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Pas de Mahler sans Clairette !

4 Avr

Vienne,1952. Bruno Walter dirige le Philharmonique de la capitale autrichienne. Il est accompagné de la contralto Kathleen Ferrier dans le fameux Chant de la Terre de Gustav Mahler qui fut l’ami du chef d’orchestre. Un « disque de légende », comme on dit. Un disque que je ne me lasse pas d’écouter. Et très souvent, je ne sais pourquoi ni comment, lors de mes retours de marché, il m’inspire au plus haut point et me plonge dans la préparation d’un plat spontané, sans suivre de recettes particulière et sans chichis, du type de plat qui va suivre. Sans oublier l’accompagnement.

La dernière fois, ce fut lors de mon retour d’un voyage au Maroc. J’avais soif de vin, de pureté salivante, de délice terrien. Cette soif ajoutée à la musique mahlerienne m’inspirèrent un risotto. J’ai une folle envie de vous le raconter, mon risotto. Mais avant toute affaire en cuisine, une descente en cave s’impose. Là, au bout d’une exploration rapide, je tombais pile au « rayon Rhône » sur trois bouteilles d’un vin IGP Méditerranée « Les Anthénors » de l’ami Jean-luc Colombo, un blanc issu de ses vignes de Clairette plantées quelque part au large de Carry-le-Rouet, plus précisément sur la commune de Sausset-les-Pins, à quelques lieues de Marseille, son port d’attache familial. J’examinai ce beau flacon à la forme légèrement évasée, l’étiquette ornée de trois cyprès – Jean-Luc ne fait jamais les choses à moitié -, pour découvrir le millésime. C’était un 2018 que j’avais volontairement oublié. J’ai toujours entendu, venant de la part de je ne sais quels doctes savants de la vigne et du vin, que la Clairette, par je ne sais quel manque d’acidité, ne saurait « vieillir » au-delà de deux ou trois ans. Sachant que ce cépage ancien était responsable à mes yeux de la finesse et de la profondeur de beaucoup de vins de Châteauneuf-du-Pape et de la méconnue appellation Clairette du Languedoc (goûtez celle du Château La Croix Chaptal, de par chez moi, dans l’Hérault) -, ce genre d’affirmation venant aussi de quelques remarques recueillies au fil des ans auprès de vignerons sudistes, me donna l’idée de conserver quelques exemplaires de ce cépage, comme ça, par curiosité, par esprit de contradiction certainement, enfin bref, juste pour voir. Certes six ans d’âge, ce n’est pas très vieux, mais enfin il faut faire avec ce que l’on a. Résultat, le flacon se retrouva illico au frigo pour dégustation. En un premier verre, le vin que j’avais apprécié dans sa jeunesse, n’avait guère me dire. Mais au bout de l’après-midi dans le verre, à l’air libre, il se décida à me parler, avé l’accent : fenouil des sentiers, garrigues, fleurs de thym, résine, salinité, pêche de vigne, j’étais bien en Provence, à la fois chez Giono, Pagnol et Guédiguian, en plein « Chant de la Terre ». Prenant en compte les origines italiennes, piémontaises je crois, de la famille Colombo, je gardais l’idée première d’un risotto.

Pour moi, faire un risotto, c’est un peu comme un jeu, une sorte de dépaysement, une évasion. Cette fois-ci, spontanément, je voulais donner au plat une connotation végétale et printanière inspiré que j’étais par ce que j’avais rapporté du marché, petits pois, oignons tendres, de l’aillé, ainsi qu’une botte d’asperges vertes.

