis un élevage en barriques (de deux vins blancs) pour quelques mois. La robe, légèrement évoluée, a des tonalités orangées du pus bel effet et le vin, qui a conservé son fruit, offre de jolies notes grillées, là aussi légèrement sucrées. On le verrait bien sur un poulet thaï ou des crevettes grillées pas trop épicées. Le 2011 a été zappé et le prochain (2012) sera à 80% carignan.

Photo©MichelSmith

Photo©MichelSmith

Dans ce pays Aixois entre Sainte-Victoire et Luberon, le carignan qui n’a pas été arraché sur les conseils des techniciens agricoles, donne quelques espoirs aux vignerons de produire des vins différents dans une région qui, de toutes façons, n’est pas comparable au reste de la Provence viticole. Le seul problème qu’ils évoquent en parlant de ce cépage est que, dans cette zone au climat septentrional, la maturité est rarement satisfaisante à leurs yeux.

Christian Valensi, de La Chapelle Saint-Bacchi. Photo©MichelSmith
Christian Valensi, de La Chapelle Saint-Bacchi. Photo©MichelSmith

Reste que je suis sûr qu’en prenant quelques risques, comme Peter Fischer et Pierre Michelland l’ont fait avec leurs rouges, ils arriveront en poussant les maturités à vinifier de fort jolis vins de Carignan. C’est tout ce que je leur souhaite ! En attendant, on a de beaux rosé et c’est déjà pas si mal…

                                                                                                                     Michel Smith

Rive droite, After Midnight

1 Avr

Il me semble vous l’avoir déjà avoué : filles, garçons, je compte de nombreux amis dans le vignoble. Normal, puisque, même si cela complique parfois un peu plus mon job de journaliste, j’aime les vignerons. J’envie leur travail quand ils trouvent encore le temps d’être sur leurs terres, je jalouse leur vie qui, bien que compliquée, leur apporte beaucoup de choses, et je me laisse volontiers emporter par l’enthousiasme que communiquent en moi leurs vins.

Le vignoble de Sainte-Foy-la-Grande, non loin de Castillon. Photo©MichelSmith

Le vignoble de Sainte-Foy-la-Grande, non loin de Castillon. Photo©MichelSmith

D’ailleurs, c’est par eux que j’ai découvert le vin. Avant leurs paysages, leurs « terroirs », leurs « crus », avant leurs caves ou leurs vignes, avant de connaître quoi que ce soit sur leur train de vie, leur famille, leur tracteur, leur pressoir, ce sont les vignerons et eux seuls qui m’ont formé au goût du « bon » vin. Au fil des rencontres, par leurs explications, par leurs témoignages, je me suis tissé un réseau aussi amical que solide dans le vignoble, que ce soit en Alsace ou dans le Bordelais, ou ailleurs, une série de points de chute où il fait bon se poser ne serait-ce que pour humer l’air du temps. Ainsi vous comprenez pourquoi, si jamais certains d’entre vous se posaient la question, je préfère m’inviter à passer une journée chez eux plutôt que de m’imposer le temps d’un éclair ce qui est, hélas, le lot commun de bien des critiques qui se disent tout connaître et qui vont à la découverte d’une appellation en une demi-journée. Et je sais de quoi je parle…

François et Nicolas Thienpont. Photo©MichelSmith

François et Nicolas Thienpont. Photo©MichelSmith

Donc, passé Sainte-Foy-la-Grande, j’étais l’autre jour vers Castillon-la-Bataille, aux marges de la Dordogne et sur les premières marches de la côte de Saint-Émilion, que Vincent Pousson, moqueur et persifleur, a tôt fait de rebaptiser Saint-et-Million tant il est vrai que son classement à la noix ne repose sur rien d’autres que  le pognon. C’est une région que j’ai fréquentée un peu à une époque où, déjà, je commençais à me lasser du bling bling saint-émilionais et bordelais. Ainsi donc, alors que je m’apprêtais à passer une mémorable soirée en un lieu que l’on m’a interdit de citer, je songeais à ces amis vignerons que j’ai dans le coin. Je revoyais des visages, en particulier ceux de deux mondes souvent opposés pourrait-on dire : l’ironie grinçante et poétique d’un François des Ligneris ; la faconde truculente d’un Régis Moro, du Vieux Château Champ de Mars, dont les vins brillent de plus en plus depuis qu’il s’installe dans la biodynamie ;  la frêle mais décidée Dany Rolland, œnologue conseil avec son ex-époux Michel dont j’ai chroniqué le dernier livre il y a plusieurs mois ici même et dont j’aimerais bien un jour goûter la cuisine, ne serait-ce que pour mettre les points sur les « i » sur une certaine façon de faire le vin « à la bordelaise » ; l’approche « tannique » de Christine Derenoncourt, autre « femme de » qui conduit avec assurance et détermination le Domaine de l’A, en Castillon, pendant que son mari, Stéphane, sillonne le monde pour prêcher la bonne parole du vin ; les frères ThienpontFrançois et Nicolas précisément qui, allures de gentlemen farmers, drôles de mélanges belgo-bordelais, tout en surveillant les propriétés familiales des Côtes de Francs, toujours sur la même côte, me rappellent toute une époque où l’on n’avait pas besoin de salamalecs pour découvrir le Libournais en leurs compagnies, je pense à des crus remarquables tels Vieux Château Certan et Le Pin (Pomerol) dirigés par un autre membre de la famille, Alexandre, fils d’un fameux Léon, ou Château Pavie-Macquin (Saint-Émilion), quelques unes des perles gérées ou cogérées par Nicolas, sans oublier le « petit » négoce de Bordeaux dirigé par François ; j’oublie encore certain noms amis, mais vous allez me reprocher de faire dans le « name dropping »…

Tout cela pour en venir à un vin goûté lors de cette trop courte escapade du côté de Castillon-la-Bataille, un vin assez unique, un rouge bordelais servi en magnum comme tous les autres vins de la soirée, mais un rouge qui, hormis un Barolo de Voerzio et un Douro  de Nieport m’est arrivé sur table sur le coup de deux heures du matin, horaire où j’étais tout juste apte à prendre quelques photos et complètement incapable de noter quoi que ce soit. À mes côtés, j’avais un ami de Facebook en la personne de Daniel Sériot dont il m’arrive de suivre le blog. En compagnie d’Isabelle son épouse, Daniel semblait approuver poliment mes paroles. Au stade où j’en étais, je ne faisais probablement que dire à la cantonade quelque chose de stupide comme « Putain, il est super ce vin » sans prendre pour autant l’accent de Cantona !

Photo©MichelSmith

Le vin d’après minuit Photo©MichelSmith

De mes vagues souvenirs encore embués, il ressort que ce Montagne Saint-Émilion 2005 au nom de Château Beauséjour (ni Duffau-Lagarosse, ni Bécot…) avait un équilibre tel qu’il arrivait à me charmer en cette heure pourtant avancée de la nuit. En plus de me charmer, j’ose dire qu’il me rafraîchissait. Et même qu’il me réveillait l’esprit, qu’il me mettait en appétit, bref, qu’il me fascinait. Aucun cinéma, pas d’entourloupe, pas de maquillage, pas d’ outrance, rien que la justesse, un soupçon de retenue aussi, mais point trop, il y avait dans ce vin une sorte de don de soi qui m’allait au plus profond. Faut-il en arriver là pour être en mesure de décréter qu’un vin est noble, grand, ou tout ce que vous voulez ? Je veux dire, faut-il le déguster bien après minuit ?

Certainement pas, bien sûr. Les vieilles vignes de ce domaine à forte proportion cabernet franc sont à n’en pas douter responsables de l’épaisseur ressentie dans ce premier millésime marquant le renouveau de Beauséjour. Mais ce qui est sûr, c’est que la prochaine fois que je navigue à contre courant du mascaret le long de la Dordogne je ferais un crochet pour rencontrer l’auteur de ce vin, un sage connu sous le nom de Pierre Bernault.

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Que déduire de tout ce charabia ? Que l’on déguste pas si mal après minuit... 

Michel Smith

(article publié en juillet 2013 sur le site les5duVin)

Un magnum pour se la péter à deux !

18 Sep

Sand, elle est chiante. Sandrine Goeyvaerts de son vrai nom, elle anime à elle seule – et pas de main morte – son blog La Pinardothèque (ou thek, c’est selon…) et c’est elle qui nous a demandé de tout péter pour cet énième VdV. Je crois la connaître : elle voudrait du beau bouchon de liège et je n’ai qu’une vulgaire capsule à lui proposer. Ah, les filles d’aujourd’hui…

#Vendredi du Vin #65 : Méfiez-vous, ça va péter !

Elle veut qu’ça pète à tous les étages et je n’ai ni Champagne ni Blanquette à la cave. Et point de crémant à l’horizon ! Elle veut du peinard, du tranquille, du sage alors que je pense Révolution et que je l’attends de pied ferme ce mouvement de rue. D’ailleurs, au départ, je ne souhaitais pas évoquer les bulles. Pour péter un plomb on n’a nul besoin de gaz. Alors, tout bien réfléchi, je me suis dit qu’une petite provoque de vieux bourgeois déconfit ne ferait de mal à personne. Comme évoquer le pet de nonne ou le pet de lapin associé à un verre de grand liquoreux, par exemple. Disserter sur le noble pet, en somme. Âmes sensibles, s’abstenir…

Voyant que tout le monde fonce dans le registre de la « moustille » et de la turbulence, je me sens obliger de changer mon fusil d’épaule. Et de ressortir mon vieux motto de parvenu gauchiste : « toujours péter librement dans un lit de dentelle et de soie avant de s’endormir ». Alors, puisque de toute façon je sens bien que ça va péter dans tous les sens, de tous les côtés et jusque dans tous les coins, vu que je ne suis pas du genre à tirer le premier, j’en reviens à un bon vieux magnum capsulé, le dernier qui me reste. Un OVNI, quelque chose qui ne vient ni de Champagne, ni d’Alsace, mais du bon, du brave Sud-Ouest, de Fronton même, autant dire du pays de cocagne. Roc’Ambulle, mixture de Mauzac et de Négrette vendue 13 € uniquement en magnum au Domaine le Roc, est un vin de France qui ne titre que 9,5 degrés. Un vin qui pétille et qui mousse. Un vin de fillettes pour certains frimeurs du goulot.

#Vendredi du Vin #65 : Méfiez-vous, ça va péter !

Oui, je sais que depuis que je l’ai découvert à Vinisud, là où les blogueurs et les journalistes ne restent pas plus de 24 heures, pour cause de séjour limité, généreusement offert par les autorités de tutelle, j’ai une fâcheuse tendance à vous en rabâcher les oreilles. Depuis, j’en ai acheté un carton, et pourtant je sais que ce n’est pas le genre de truc qui attire les foules initiées. Tant mieux ! D’ailleurs, les gens boivent ça d’une traite comme si c’était du cidre ou de la bière. C’est ma faute puisque c’est moi qui leur ai dit ça par simple provocation. « Buvez, c’est de la bière de vin ! » Ils ne remarquent même pas le gros contenant, le côté festif du magnum.

Passez-moi le décapsuleur.

Attention, ça risque de péter !

#Vendredi du Vin #65 : Méfiez-vous, ça va péter !

Moi, j’y trouve de la finesse, du fruit, de la fraise écrasée, de la gaieté, du copinage, de la légèreté, de la soif et même une pointe d’amour coquin. Un petit clin d’œil du genre : « dis donc coco, viens donc te coller à moi, ne crains rien, viens… ». Certes, pas de quoi en faire des tonnes, mais de quoi ne pas s’ennuyer non plus alors que tout le monde autour de vous s’agite en poncifs et ne parle que grand vin, grand machin, grand cru, grand ceci, grand cela. Oui, ce magistral pet que l’on sent venir en soi en éclusant cette bouteille à mille lieues de la frime, loin d’être un simple pet mouillé, ce pet en magnum sera sûrement celui du bonheur partagé.

Après tout, c’est si beau de péter à deux !

(PS. Article paru en 2014 ici : https://pourlevin.skyrock.com/)

Michel Smith

Salon Millésime Bio 2015 : mes trophées de l’année.

3 Avr

Les organisateurs du petit salon sympa de jadis, devenu en quelques années la vitrine géante de la bio mondiale ont eu l’idée – à moitié heureuse à mes yeux – d’organiser une sorte de « prix spécial de la presse »; une super récompense des médias, à partir des médaillés vins bio de l’année, ceux du Challenge Millésime Bio. J’ai bien essayé de participer en commençant par les rouges, le premier jour, mais j’ai vite déchanté, car les vins n’étant pas cachés d’une robe, ce qui me paraît essentiel dans le cadre de l’attribution d’un prix, j’étais bien entendu tenté, tordu comme je suis, d’attribuer mes coups de cœur aux flacons de mes potes vignerons en priorité, si possible ceux amoureux des cépages autochtones, CinsaultCarignanTerretGrenache et consorts. J’aurais pu m’en tenir au Sud-Ouest ou au Bordelais, à la Savoie, l’Autriche ou l’Afrique du Sud, mais là aussi, je me sentais piégé car, depuis le temps que je viens au salon, je commence à en connaître un rayon et à avoir une flopée de favoris.

Alors, pour me venger en souriant de ces déconvenues, n’ayant pas encore reçu les résultats de ce super concours à l’heure où je rends ma copie, c’est à dire cette nuit, j’ai décidé d’attribuer mes propres trophées, en fonction de plusieurs catégories un peu loufoques afin de faire un maximum de buzz et un maximum d’heureux. Si vous souhaitez en ajouter d’autres, libre à vous! Par honnêteté, je précise que, sur un plan purement déontologique, à mon avis, un vrai journaliste ne devrait jamais avoir à attribuer de prix. Mais voilà, vous me connaissez et je n’en suis pas à une contradiction près.

Photos©MichelSmith
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1 – Le prix du plus beau Crachoir du salon est remis à l’Alsacien Mathieu Boesch (Domaine Léon Boesch) pour son magnifique crachoir en grès de sel typique de Betschdorf !

Photo©MichelSmith
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2 – Le prix du Fino le plus Fou va à la Gélatine de Fino des Bodegas Robles à Montilla, spécialité que les cuisiniers du royaume s’arrachent déjà !

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3 – Le prix du Couple Vigneron qui a résisté plus de 40 ans à toutes les tempêtes va à Monique et Michel Louison qui, après s’être battus à Faugères font revivre un magnifique terroir à leur dimension, le Domaine de La Martine, dans le Haute Vallée de l’Aude, près de Limoux, où le Cabernet franc donne un incomparable rosé encore plus dense que celui déjà repéré l’an dernier.

Photo©MichelSmith
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4 – Le prix du plus Beau Design pour un « bag in box » est attribué à ce dessin de Mika et ce joli slogan aperçu au stand de Biotiful Wines. J’en profite pour ajouter que Nadine Franjus-Adenis qui commente souvent sur ce blog est à l’origine d’un nouveau concours vineux dédié à ce genre de contenants.