A partir de là, le reste est simplissime : un peu d’huile de pépin de raisin au creux de la poêle pour faire frémir à feu vif les oignons, leurs tiges vertes et l’aillé émincés, deux ou trois belles louches de riso arborio, on touille bien jusqu’à faire briller et brunir légèrement l’ensemble, puis on y ajoute une louche de bouillon de légumes (ou de volailles), des tiges tendres d’asperges (garder la partie la plus dure des tiges pour un bouillon) taillées en fines rondelles; on touille encore et encore et, de nouveau, une louche de bouillon; lorsque le tout se met à bien saisir, on verse un demi verre du vin blanc de Clairette, quelques lamelles de parmesan pour obtenir un aspect quelque peu crémeux, puis une lichette de vin rancio pour parfumer, puis on touille et re-touille avec la spatule en bois avant de finir la cuisson avec une louche supplémentaire de bouillon, deux ou trois si nécessaire. L’opération prend une vingtaine de minutes et requiert une présence permanente au cours de laquelle on n’hésite pas à trifouiller la surface du plat à coups de tranchant de spatule dans un sens puis dans l’autre, à tourner et retourner le riz et, lorsque la cuisson avance bien, on goûte le grain jusqu’à ce qu’il soit croquant mais aussi fondant; ajouter sel et poivre selon son goût (perso, j’y met une mini cuillère à café de curcuma en poudre), on baisse le feu vers la fin de cuisson, on ajoute deux belles noix de beurre, un peu de thym frais et (ou) fines herbes grossièrement hachés, une louche de petits pois et les pointes d’asperges vertes mises préalablement en réserve lors de la préparation. Lorsque que le riz est à point, on saupoudre éventuellement selon goût un peu de Parmigiano Reggiano râpé (15 mois d’affinage au moins), on coupe le feu et on couvre le plat pour bien infuser les parfums avant de servir au besoin réchauffé une ou deux minutes à feu vif. Il m’arrive de rajouter le parmesan râpé au moment du service quitte à faire hurler les spécialistes.

Qu’il soit légumier, à base de crevettes ou de coquillages, aux truffes ou aux cèpes, à la moelle ou aux viandes blanches (lapin, pintade, poulet…), la rondeur, la suavité de la Clairette servie pas trop glacée se marie bien avec le risotto. La puissance retenue, la persistance en bouche du vin, sans oublier la profondeur, tout cela ressortira encore mieux si l’on tente de transvaser la veille le vin en une carafe ventrue. Après cela, on peut s’offrir une belle sieste en compagnie de la Première de Mahler, ou la Quatrième ou la Sixième, peu importe. Pour ma part, j’ai pu constater que s’il reste une lichette de Clairette en finale, ce n’est pas plus mal pour apaiser l’esprit !

Pour plus de Chant de la Terre, rendez-vous ICI !

Bruckner et le mystère enfoui de la Jarana

16 Sep

Dans le genre vin et musique ou musique et vins, on ne fait guère mieux ! Cette fois-ci, il y a le même souffle, la même respiration, le mouvement identique, la symphonique ressemblante, la communion ; majesté, paix, silence, puis dramaturgie musclée, magnificence, puissance, que sais-je encore…, dans l’émouvante interprétation de la symphonie n°7 d’Anton Bruckner par un Herbert von Karajan vieillissant mais vaillant, romantique, un dernier souffle de vie associé à la précision légendaire du Wiener Philharmoniker, “un disque de légende” comme on aime le claironner sur France Musique où je l’ai entendu pour la toute première fois, disque que j’ai pu récupérer chez mon pote YouTube afin de vous le faire partager en toute bonté de ma part, car ma bonté, elle aussi est légendaire, et elle n’a pas de limites !

Parce qu’il y a un mystère tout aussi dissimulé, mystère difficilement perceptible dans le vin blond et presque rond que je laisse fondre en bouche avant d’affronter mon déjeuner, une demi-heure de réflexion, c’est mon temps de méditation – il s’agit d’une cuvée Jarana de la maison Emilio Lustau à Jerez-de-la-Frontera – offrant au palais une progression que je qualifierai de “dramatique”, un vin “difficile” tellement qu’il est facile de passer à côté, de le voir sans y prêter attention, sans y déceler ce qu’il a à cacher. Et pourtant, j’aime ces vins émotifs, cette manière qu’ils ont de nous calmer, de nous faire adopter une lente respiration, encore une fois un mouvement en retenue, mais si joliment rythmée, respiration allègre perceptible uniquement les yeux clos, dans la discrétion, tant elle est faite d’élégance et de subtilités infimes entrecoupées de vastes paysages, espaces tantôt langoureux puis devenant subitement majestueux – je sais, je me répète – s’étirant en plein éveil, guettant la pleine lumière, celle de la création, celle de l’Andalousie (pourquoi pas puisque c’est le royaume de ce vin) qui s’accorde sans que l’on ait besoin de prier en ce précieux moment alors que résonne cette sublime « numéro sept » du cher Anton. Des choses que je ne ressens que chez lui ? Évidemment, non puisqu’il y a en réserve bien d’autres musiques planantes et dansantes même en allant flâner quelques fois vers le jazz et ses compositeurs de génie ; j’y reviendrai un jour en examinant d’autres vins aussi inspirants que celui-ci, ce Jerez (xérès chez certains sommeliers) Fino qui, au passage, me laisse encore en bouche cette saveur particulière comme une étrange salinité liée au cuir et à la sueur, un sucré-salé-amer, goût bizarre, me direz-vous, mais une saveur qui colle avec ces grands espaces, paysages arides et montagneux que l’on rencontre dans certains westerns bien filmés, du Technicolor certes, mais bien édulcoré, grâce à une étrange palette brumeuse, un peu comme ces montagnes douces, pourtant sévères, de nos Corbières ou des Cévennes.

Et comme s’il fallait en rajouter, je vous propose de communiquer un peu plus en sirotant quelques lampées de cette mystérieuse Jarana jusqu’à plus soif, tandis que vous laisserez voyager en vous le vin pour en apprécier chaque mouvement, chaque note, chaque instant le plus calmement et le plus longuement possible. Profitez-en, le vin n’est pas ruineux, du moins là où je l’achète. Je n’ai pas à ce jour meilleur exercice à vous proposer !

Alors, bien sûr, il y a Brahms, Ravel, Dvorák, Strauss, Debussy, Haydn, Beethoven et les autres… Tenez, j’ai aussi retenu pour vous cette merveilleuse symphonie numéro neuf de mon bien-aimé Gustav (Mahler) avec le même Karajan et son équipage dynamique du Berliner Philharmoniker. C’est beau et suave comme un Tokaji de Hongrie, ou comme un Danube bleu, bien bleu, sage et argenté comme la Loire vers Les Rosiers, entre Saumur et Angers quand on la descend, ou bucolique comme les rives de la Gartempe en Charente, comme un verre de Condrieu bu à Condrieu au bord du Rhône, ou encore tendre comme un coucher de soleil sur les Carpates, ou bien alors romantique comme une promenade nocturne dans un Venise désert un soir de pleine lune ! Amusez-vous donc à les marier ces rythmes avec les jus des treilles les jours de solitudes (oui, j’ai plusieurs solitudes !) lorsque vous ne savez guère que faire. Laissez votre “vague à l’âme” voguer au fil de votre rêverie, laissez-le vous guider sans opposer de résistance. Vous verrez, c’est un sacré bon moment à passer.

Michel Smith

Suivez le Biz !

29 Août
Hervé Bizeul

Chaque année, il me revient en tête. Comme la Chansonnette de Montand ou comme un boomerang que l’on aurait lancé avec précision au cours de l’endormissement hivernal de la vigne pour le recevoir entre les mains (ou entre les dents) au moment crucial des vendanges. Pas de doute, il énerve, il agace, il jalouse, il irrite les pores de la peau, et pourtant, l’homme du vin, c’est bien lui, le dénommé Hervé Bizeul. Oh, il ne se revendique pas comme tel, il ne proclame pas non plus qu’il l’est, mais il insiste surtout avec justesse, me semble-t-il, sur la nécessaire vision que l’on se doit d’avoir lorsque l’on parle du vin : celle d’un rapport intime entre l’homme, la plante et la nature. 

Le travail de la vigne est saisonnier et il serait stupide de croire – à l’instar de bien des protagonistes vineux – qu’il suffit de planter la vigne dans un trou pour en récolter ensuite tous les bienfaits et les bénéfices sonnants et trébuchants. Alors, j’en reviens à Hervé Bizeul, le type même de celui qui apprend en cinq minutes, l’encyclopédiste, le curieux de tout, le frangin qui cuisine comme un chef et qui séduit les nanas à coups de fourchette et de cuisson longue, le gars qui énerve quoi, au point d’en rajouter des lignes et des lignes sur un blog à nul autre pareil où il apparait en ouverture avec une fleur des champs entre les dents.