Photo©MichelSmith
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5 – Le prix des plus Jolies Bulles revient tout naturellement à l’équipe du Château de La Liquière qui, non contente de vinifier des Carignans hors pairs concocte depuis 3 ans un délicieux breuvage moitié Grenache, moitié Mourvèdre, élaboré dans une cave de Gaillac pour une sacrée méthode ancestrale baptisée « L’unique Gaz de Schiste » qui vaut son pesant de douceur et de vivacité !

Photo©MichelSmith
Jim, trying to eat ! Photo©MichelSmith

6 – Le prix de la plus Belle Moustache 2015 était pour moi le plus facile à attribuer, le plus évident : il va à notre Jim Budd qui n’a pas cessé durant trois jours de gambader dans les rues de Montpellier et les travées de Millésime Bio.

Photo©MichelSmith
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7 – Le prix de la Déclaration d’Amour va tout droit à John Bojanowski du Clos du Gravillas qui a choisi de composer un tendre message à l’attention de son épouse Nicole, en guise de numéro de lot tatoué sur le col de ses bouteilles.

Photo©MichelSmith
Place de la Comédie, Montpellier by night. Photo©MichelSmith

8 – Le prix de la plus Belle des Soirées va, comme d’habitude, aux jeunes vignerons du Beaujolais venus dans une belle brasserie proche de la Place de la Comédie avec force magnum et vieilles bouteilles afin de prouver que le Beaujolais a du cœur !

Photo©MichelSmith
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9 – Le prix des « Estrangers » les plus Accueillants est attribué aux quatre vignerons de Vinibio menés par le conquérant et francophile Jao Roseira, de la Quinta do Infantado, monté de son Douro natal pour tenter de faire connaître les Vinho VerdeLisboa et autres appellations du Portugal.

Photo©MichelSmith
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10 – Le prix de l’Optimisme Catalan a été décerné à Bruno Ribière et à Frédérique Barriol-Montès qui ont su résister face au « Roussillon bashing » infligé par notre consoeur Rosemary George dans le dernier numéro de Decanter.

 Michel Smith

(Article initialement publié le 29 Janvier 2015 sur le site Les5duVin)

Picpoul, les raisons d’un succès

17 Fév

Mes amis blogueurs et moi-même avons parfois la dent dure envers le Languedoc viticole. Nous l’aimons bien, trop peut-être, ce qui fait que nous sommes prompts à le critiquer au moindre faux pas. Combien de fois n’ai-je pas décrié l’ambition démesurée de certaines appellations, l’aptitude qu’ont ces mêmes appellations à vouloir se hausser un peu trop du col, la gabegie de certains, la timidité maladive des uns et la médiocrité des autres, l’immobilisme des appellations et, à l’inverse, le trop grand empressement de leurs dirigeants happés dans la politique locale par trop pesante. Parfois, il faut bien l’admettre, je suis allé trop vite en besogne. En cherchant bien, les success stories ne manquent pas en Languedoc. Aussi lorsque ce matin il me vient l’envie de positiver, alors j’en profite. Cela se passe en réalité dimanche soir, sur la terrasse de ce lieu somme toute assez inattendu, au Château Les Carrasses, un castel de conte de fée restauré à grand frais par un Irlandais fortuné, une folie vigneronne transformée en hostellerie de luxe quelque part à proximité du Canal du Midi, grosso modo entre Béziers et Narbonne.

Château Les Carrasses dans les vignes du Languedoc, non loin de Béziers. Photo Michel Smith
Au Château Les Carrasses. Photo©MichelSmith

Ce soir-là, pour quelques privilégiés dont je faisais partie, on exposait une bonne douzaine de flacons estampillés Picpoul de Pinet avec quelques plats d’huîtres du cru, c’est-à-dire en provenance directe de l’étang de Thau, scandaleusement accompagnées de citron et de sauce vinaigrée à l’échalote. Tout en réclamant un poivrier pour réparer cet affront au goût iodé du divin mollusque, je menais d’arrache-pied une épique bataille dans le but illusoire de maintenir les bouteilles à la bonne température vu qu’on nous servait un sorbet de vin. Las de ce combat à la Don Quichotte, je me rapprochais de mon ami Guy Bascou, le président de ce vin récemment admis dans le sacro saint club des crus du Languedoc. Pour m’éviter toute réprimande, je précise que depuis longtemps (1985) l’amateur d’huîtres que je suis pouvait se rincer le gosier avec un Coteaux-du-Languedoc-Picpoul-de-Pinet (ouf !), mais que dès cette année 2013, le 14 Février dernier pour être précis, après une décennie de palabres inaoesques et plusieurs décades de célébrité locale (vdqs depuis 1954) sur les fruits de mer, le territoire caché dans un triangle Pézenas, Agde, Sète, peut désormais se revendiquer aop Picpoul de Pinet à part entière et se targuer par la même occasion d’être, avec 1.400 ha en production (l’aire d’appellation couvre 2.400 ha), la plus grande aop de blanc du Sud de la France, la seule aussi à arborer le nom de son unique cépage, le piquepoul blanc.

Guy Bascou, le président heureux de l'AOP Picpoul de Pinet. Photo: Michel Smith
Guy Bascou. Photo©MichelSmith

Mais pourquoi peut-on parler de succès à propos du Picpoul de Pinet ? D’abord parce que cette appellation y croit depuis longtemps. Aux grands professeurs spécialistes du blanc venus parler à ces culs terreux de vignerons du sud il y a 20 ans en leur disant qu’il serait inimaginable de penser pouvoir faire du blanc en Languedoc-Roussillon, cette appellation prouve le contraire. Non, monsieur dont-je-tairai-le-nom par charité chrétienne, Bordeaux et Bourgogne – on pourrait aussi ajouter la Loire – ne sont pas les seules régions détentrices de terres à blancs !  Ensuite parce que les vignerons des 4 caves coopératives et les 24 caves particulières ont su s’entendre depuis 1994 sur l’utilisation d’une bouteille spécifique nommée « Neptune » réservée au vin blanc sec Picpoul de Pinet et que chaque année plus de 8 millions de cols – beaucoup capsulées vis – circulent à travers le monde. Enfin parce qu’à l’export le Picpoul se porte bien atteignant plus de 40% des ventes avec quelques 600.000 bouteilles vendues aux États-Unis, par exemple.

Bon, certes, les doctes dégustateurs amateurs de Bâtard-Montrachet et autres Sancerre Cul de Beaujeu peuvent dormir paisiblement sur leurs deux oreilles : Picpoul de Pinet ne cherche pas à se mesurer à eux. Il se contente, pour le moment, d’être un super Gros Plant du Sud, assez proche même d’un bon Muscadet. Souvenons-nous cependant qu’il y a 30 ans, seuls quelques illuminés prédisaient un avenir de grand vin dans le Muscadet… Je reste persuadé pour ma part que l’appellation va progresser ces prochaines années et que les duretés ressenties dans quelques vins vont tôt disparaître. Ainsi donc, le Picpoul de Pinet est un agréable vin blanc, sans soucis, pour démarrer un repas, sur une truite fumée ou un hareng pommes à l’huile, par exemple, pour jouer un rôle certain sur les sushis ou pour accompagner des fruits de mer, huîtres et coquillages en particulier, missions où le Picpoul se donne à cœur joie.

Alors, je ne sais si cela sera utile à mes lecteurs, mais j’ai concocté une liste toute personnelle de bons Picpoul de Pinet dans le millésime 2012 : Domaine Félines-Jourdan, les Vignerons de Montagnac « Terres Rouges », L’Ormarine « Préambule », L’Ormarine « Juliette », « Cap Cette » de la cave coopérative de PomérolsBon profit !, comme on dit en Catalogne… et profitez-en bien !