Le Roussillon, terre de Bizeul

Tout ce qu’il raconte dans ce blog indiscipliné est intéressant, tout ce qu’il décrit force l’intelligence, il fascine autant les vignerons culs terreux qu’il interpelle aussi ceux de la finance qui mettent leurs billes dans une terre starisée. On y suit les vicissitudes d’un homme des villes devenu rat des champs, explorateur infatigable de cailloux, de bosses rocheuses, de plans inclinés, chercheur sans diplômes en sciences viticoles, astrales, florales et tutti quanti, animateur-formateur d’équipes de femmes et hommes dont le principal est d’aimer le travail et de faire naître le plaisir qui en découle, même en rechignant les jours de pluie ou en grelottant face à la tramontane. Tout ce qu’il écrit, souvent avec beauté et drôlerie, tout ce dont il rêve et dont il reçoit l’émotion, un livre, une chanson, un poème, tout ce qu’il apporte, même lorsque le ton devient franchement technique, tout cela me touche, m’interpelle comme on disait il y a 50 ans, me frappe le cerveau et me laisse songeur quant au dur labeur de la vigne et du fruit béni que l’on attend d’ell

Quelques-unes de la bande à Bizeul

Comme l’an dernier, ses billets au jour le jour de la vendange me sont devenus lectures indispensables. Alors faîtes comme moi, abonnez-vous au Biz Nouveau et suivez le temps des vendanges pas à pas, filez droit sur le site d’Hervé Bizeul et de son Clos des Fées !

Michel Smith

Millésime Bio 2022 : mon petit parcours.

3 Avr

Bio ou pas, le tout dernier jour d’un salon consacré au vin a le plus souvent l’allure d’un vagabondage apaisant, et ce, pour plusieurs raisons, à commencer par le fait que l’on y croise moins d’emmerdeurs, moins d’anciens combattants de la vitisphère aussi, moins de vignerons saisis de grossetêtisme aigu, de journalistes désœuvrés ou sur le déclin (c’est mon cas !), moins de sommeliers starisés, moins d’attroupements aux stands des célébrités vigneronnes. En route pour une journée de dégustations à Millésime Bio 2022.

©Salon Millésime Bio

En réalité, pour bien visiter un tel salon (plus de 1.500 exposants), il faut s’organiser, planifier ses dégustations, parcourir des kilomètres en tentant d’éviter les enseignes amies afin de respecter au mieux un planning et enfin, boire, boire beaucoup d’eau. Autant de choses dont je me sens incapable. Sans organisation précise, il faut donc se fier à l’improvisation et à la liberté qui en découle. Suffit alors d’arpenter une travée prise au hasard, d’éviter les invitations pressantes de commerciaux aux allures de rabatteurs de boîtes de nuit, ne pas trop se fier aux mines souriantes des uns et des autres, marcher droit en levant bien la tête pour repérer les noms d’exposants, noms qui déclenchent l’envie de passer son chemin ou, au contraire, de s’arrêter pour une pause ou une dégustation des plus complètes. Ce faisant, on accepte le principe du choix arbitraire, voire hasardeux : c’est ainsi que, de manière à ne pas trop embrouiller mon palais, et ce, jusqu’à l’heure du déjeuner, j’attaque sans discussion au blanc sec, puis j’accélère aussi sec au rouge jusqu’à ce que la faim, comme réveillée par les tannins, se profile et me tenaille. Pour finir, clore la visite par des bulles. Pas de vins spéciaux, privé de liqueurs, de cidres, poirés ou bières…

On part donc avec l’idée que l’on ne va pas participer à un marathon-dégustation à l’image de ce que l’on savait faire lorsque l’on était jeune et beau, mais que l’on s’autorise juste une promenade curieuse pleine de bonnes surprises. Accepter enfin le fait que l’on ne peut pas tout en même temps goûter, cracher, se concentrer, prendre de notes et photographier. Ceci explique la pauvreté des illustrations dans ce reportage, la plupart de mes photos étant ratées du fait d’un encombrement quelque peu déstabilisant : carnet, stylo, mouchoir en papier, portable, etc.

©PhotoMichelSmith

Il me fallait des blancs en ce début de matinée lorsque je me suis scotché au stand de Jean (le père) et Victor (le fils) Gardiès qui, selon ma propre expérience des vins du Roussillon, sont à mettre en peloton de tête d’un éventuel top ten de cette région qui fut longtemps la mienne. Les Gardiès m’ont présenté 4 blancs secs, tous impeccables, issus de leurs vignes, ce qui prouve une fois de plus que le Roussillon devient de plus en plus un eldorado pour des vins de cette catégorie. Les quatre, de vignes, de cépages sudistes, d’assemblages et d’élevages différents, traduisent la grandeur des paysages de la Vallée de l’Agly et attestent de façon admirable le travail sérieux et réfléchi effectué de longue date par Jean Gardiès. Mon préféré est la Torreta (40 €), un vin nouveau basé sur le Tourbat en majorité (Malvoisie du Roussillon) et le Maccabeu, le tout élevé plusieurs mois en demi-muids et 12 mois en bouteilles. Moins cher, le Grenache gris joliment intitulé « Je cherche le ciel » (19 €) est tout aussi remarquable. Ça commence bien, et j’ai au moins une photo !

©PhotoMichelSmith

Deuxième halte blanche, angevine cette fois, au Domaine Ogereau qui, sur 23 ha de vignes, en possède 5 ha en Savennières, le tout avec des lieux-dits bien répartis en 3 appellations. C’est parfaitement expliqué par Emmanuel Ogereau sur le site maison. Je ne goûte que les 2020 actuellement en vente et, après une “Saponnaire” ample et persistante, je pose mon nez sur la délicatesse des “Bonnes Blanches” (24 €), un sec doté d’une éclatante acidité évoquant cette lumière que l’on ne trouve qu’en bord de Loire. Retour vers le Layon, l’Anjou “Vent de Spilite” est comme cisaillé, sculpté par le temps, offrant droiture et structure, le tout porté par une persistance de toute beauté. On remonte vers Chaume avec cette “Martinière” d’appellation Anjou aux sols chauds et caillouteux qui évoquent puissance et longueur. Vient un Savennières “Le Grand Beaupréau” (27 €), clos situé sur les hauteurs aux pieds du moulin du même nom. Je tombe amoureux de ce vin car, tout en restant sur la fraîcheur tonique, je me laisse prendre par le gras, l’épaisseur, l’opulence… Une veine de grès sur le même coteau me fait tomber sur un Savennières “L’Enthousiasme”, blanc étale à la fraîcheur exemplaire, sans parler de la fougue énergique et de la longueur. Pour finir, un Coteaux-du-Layon Saint-Lambert (20 €), un entre-deux qui associe la finesse du botrytis à l’éclat de la fraîcheur. Je compte bien me rincer en beauté au Crémant, mais il n’y en a pas…

Par bonheur se pointe le Domaine Sauvète et son Touraine Sauvignon 2020 (10 €) très agréable de maturité, prêt à boire et joliment savoureux comme l’est le même cépage en Touraine Chenonceaux 2019 (14 €) à la fois clair et bien dessiné. Au passage, je ne peux passer à côté d’un rouge “Antea” 2018 de même appellation (comme de prix) marqué par 80 % de Côt aux jolies notes de cassis.

Photo©OlivierLebaron

I mix French and English with Deborah and Peter du Mas Gabriel et un délicieux Carignan blanc d’IGP Hérault 2021 (16 €). Bien que j’en sois tenté, je ne vais pas faire appel à la “minéralité”, mais plus à l’éclat fruité que m’évoque ce beau vin : poire et pomme presque blette, soleil, en veux-tu, en voilà, longueur aussi, acidité avec une pointe de verveine citronnée, c’est à mon avis un blanc d’avenir qu’il convient d’encaver. À noter que les “Trois Terrasses”, rouge 2020 (13 €) à majorité Carignan, au joli nez fin, velouté et notes de café en grains, souple, mais long, reste une fort belle affaire.

Languedoc toujours, même secteur de Caux, avec la Font des Ormes, domaine de 20 ha d’un seul tenant et un premier et prometteur millésime (2021, 14 €) blanc à forte majorité Rolle complété par le Grenache gris, aussi intéressant en complexité et longueur que l’IGP Pays de Caux 2021 (18 €), de pur et vieux Terret Bourret, sol de basalte sur calcaire. En rouge, je suis étonné par l’élégance du Coteaux-du-Languedoc Pézenas “Basalte” 2016 (28 €) dont les vignes de Mourvèdre, Syrah et Grenache sont au sommet d’une coulée de lave : notes salées, fumées, harmonie, distinction des tannins et jolis fruits rouges tout en longueur. Noter que ces deux cuvées existent en magnum.