(PS Publié en 2014 sur le site Les5duVin)

Michel Smith

Le Rancio, c’est pas un rigolo !

12 Nov

Pour une fois, je vais vous jouer cool, pondre un truc sans esbroufe, sans emphase, sans phrases savantes. Quelque chose de pas trop docte non plus, du moins je l’espère, comme un papier qui voudrait utile, destiné aux vrais mordus du vin, aux passionnés, aux inconditionnels, à ceux qui savent s’abandonner, bref, aux honnêtes hommes (et femmes) dont l’esprit est grand ouvert sur le monde du vin et ses mystères.

Brigitte Verdaguer, Domaine du Rancy. Photo©Michel Smith
Brigitte Verdaguer, Domaine du Rancy. Photo©Michel Smith

Pas d’explications trop ardues, juste un peu de rêverie, de poésie teintée de méditation. C’est le style du vin qui l’impose. Car celui dont je vais vous causer n’est pas fait pour les beuveries entre amis. Il s’agit plus, à mon avis, d’un vin de solitaire. Un vin à détacher du repas. Même s’il est difficilement contestable sur les fromages, parfois aussi au moment du dessert, ce type de vin que l’on sirote en fermant les yeux est plus pour moi un vin de réflexion à humer dans la pénombre d’un salon, dans la profondeur d’un fauteuil en cuir avec pour proximité le crépitement d’un feu de bois et, pour accompagner le tout, les volutes d’un havane qui se mêlent avec tendresse au piano d’un Samson François naviguant entre Liszt, Chopin et Ravel. Ou d’une troublante Maria Callas dans la Norma de Bellini. Mieux encore, il a beau être fait pour des plaisirs solitaires, ce vin que l’on nomme « rancio » ou « ranci » en catalan comme en français, qu’il soit sec pur et dur, ou pas trop, n’exclut pas cependant qu’il soit présent dans les ébats érotiques tant il a le don de vous coller à la peau, tant il suinte en vos veines, tant il exhale des parfums mystérieux et autant de voyages orientaux…

Collioure, oùl'on sait faire du rancio depuis des lustres. Photo©Michel Smith
Collioure, oùl’on sait faire du rancio depuis des lustres. Photo©Michel Smith

Tout d’abord, voyons ma définition : Sachant que « ranci » en Catalogne est aussi utilisé chez nous, de l’autre côté de la frontière, où les Banyuls, Rivesaltes et autre Maury sont plus souvent désignés sous le terme « rancio ». Peu importe le mot, les deux sont valables. Il faut savoir qu’en bon français le terme juste est « rance », mot qui, selon mon Larousse, s’applique à “un corps gras qui, au contact de l’air, a pris une forte saveur âcre, à l’image du beurre que l’on aurait oublié dans son beurrier, ou d’un morceau de gras de porc qui aurait mal vieilli. On peut donc, en bon français, parler d’un goût de « ranci » puisque dans nos dictionnaires l’adjectif existe aussi quand on veut évoquer l’odeur ou le goût de ce qui est rance, sachant aussi que ce terme s’applique aussi plus familièrement à une personne qui aurait mal vieilli. Or, en matière de vin, c’est plutôt l’inverse qu’il faut rechercher : le goût d’un vin “à l’oxydation ménagée”, comme disent les pros, un vin qui aurait de préférence « bien tourné » qui aurait survécu tant bien que mal à un long combat avec l’air, mais qui pourrait aussi « mal tourner » dans certains cas hélas lorsque l’aspect ranci du vin est par trop désagréable, lorsque l’aboutissement de cette aventure contre l’air vire au piqué ou au déséquilibre. Dans ce dernier cas, on devrait plutôt parler de « vins occis », vins qui se seraient laissés mourir par l’air ambiant !

Parlons-en de son parfum. Le ranci embaume dès qu’il entre dans le verre. Il marque d’emblée son territoire, montrant de manière flagrante qu’il ne s’agit pas d’un vin conventionnel. Car ce vin est tout bonnement l’ancêtre de nos grands Banyuls ou Maury, l’ancêtre de l’avant mutage, de l’avant législation. Il est sec et « rancioté » et c’est ce qui importe le plus. À moins d’avoir pigé dès le départ, je soupçonne que vous vous demandez où je veux en venir ? Rien de tortueux, rassurez-vous. Je souhaite simplement vous entraîner aujourd’hui au pays qui est devenu le mien par les hasards de la vie. C’est aussi le pays de Gérard Gauby, d’Hervé Bizeul et d’une flopée d’hurluberlus tous aussi curieux et cinglés les uns que les autres. Ce pays est la Catalogne, du moins la partie française de la Catalogne. Certains préfèrent entendre le nom de Roussillon, d’autres ne parlent que de Pyrénées-Orientales. C’est moins poétique, je le concède, mais quelque part plus exotique. Révisez donc votre histoire, moi, cela ne me regarde pas puisque je vois mon pays d’adoption comme un magistral trou du cul de la France riche d’une culture vinique à faire pâlir d’envie bien des vignobles plus tonitruants, notamment ceux de l’autre versant des Pyrénées. Mais passons, car l’important ici est de souligner l’hypocrisie de certains d’entre nous qui s’affirment « connaisseurs » et qui, finalement n’y connaissent pas grand-chose, ou si peu, à moins qu’ils n’oublient leurs classiques et qu’ils ne savent plus laisser parler leur cœur pour mieux s’ouvrir aux différentes approches du vin.

L'incomparable Rancio sec de la Rectorie, à Banyuls-dur-Mer. Photo©MichelSmith
L’incomparable Rancio sec de la Rectorie, à Banyuls-sur-Mer. Photo©MichelSmith

Je pense par exemple aux incultes qui osent dire que le rosé n’est pas un vrai vin ou que le vrai rosé doit se faire d’une manière et pas d’une autre. Et aux couillons qui ne rêvent que de grands crus en caisse bois avec la même force qu’il m’est arrivé d’avoir – en vain – en pensant qu’un jour peut-être Claudia Cardinale finirait tôt ou tard dans mon plumard… Mais ces gens-là ont-ils seulement entendu parler des rancios secs du Roussillon ? Ont-ils trempé une fois dans leur vie, voire effleuré de leurs lèvres le gras de ce vin mordant au possible ? Ont-ils su saisir ces longs moments de grâce où le vin pénètre dans le corps jusque dans les entrailles ? Ont-ils compris la claque ? Ont-ils saisi la jouissance ? Face à de tels vins, on a vite fait de faire le ménage autour de soi, d’évacuer les importuns. Le plus souvent, ils se contentent de placer avec dédain leur nez au-dessus du verre ventru pour le repousser illico presto sur la table. Bande d’ignares ! Incapables qu’ils sont de soulever la jupe de ces vins de bronze et de topaze revêtus du jeu subtil d’ombres et de lumières. La vraie révélation du Sud est bien là, et ils n’y voient que dalle !

Domaine Sire, un des rois du Rancio. Photo©Michel Smith
Domaine des Schistes, un des rois du Rancio. Photo©Michel Smith

Alors, voilà. La catégorie de vins dont je vais vous parler n’a rien à envier aux grands crus de Sauternes, du Jura ou d’ailleurs puisqu’ils sont résolument « à part ». Ce sont des vins « qui fouettent les papilles » comme le dit fort à propos l’ami Gérard Muteaud sur le site du Nouvel Obs dont je vous recommande la lecture.