Immanquable arrêt au stand d’Alain Chabanon, un des grands noms du Languedoc. On attaque avec le rosé “Tremier“ 2020 de pressurage direct, IGP Saint-Guilhem-le-Désert (12 €) à 80% Mourvèdre, reste Grenache blanc toujours aussi craquant de franchise ponctuée par un léger grésillement tannique. Un Terrasses-du-Larzac 2020 “Campredon” (Mourvèdre, Syrah, Grenache presque à égalité (16,50 €) vient ensuite : encore un peu perturbé par la mise récente, il ne livre qu’un joli fruit et une belle fermeté. Cependant, mon préféré en rouge reste tout de même le joli clin d’œil au Merlot “Petit Merle aux Alouettes” 2020 (16,50 €) qui, avec une macération de 30 jours, nous offre une magnifique matière, du grain et de formidable tannins équilibrés.

Prochain quai d’amarrage, celui de Rémy Soulié du Domaine des Soulié, à Assignan, un des tout premiers bio de France. J’y vais d’habitude pour son Malbec franc et sincère (7,50 €), ainsi que pour le sourire du vigneron et pour son Saint-Chinian toujours simple, joyeux et équilibré (7,50 € pour le 2021). Mais c’est la version 2020 d’un pur Cinsault (7,50 €), IGP Vin de Pays des Monts de Lagrage, certes un peu vert, mais bigrement frais et décoiffant en bouche, que je retiens le plus.

Photo©DomaineSérol

Puisque le rouge est lancé, c’est au tour du GamayCarine et Stéphane Sérol, comme toujours, sont à la manœuvre avec une Côte Roannaise 2020 “Les Millerands”, vieux plants de Gamay de 70, 90 et 110 ans d’âge à 520 m d’altitude qui d’emblée vous font sourire de plaisir tant la bouche est juteuse autant qu’harmonieuse. Engouement personnel pour le “Perdrizière” 2020 (sol de gorrhe) somptueux malgré une matière en réserve, particulièrement long en bouche et armé de jolis tannins. Sans soufre, 7 mois en amphores, “Chez Coste” 2020, vignes de 30 ans, ne démérite pas non plus : joli nez, souplesse en attaque, mais vif par la suite, bien structuré, il fait preuve d’allant et de charme. Et pour clore la séance, on a droit à une coupe de Méthode ancestrale dégorgée “Turbulent”, un pur jus de Gamay ne titrant que 9,5° (12 €) toujours aussi allègre et si beau à mirer !

Pto©MichelSmith

Au tour du Champagne avec deux maisons (et domaines) en ligne de mire, à commencer par Fleury qui se compose de 15 ha de vignes dans l’Aube. Sur 10 cuvées dégustées, dont deux Coteaux Champenois blanc et rouge, je retiens le brut nature “Notes blanches” 2015, un pur Pinot blanc toujours aussi vif, brillant, dense et plein d’esprit. Le très Pinot noir “Sonate” 2012, à la fois épicé, grillé et blé mûr, avait du mal à aller plus loin, car servi trop glacé. Ce ne fut pas le cas en revanche de mon favori du moment, le pur Pinot noir sans dosage (extra brut) “Boléro” 2008 (90 €), élevé au tiers sous bois, que j’ai adoré à la fois pour son bon rapport acidité/gras/densité, mais aussi pour sa structure et sa longueur. 

Enfin, au stand Leclerc Briant, maison qui dispose de 14 ha de vignes près d’Épernay, j’ai le plaisir de goûter un “Blanc de Meunier” 2015 (140 €), cuvée crée avec le millésime 2013 à partir de cépage Meunier ou Pinot Meunier provenant du nord de la Montagne de Reims. Un zéro dosage large et expressif en bouche, poire et pomme dominantes sur fond presque miellé. Tirage de 3 à 4.000 bouteilles.

Michel Smith

Le Vin de l’Adieu

23 Fév

Il arrive qu’un ami nous quitte, comme ça, sans rien dire.

Un copain de bistro nommé Eric, un camarade parisien exilé dans ce Sud profond…

Robe vieil or ou bronze aux multiples reflets joyeux, le verre tournoie et vient égayer la table de travail pour évoquer le souvenir d’un copain.

A portée de l’œil, proche du nez, pas loin de la bouche, le vin de chenin, l’Anjou, l’ange et le vin, l’Angevin, celui qui balise le chemin, le ch’nin du voyage, le vin de l’adieu, celui qui brille et que l’on trinque plus d’une fois, que l’on boit en pensant à ce personnage mystérieux, chaleureux, cet ancien, Eric, fidèle et courageux compagnon du café à la terrasse animée donnant sur la place des Trois Six.

Le Quarts de Chaume presque éternel, celui d’une grande année et d’un domaine angevin qui fut exemplaire, le sublime cru de lumière et de clarté, une de ces bouteilles que l’on n’oubliera pas de si tôt.

Michel Smith

Vins « nature » : aux chiottes les intrants !

8 Sep

Élégant comme titre, n’est-ce pas ? Évidemment, j’aurais pu dire «À bas les intrants !», ou mieux encore «Basta les intrants !», mais comme je suis d’humeur irrévérencieuse et que je suis mon propre rédac-chef, je me lâche.

D’abord qu’entends-je par «intrants» ? Si je consulte mon Larousse en ligne, je constate qu’à l’énoncé de ce mot, il fait tilt et m’adresse un message d’erreur. Idem du côté de son frangin british, le Harrap’s. Voyons donc du côté de chez god Google… Là ça marche un peu mieux car il convoque son assistant Wiki qui me propose une « ébauche », laquelle m’explique que cela concerne différents produits apportés aux terres et aux cultures : engrais, amendements, produits phyto, activateurs ou retardateurs, semences et plants… Bref, des additifs plus que louches.

Photo : DR

Ce machin, pardon ce mot qui est en train sournoisement de s’immiscer dans notre belle langue serait-il devenu un barbarisme de plus, un truc d’un nouveau genre, un mot à la mode pour remplacer le mot additif? Il est vrai qu’il est utilisé en long, en large et en travers, à tout bout de champ, si vous préférez, par mes chers petits camarades naturistes (ou naturophiles) du vin, à commencer par mon ami Antonin Iommi-Amunategui, auteur d’un nouveau petit (23 pages) livre rouge au titre manifestement polémique, Manifeste pour le Vin Naturel, publié aux Éditions de l’Épure. Ce même personnage, clone basque du Dujardin cinématographique à l’allure de grand échalas échevelé, organisateur d’un salon de vins très «naturels», dirige un blog assez déjanté: No Wine Is Innocent, hébergé par le web media L’Obs/Rue 89Un site qui, soit dit en passant, ne rechigne pas sur la pub intrante comme celle de Citroën ou de Pierre & Vacances. Mais bon, faut bien vivre…

Photo©MichelSmith
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Invité à venir prêcher la bonne parole du vin dit «naturel» dans les murs hideux de la bibliothèque municipale du vieux Perpignan, le chevalier Antonin nous a gratifié d’une causerie d’une heure sur le sujet suivie d’une dégustation au Comptoir des Crus, la cave dirigée par Jean-Pierre Rudelle. Sans me priver d’intervenir de temps à autres, vous vous en doutez, j’ai bien écouté le discours pour enfin comprendre ce que je savais déjà, à savoir que le vin naturel est plus un concept philosophico-écolo-mélanchono qui, certes, prends racines dans les grandes villes, mais semble s’étendre désormais jusque dans les profondeurs de nos campagnes, là où il y a des pigeons, mais aussi des buveurs assermentés et des vignerons-résistants armés de certitudes bien ancrées du genre (j’arrange à ma manière) : laissons la vigne pousser et le raisin venir sans rien rajouter de ce qui pourrait déranger son cycle naturel et encore moins dans la transformation de son jus en vin. Gare aux méchants qui parlent encore de «vins bobo pour amateurs bobo», j’apprends que le mouvement s’universalise à la vitesse grand « V » et qu’il serait stupide de l’ignorer et de le villipander.