Sire, Daguerre et Danjou, trois pontes du Rancio sec ! Photo©MichelSmith
Sire, Daguerre et Danjou, trois pontes du Rancio sec ! Photo©MichelSmith

D’abord, on pourrait dire d’eux que ce ne sont pas de vrais vins puisqu’ils vont à l’encontre de tout ce que l’on enseigne dans les cours d’œnologie. Depuis cent ans, on vous serine que l’air ambiant, l’oxygène, est l’ennemi du vin, les variations de températures aussi et la lumière pendant que vous y êtes. Or, reprenant une sorte de vieille tradition paysanne, le « vi ranci », comme l’ont dit ici, se faisait de manière empirique dans un vieux tonneau jamais rempli à ras bord dans lequel on rajoutait chaque année un peu de vin frais, celui que l’on ne vendait pas au négoce local et que l’on gardait pour soi. Il en résultait un vin pas toujours bon selon nos critères actuels, mais parfois miraculeusement fin, que l’on gardait pour les grandes occasions qu’offrait la vie familiale, mariages, communions, etc. Là, je vous parle d’une époque plutôt faste qui remonte aux années 1870 à 1970 où le vin ne connaissait pas trop la crise, en dehors le l’épisode du phylloxera qui dévasta le vignoble : 38.000 ha de vignes dans le Roussillon en 1820, 60.000 en 1907, 70.000 en 1931. Mais il paraît que la tradition est beaucoup plus ancienne, sachant que la vigne a toujours été présente dans le Roussillon en même temps que les cultures des céréales, là où c’était possible, et de l’olivier, bien sûr.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Souvent caché sous l’escalier ou dans une pièce non chauffée de l’habitation, ou bien encore dans un recoin du chai lorsqu’il y en avait un, parfois même dehors, sous un auvent – les caves étaient rares dans ce pays où le raisin se vendait à des sociétés comme Byrrh ou à des coopératives pour faire des vins mutés à l’eau-de-vie ou aromatisés – ce vin « perpétuel », quelque fois coiffé d’un voile microbien, prenait alors en s’oxydant et en vieillissant le goût étrange de la noix verte mêlé dans le meilleur des cas à quelques notes épicées et fruitées. Des goûts que l’on retrouve dans d’autres pays comme l’Andalousie où ce type d’élevage s’est sophistiqué au fil des temps pour devenir une industrie au service d’une appellation comme le Jerez, par exemple. En ce temps-là, on « éduquait » le vin plus qu’on ne le faisait.

Celui de Ferrer-Ribière. Photo©MichelSmith
Celui de Ferrer-Ribière. Photo©MichelSmith

Côté français, dans le Roussillon, ce goût particulier, celui qu’en Espagne on appelait le « rancio », n’était pas aussi apprécié, sauf dans les campagnes. Notre palais, surtout celui des villes, s’affinait et devait être plus sucré. Les industriels des apéros ont cherché à se débarrasser du sec et du rance en ajoutant de l’alcool afin de conserver les sucres du raisin. Ainsi naquirent les différentes appellations de Vins Doux Naturels qui  à l’époque réjouirent nos mémés et pépés, Rivesaltes, Banyuls et Maury en tête, suivis de toute la kyrielle des vins de marques destinés à l’apéritif, au « quatre heures » aussi. Précisons tout de même que la technique existait depuis le Moyen âge et qu’elle permettait tout simplement aux vins de voyager sans trop d’encombres.

Jean L'Hériritier et Marc Parcé, chevilles ouvrières du Rancio sec auprès de Slow Food. Photo©MichelSmith
Jean L’Hériritier et Marc Parcé, chevilles ouvrières du Rancio sec auprès de Slow Food. Photo©MichelSmith

Aujourd’hui,  il faut être fou et se casser la tête pour oser attendre 5 à 10 ans afin que le goût de rance, le fameux rancio, fasse surface et puisse être embouteillé pour être revendu à un prix conséquent. Il faut être cinglé pour exposer son fût à l’extérieur, lui infliger les variations de températures et les intempéries. Fou, parce qu’il y a de la perte (la fameuse part des anges) dans l’air et pas mal de risques à prendre : soit le rancio se développe de manière élégante et subtile afin de ne point trop heurter le palais des dégustateurs et c’est tant mieux, soit il imprime à un vin la limite repoussante, mais indélébile, quelque chose de vulgaire et de proprement imbuvable. L’autre gageure consiste à faire en sorte que la fermentation du jus de raisin se fasse totalement pour justifier le qualificatif de « sec », chose qui n’est pas évidente quand le taux d’alcool frise ou dépasse les 16°/17°. Pour ma part, il m’arrive de privilégier  certains types de rancios qui virent vers le demi-sec, donc pas tout à fait secs. Affaire de goût. Sur les roqueforts et certains desserts, ils sont incomparables, tandis que les secs peuvent jouer un rôle au moment de l’apéro sur des crustacés, des coquillages ou des anchois.

Le Rancio sec de la Préceptorie. Photo©MichelSmith
Le Rancio sec de la Préceptorie. Photo©MichelSmith

C’est pourquoi il convient de saluer l’initiative de Slow Food, association mondiale qui, sous l’égide de ses Sentinelles, et au début du millénaire, a remis au goût du jour cette production artisanale de qualité. Les cépages concernés sont les différentes variétés du Grenache (gris, blanc, noir), Carignan, Maccabeu. De là, une association de producteurs est née qui rassemble quelques domaines parmi les plus convaincus sous le nom de Rancios Secs du Roussillon. Peu ou prou, je rejoins mon ami Muteaud dans sa liste de favoris. Pour résumer, j’ai été impressionné ces derniers temps en priorité par les Frères Parcé, du Domaine de La Rectorie à Banyuls qui nous offrent un vin proprement divin, religieux, pur. Puis viennent le Domaine de La Tour Vieille à Collioure (« Mémoires », que je trouve d’un extraordinaire rapport qualité prix avec le « Cap Creus »). On remarquera ensuite des vins curieux comme ce « Ranfio Fino » (vin de voile) de Vial Magnères à Banyuls et dont j’aime aussi la cuvée « Al Tragou ». Autre vin semblable quoique plus discret, celui du Domaine Ferrer-Ribière, dans les Aspres. À ne pas négliger, le « Al Padri » de la Cave l’Étoile, également de Banyuls, probablement le moins cher, mais le plus rustique du lot. Avec le cépage blanc catalan Macabeu, il faut retenir les vins du Domaine de Rancy, à Latour de France. Pour le côté « solera » élevage particulier où les vins jeunes sont éduqués par les vins vieux en même temps qu’ils viennent les renforcer, il faut aller au Domaine des SchistesJaques et Nadine Sire font des merveilles aidés de leur fils Michael. Pour compléter la collection, ne pas négliger non plus l’un des noms les plus en vue, celui du Domaine Danjou-Banessy, qui offrait un 1980 d’enfer ! Je pourrais aller plus loin, fouiller de fond en comble le Roussillon des Aspres à la Vallée de l’Agly pour dénicher des vins, que dis-je, des trésors, à des prix défiant parfois l’entendement. Mais après tout, maintenant, c’est à vous de travailler !

Michel Smith

Vins « nature » : aux chiottes les intrants !

8 Sep

Élégant comme titre, n’est-ce pas ? Évidemment, j’aurais pu dire «À bas les intrants !», ou mieux encore «Basta les intrants !», mais comme je suis d’humeur irrévérencieuse et que je suis mon propre rédac-chef, je me lâche.

D’abord qu’entends-je par «intrants» ? Si je consulte mon Larousse en ligne, je constate qu’à l’énoncé de ce mot, il fait tilt et m’adresse un message d’erreur. Idem du côté de son frangin british, le Harrap’s. Voyons donc du côté de chez god Google… Là ça marche un peu mieux car il convoque son assistant Wiki qui me propose une « ébauche », laquelle m’explique que cela concerne différents produits apportés aux terres et aux cultures : engrais, amendements, produits phyto, activateurs ou retardateurs, semences et plants… Bref, des additifs plus que louches.

Photo : DR

Ce machin, pardon ce mot qui est en train sournoisement de s’immiscer dans notre belle langue serait-il devenu un barbarisme de plus, un truc d’un nouveau genre, un mot à la mode pour remplacer le mot additif? Il est vrai qu’il est utilisé en long, en large et en travers, à tout bout de champ, si vous préférez, par mes chers petits camarades naturistes (ou naturophiles) du vin, à commencer par mon ami Antonin Iommi-Amunategui, auteur d’un nouveau petit (23 pages) livre rouge au titre manifestement polémique, Manifeste pour le Vin Naturel, publié aux Éditions de l’Épure. Ce même personnage, clone basque du Dujardin cinématographique à l’allure de grand échalas échevelé, organisateur d’un salon de vins très «naturels», dirige un blog assez déjanté: No Wine Is Innocent, hébergé par le web media L’Obs/Rue 89Un site qui, soit dit en passant, ne rechigne pas sur la pub intrante comme celle de Citroën ou de Pierre & Vacances. Mais bon, faut bien vivre…

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Invité à venir prêcher la bonne parole du vin dit «naturel» dans les murs hideux de la bibliothèque municipale du vieux Perpignan, le chevalier Antonin nous a gratifié d’une causerie d’une heure sur le sujet suivie d’une dégustation au Comptoir des Crus, la cave dirigée par Jean-Pierre Rudelle. Sans me priver d’intervenir de temps à autres, vous vous en doutez, j’ai bien écouté le discours pour enfin comprendre ce que je savais déjà, à savoir que le vin naturel est plus un concept philosophico-écolo-mélanchono qui, certes, prends racines dans les grandes villes, mais semble s’étendre désormais jusque dans les profondeurs de nos campagnes, là où il y a des pigeons, mais aussi des buveurs assermentés et des vignerons-résistants armés de certitudes bien ancrées du genre (j’arrange à ma manière) : laissons la vigne pousser et le raisin venir sans rien rajouter de ce qui pourrait déranger son cycle naturel et encore moins dans la transformation de son jus en vin. Gare aux méchants qui parlent encore de «vins bobo pour amateurs bobo», j’apprends que le mouvement s’universalise à la vitesse grand « V » et qu’il serait stupide de l’ignorer et de le villipander.

Loin de moi de telles idées, mais… Bien entendu, les adeptes de ce mouvement qui fait tâche – enfin, qui s’agrandit de jour en jour – vont me haïr et me cracher dessus en me faisant sentir que je n’ai rien compris au film. Pourtant, de mon côté, en vieux routard-roublard que je suis vite devenu l’âge aidant, je dois préciser que je n’ai rien contre les tenants du vin sans intrants. Il m’arrive d’en boire très souvent.

Comme le laisse entendre Antonin, le vin évolue, les goûts aussi et tout ce que demandent ces braves filles et garçons, c’est qu’on les laisse boire en paix et découvrir à leur guise tous ces goûts nouveaux qui peuvent parfois déplaire aux grincheux, mais qui révèlent aux autres des aspects insoupçonnés de la plus hygiénique des boissons. «J’insiste sur le mot naturel, martèle Antoninpour dire que ces (ses) vignerons, eux, ne trichent pas. En allant vers eux, on a une garantie de transparence. Les vins sont sans artifices. C’est souvent la manifestation bancale et polémique du vin idéal. Le vin naturel fait parler du vin et c’est l’essentiel ».

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Et mon Antonin de faire comprendre qu’il est ravi de la tournure médiatique et polémique que déclenche ce mouvement, car il expose «une agriculture artisanale, autonome et saine qui offre un modèle économique alternatif, viable, durable», insistant aussi au passage sur la «conception plus libre et l’indépendance volontaire de ses acteurs, du vigneron au consommateur en passant par le caviste ou le restaurateur».

Cet aspect des choses est flagrant pour les habitués des réseaux sociaux. Comme moi, ils constatent la nature presque insurrectionnelle, parfois belliqueuse, bordélique et sauvage qu’ont certains partisans de cette nouvelle conception du vin, de cette contre-culture, devrais-je dire pour rejoindre Antonin, lorsqu’ils se mettent en avant. L’orateur balaie au passage avec conviction tous les clichés que déclenchent les vins naturels auprès des critiques, qu’ils soient journalistes, professionnels ou amateurs.

Ainsi, il tempère sur le soufre en s’appuyant sur les recommandations de l’Association des Vins Naturels : « Il ne faut pas se focaliser que sur les sulfites car ceux-ci sont tolérés même s’ils ne sont pas souhaités. En revanche, nous ne cédons rien sur l’emploi des levures naturelles qui, elles, sont les seules garantes d’une transformation naturelle de jus de raisin en vin. En cela nous sommes contres les grigris de l’oenologie tout en sachant que le vin réclame soins et attentions ».

Photo©MichelSmith
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Enfin, Antonin admet volontiers et va jusqu’à déplorer que l’utilisation du qualificatif «naturel» sur une étiquette ne soit pas légale: « Je serais pour l’officialiser afin de foutre un peu plus la merde », dit-il pour avouer dans la foulée que sa réflexion «est peut-être utopique». Oui, tout cela ne serait-il pas un peu utopique ? Comme pouvaient l’être l’ensemble des réflexions des soixante-huitards à une époque où ils prônaient l’amour et pas la guerre ?

Oscar Wilde, ce cher Oscar, disait bien qu’une « carte du monde sur laquelle ne figure pas le pays d’Utopie ne mérite pas le moindre coup d’œil ». Et croyez-moi, c’est bien pour cela que je suis allé voir celui qui mène l’insurrection contre les intrants qui seraient trop nombreux à ses yeux à être encore utilisés dans la conception d’un vin, fut-il bio ou biodynamique. En plus du doute que j’affiche souvent lorsque je me trouve en présence d’un vin dit «naturel», je reste donc sagement figé, comme Antonin, dans cette utopie un rien naïve, bien décidé à accompagner de ma curiosité tout ce qui se fait dans ce registre du « nature ».

Tout en demeurant sceptique. Car je suis à l’écoute, convaincu qu’aucun de ces nombreux vins « bizarres » goûtés ces vingt dernières années se revendiquant peu ou prou de ce mouvement n’a été en mesure de m’impressionner au point de m’émouvoir jusqu’aux larmes. Se pourrait-il cependant que je sois à ce point insensible à la beauté des choses ? Je ne le crois pas.

Michel Smith

Cet article a été précédemment publié en Octobre 2015 sur le site Les5duVin

Oh, les Bourges, on se bouge !

9 Fév

Vrai ça ! Du Médoc capitale Pauillac au Libournais capitale Saint-et-Millions, le Mondovino, le monde du vin n’a de mots que pour les Crus Classés au point de nous casser les oreilles et les… Or, ce n’est pas logique. En effet, il m’apparaît par je ne sais quel éclair tombé du ciel que, depuis quelques années, lorsqu’ils ont cherché face à la presse agenouillée à s’acheter une conduite syndicale affichant force bonnes manières et intégrité en même temps qu’un jeu limite grand show, notre chère, noble et illustre confrérie des Crus Bourgeois s’est comme volatilisée de la scène médiatique. Côté communication, les « bourges » du Bordelais, du moins ceux du Médoc, me semblent dangereusement en sommeil. Seraient-ils en manque d’inspiration ? En recherche désespérée d’une bonne attachée de presse ? Ou bien se mettraient-ils volontairement en mode discrétion absolue pour éviter les questions qui fâchent ? Éviter de reparler de procédures judiciaires par exemple lancées au lendemain de leur magistrale réforme de 2010. Dommage, car on aimerait bien – moi en tout cas, puisqu’ils ont fait partie de mon apprentissage  – en savoir plus sur leur devenir. Où en sont -ils ? Que font ils ?

Bon d’accord, il est vrai que, coutumier du fait, j’affirme des choses en vrac, sans savoir. Vrai aussi que cela doit faire une éternité que je n’ai franchi la porte d’un chai médocain fut-il Bourgeois. C’est un fait : je n’ai pas lu toute la presse du vin ces temps-ci et on va dire que je suis en retard d’une guerre chose que je comprends vu que je ne peux plus me payer d’abonnements à la RVF, Vignerons, Terre de Vins ou au Wine Spec et que même, ô sacrilège !, dans un souci bien légitime de vouloir protéger mon pauvre portefeuille, j’ai omis de renouveler ma cotisation au plus vaillant des magazines du vin, j’ai nommé le très respectable Rouge et le Blanc, lequel ne dit que ce qu’il pense sans se laisser influencer par l’ogre publicitaire qui fait marcher au pas la langue de bois à défaut de celle de Molière ou du journalisme.

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Non mais, enfin quoi, qu’est-ce que ça peut bien signifier ce silence radio ? Communiquez les bourges ! C’est le peuple du vin qui le réclame quand bien même je sais pertinemment qu’il n’en a rien à foutre. Vite, ou sinon vous allez sombrer dans l’oubli ! N’y a-t-il plus d’émetteurs côté Médoc ? Serait-ce le calme plat vers l’estuaire ? Nos vignes-trotteurs Bettane & Desseauve ne courent-ils plus le célèbre marathon ? Ça leur ferait pourtant grand bien … (mes excuses les gars, mais faut penser à l’âge et la retraite qui vous guette !). Quant à Bob, soit, je veux bien admettre qu’il ait pu changer son fusil d’épaule en se concentrant sur la revalorisation des « petits » vins à moins de 10 $ tout en se gargarisant avec des grands crus à 200 $ minimum, mais enfin, que fait-il ? Ou alors, que font ses adjoints ? Pourquoi ne vont-ils pas enquêter sur cette extraordinaire source vineuse que le monde entier nous envie, les Crus Bourgeois ?

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Comment faire pour ne plus cautionner notre Brel national (bien que Belge) qui chantait haut et fort : « Les Bourgeois (remarquez mon « B » majuscule…), c’est comme les cochons plus ça devient vieux plus ça devient… » ? Je vous fais grâce du dernier mot qui pourrait être mal interprété par les temps qui courent et du non-dit qui suit encore plus impubliable. J’ai cherché sur Google avec ces mots : « Crus Bourgeois du nouveau ? » et les premiers articles arrivant en tête datent de 2010. Bon c’est vrai qu’en septembre et octobre 2012, la RVF et Le Point ont évoqué le classement annuel. Dans ce cas, serais-je un petit peu trop impatient ? Qui sait, après tout il se pourrait bien qu’on en reparle dans un petit mois ? Il est vrai que, pour la RVF en tout cas, il ne s’agissait pas d’un véritable article de fond. Plus un truc que l’on met sur un site en mal d’action au cas ou quelqu’un oserait aborder le sujet. Comme une nécro prête à l’emploi au Monde en quelque sorte. C’est pourquoi je vous recommande plutôt la lecture de l’article de Jacques Dupont qui évoque le classement pour le millésime 2010 et qui raconte fort bien la manière dont les choses fonctionnent. Mais depuis, plus rien. Silence radio, ou pas grand chose, sur cette « alliance » composée de 260 châteaux intègres… Allez, on va faire un petit test : lequel parmi vous serait capable de me citer de tête au moins trois noms de châteaux apparaissant pour la première fois en 2010 dans le « classement » (devrais-je dire « dans la liste » puisqu’ils ne sont classés qu’alphabétiquement ?) des Crus Bourgeois ? Et qui serait en mesure sans tricher de me citer le nom du grand vainqueur de la Coupe des Crus Bourgeois2013 toujours vaillamment organisée par Le Point ? Allez, pour ce dernier je vous aide, c’est ici.

Mis à part cet « événement » qui doit faire à chaque fois la « une » de la presse locale, on a vraiment une impression d’immobilisme chez les Bourgeois. Par curiosité (malsaine, cela va de soi), j’ai consulté au passage la liste des membres du Jury de la Coupe. Il y a des gens bien de tous les horizons, y compris un Master of Wine, un vrai, et la charmante Suzanne Methé de L’Amateur, magazine qui semble pourtant avoir fermé ses portes depuis plusieurs mois. On va dire qu’avec l’âge je deviens aigri ou jaloux, mais dans cette honorable liste, je ne vois pas un seul membre de l’équipe des 5 du Vin ! Pourtant, je jurerais volontiers que Hervé et (ou) David y auraient leur place vu qu’ils participent à de nombreux concours. Pour ce qui est de mon auguste personne, je ne recule pas devant l’obstacle qui consisterait à me frotter au monde bourgeois du Médoc. Tiens, au passage, il y a plus de 20 ans, certains châteaux dans les Côtes de Bourg, le Sauternais et les Graves entendaient revendiquer le terme de « Cru Bourgeois ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

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Pas grave tout ça, me direz-vous. On se consolera peut-être avec les Crus Artisans. Ça te dirait bien ça Hervé, non ? Quoi ? Qu’est-ce encore ? Un hochet de plus pour médocains oubliés, pour vignerons du bas de l’échelle ? Un classement pour les exclus et les pauvres de la presqu’île ? Allons, allons, trêve de persiflage master Smith. Les Crus Artisans existent bel et bien. Ce n’est ni plus ni moins qu’une association qui rassemble une quarantaine de domaines obéissant à certaines règles en partie détaillées ici même encore et toujours sous la plume experte de Jacques Dupont. Leurs vins sont bien plus abordables que ceux de la bande des Bourgeois ou ceux de l’aristocratie locale dite des « classés », même si certains de ces Crus Artisans commercialisent autour de 40 € le flacon, notoriété oblige. À l’instar de Château Béhèré, sur Pauillac , lequel a d’ailleurs été repris il y a peu, faute de successeur par, je vous le donne en mile, non pas par un russe ou un chinois, mais par un cinquième Cru Classé, le Château Pédesclaux. D’ailleurs, cela ne me surprendrait pas qu’un jour Béhèré fasse son entrée dans le monde des Bourgeois tant il est vrai que, dans le Médoc, on échappe rarement à son destin.

Michel Smith

PS- À titre personnel, et pour ceux que cela intéresserait, je vous donne la liste dans le désordre de quelques uns de mes Bourgeois préférés :

Bel Air, Belle Vue, Charmail, Lousteauneuf, Les Ormes Sorbet, Paloumey, Meyre, Peyrabon, La Tour Haut Caussan, La Tour de Mons, La Tour de By, Villegeorge, etc. Mais il est vrai que  j’aime aussi Sociando-Mallet, Gloria, Poujeaux et Chasse Spleen qui ne sont ni classés « grand cru », ni « bourgeois », enfin si j ne me trompe pas dans mes gammes…

Précision de l’auteur de ces lignes : ARTICLE PUBLIÉ EN 2013 SUR  les5duVin

Rancio, patience et langue de « cha »

18 Juin

Pourquoi ne pas faire ici l’éloge de la Patience ?

L’autre jour, je me suis transporté sans me presser chez moi, au plus profond du trou du cul de la France, là où il ne fait tout de même pas si mal vivre puisque le monde entier y accourt. Là, aux pieds du Canigou, à quelques pas du Centre du Monde, nous avons une spécialité en matière de vins que de nombreuses régions nous envient. Une spécialité qui exige une sacrée dose de patience. Bon peuple, sois rassuré, car je ne vais pas t’asséner un énième cours sur les Côtes du Roussillon Villages (ou pas Villages), ni sur les Vins de Pays des Côtes Catalanes dont les plus excitants sont très carignanisés. Non, ce ne sont pas les braves muscats qu’ils soient de Rivesaltes, de Printemps ou de Noël qui ont retenu aujourd’hui l’attention de mes délicates papilles. Ce n’est pas non plus mon beau Banyuls, encore moins mon Maury chéri, chéri… (au fait, qui se souvient dAlice Sapritch et de son « chéri, chéri » ?) que je redécouvre pour vous en ce jour printanier.

Le vin dont je vais causer a le plus souvent l’appellation un peu vieillotte et un brin ringarde de Rivesaltes tout court. Vous savez bien, le style de vin de la mémé qui dit à sa copine après une séance de sieste suivie de papotages et de ragots : « vous prendrez bien deux doigts de vin doux ? » tout en sortant du placard la boîte (en métal) qui renferme les boudoirs et les  langues-de-chat. Ah les langues-de-chat de ma mémé ! Et les plus anciens de se souvenir du chanteur bellâtre, vantant les mérites de ce vin et de son beau pays dans une pub façon Séguéla – l’enfant du pays devenu défenseur de la Rolex et non du Solex – sur l’air entraînant de « Je vais te chanter la ballade, la ballade des gens heureux »… Toute une époque !

En ce temps-là, dans les années 60, les «marketeurs» n’avaient d’yeux que pour les apéritifs de marque (Vabé, Bartissol, Byrrh… mais il y en avait d’autres) qui rapportaient alors un fric fou. Ces marques, que nos grand-mères (et pépés) confondaient souvent avec du vin cuit, se sont éteintes un beau jour, sauf peut-être quelques-unes qui sont encore présentes en GD. Accompagnant ce déclin, le public a oublié que, sous le nom Rivesaltes, il pouvait coexister plusieurs types de vins : grenat, tuilé, ambré, hors d’âge, etc. Parmi ceux-là, il en est un qui, à mon humble avis, est promis à un grand et long avenir, c’est le style rancio. Attention, ce terme, ou plutôt ce qualificatif, peut avoir au moins deux sens : rancio sec et rancio doux. Il peut aussi offrir une palette de robes entre tuilées et ambrées. Bien que cette distinction ne figure même pas dans le décret (à moins de l’avoir mal consulté ou mal interprété…), c’est le premier style, le rancio sec, qui à mon avis a le plus de noblesse et le plus de chances de séduire le palais des amateurs de vins originaux. Du moins, c’est celui qui ne souffre pas la moindre médiocrité, le moindre relâchement, la moindre marque d’impatience…

#Vendredi du Vin # 63 : Le mariage de patience entre Rancio sec et langue de Cha

Pour quelle raison a-t-il l’heur de me plaire ? Tout simplement parce qu’il se rapproche d’un mode d’élevage antique, très influencé me semble-t-il par l’Espagne si proche (mais n’étant pas Catalan, je me garderai de me prononcer avec certitude, vous le comprendrez…), et surtout un style qui réclame le plus d’abnégation puisque, en partant d’un rendement déjà faible, il faut accepter les longs séjours en vieux foudres dans une pièce sans chauffage ni climatisation, périodes au cours duquel le vin sue littéralement et s’évapore dans l’air sous forme de part des anges, phénomène encore en vogue chez les meilleurs producteurs de Cognac et d’Armagnac pour ne retenir que ces exemples-là. De cet élevage dans le temps, sur plusieurs années, plusieurs décennies parfois, le vin acquiert en même temps qu’il se concentre un goût aussi inimitable qu’il est indéfinissable. Un fort goût que, dans le pire des cas, l’on qualifiera de «goût de terroir» ce qui ne veut absolument rien dire. Car, pour moi, ce rancio a le goût même de la patience.

#Vendredi du Vin # 63 : Le mariage de patience entre Rancio sec et langue de Cha

C’est que le rancio est rancio, voilà tout. Et dans le mot rancio, il y a rance. D’où ce goût de noix verte, souvent ponctué, selon les sols, les cépages, les variations thermiques et les foudres d’élevages, de raisin de Corinthe, d’abricot sec, de bigarade, d’épices, de pierre à fusil, de café torréfié, de feuilles de tabac en fermentation, d’ananas confit, de fumée, de résine grillée, que sais-je encore. Bu frais, mais non glacé, servi à petites doses, le rancio sec est un régal à l’apéritif, sur du jambon Jabugo, par exemple, du chorizo, ou sur des amandes grillées, des olives, des anchois, etc. Il est fait pour les calmes, les sages, les philosophes. Précaution à prendre, il convient surtout d’en limiter sa consommation afin de laisser un peu de place – et de chance – aux vins qui vont suivre à table. Cette remarque, selon moi, vaut pour toutes les circonstances. Car c’est aussi un vin que je goûte volontiers sur les fromages, vieux brebis, cantal, comté, beaufort, et en général tous ces fromages que l’on peut accompagner d’une marmelade d’orange amère. Le rancio sec, c’est un peu comme le tango corse (clin d’œil à Fernandel), un de ces délicieux vins « conditionnés » qui incitent à la méditation – seul dans un transat, les yeux mi-clos, un cigare à portée de main – ou à la contemplation d’un paysage, d’un tableau, d’un film et pourquoi pas à l’écoute d’une grande musique baroque (Haendel, Bach, Lully…), d’opéra ou de jazz.

Mais je l’ai expérimenté récemment sur un mariage plus qu’inattendu, en fin d’après-midi, quand venait l’heure des douceurs. Tout cela m’est venu d’une amie journaliste, Brigitte, aujourd’hui partie pour un long et mystérieux voyage dans le ciel. Sur sa page Facebook, la dame avait présenté un jour la photo d’un drôle de rectangle d’un joli vert pâle, un vert plutôt pistache. Il s’agissait d’une nouvelle spécialité japonaise baptisée «Cha No Ka», une langue-de-chat au thé vert Okoicha (Matcha) de Kyoto, le nec plus ultra, paraît-il, des thés verts épais. Cette délicate douceur qui ressemble à une œuvre d’art contemporain comporte une mince épaisseur de chocolat blanc, comme prise en sandwich entre deux fines couches de langue-de-chat au thé vert. Suprême raffinement, délicate attention, chaque biscuit est emballé dans un sachet sous vide.

#Vendredi du Vin # 63 : Le mariage de patience entre Rancio sec et langue de Cha

Je ne suis pas fan des citations à tout va, mais là, je me régale tant avec ce mariage inattendu que j’ai ressorti celle d’Oscar Wilde«Le seul moyen de  se délivrer de la tentation, c’est d’y céder».
Voilà qui est fait. Mais dans la patience, cela va de soi.

Michel Smith

PS. Article revu et corrigé paru en 2014 sur le blog Pourlevin de l’époque… sur Skyrock !