Loin de moi de telles idées, mais… Bien entendu, les adeptes de ce mouvement qui fait tâche – enfin, qui s’agrandit de jour en jour – vont me haïr et me cracher dessus en me faisant sentir que je n’ai rien compris au film. Pourtant, de mon côté, en vieux routard-roublard que je suis vite devenu l’âge aidant, je dois préciser que je n’ai rien contre les tenants du vin sans intrants. Il m’arrive d’en boire très souvent.

Comme le laisse entendre Antonin, le vin évolue, les goûts aussi et tout ce que demandent ces braves filles et garçons, c’est qu’on les laisse boire en paix et découvrir à leur guise tous ces goûts nouveaux qui peuvent parfois déplaire aux grincheux, mais qui révèlent aux autres des aspects insoupçonnés de la plus hygiénique des boissons. «J’insiste sur le mot naturel, martèle Antoninpour dire que ces (ses) vignerons, eux, ne trichent pas. En allant vers eux, on a une garantie de transparence. Les vins sont sans artifices. C’est souvent la manifestation bancale et polémique du vin idéal. Le vin naturel fait parler du vin et c’est l’essentiel ».

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Et mon Antonin de faire comprendre qu’il est ravi de la tournure médiatique et polémique que déclenche ce mouvement, car il expose «une agriculture artisanale, autonome et saine qui offre un modèle économique alternatif, viable, durable», insistant aussi au passage sur la «conception plus libre et l’indépendance volontaire de ses acteurs, du vigneron au consommateur en passant par le caviste ou le restaurateur».

Cet aspect des choses est flagrant pour les habitués des réseaux sociaux. Comme moi, ils constatent la nature presque insurrectionnelle, parfois belliqueuse, bordélique et sauvage qu’ont certains partisans de cette nouvelle conception du vin, de cette contre-culture, devrais-je dire pour rejoindre Antonin, lorsqu’ils se mettent en avant. L’orateur balaie au passage avec conviction tous les clichés que déclenchent les vins naturels auprès des critiques, qu’ils soient journalistes, professionnels ou amateurs.

Ainsi, il tempère sur le soufre en s’appuyant sur les recommandations de l’Association des Vins Naturels : « Il ne faut pas se focaliser que sur les sulfites car ceux-ci sont tolérés même s’ils ne sont pas souhaités. En revanche, nous ne cédons rien sur l’emploi des levures naturelles qui, elles, sont les seules garantes d’une transformation naturelle de jus de raisin en vin. En cela nous sommes contres les grigris de l’oenologie tout en sachant que le vin réclame soins et attentions ».

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Enfin, Antonin admet volontiers et va jusqu’à déplorer que l’utilisation du qualificatif «naturel» sur une étiquette ne soit pas légale: « Je serais pour l’officialiser afin de foutre un peu plus la merde », dit-il pour avouer dans la foulée que sa réflexion «est peut-être utopique». Oui, tout cela ne serait-il pas un peu utopique ? Comme pouvaient l’être l’ensemble des réflexions des soixante-huitards à une époque où ils prônaient l’amour et pas la guerre ?

Oscar Wilde, ce cher Oscar, disait bien qu’une « carte du monde sur laquelle ne figure pas le pays d’Utopie ne mérite pas le moindre coup d’œil ». Et croyez-moi, c’est bien pour cela que je suis allé voir celui qui mène l’insurrection contre les intrants qui seraient trop nombreux à ses yeux à être encore utilisés dans la conception d’un vin, fut-il bio ou biodynamique. En plus du doute que j’affiche souvent lorsque je me trouve en présence d’un vin dit «naturel», je reste donc sagement figé, comme Antonin, dans cette utopie un rien naïve, bien décidé à accompagner de ma curiosité tout ce qui se fait dans ce registre du « nature ».

Tout en demeurant sceptique. Car je suis à l’écoute, convaincu qu’aucun de ces nombreux vins « bizarres » goûtés ces vingt dernières années se revendiquant peu ou prou de ce mouvement n’a été en mesure de m’impressionner au point de m’émouvoir jusqu’aux larmes. Se pourrait-il cependant que je sois à ce point insensible à la beauté des choses ? Je ne le crois pas.

Michel Smith

Cet article a été précédemment publié en Octobre 2015 sur le site Les5duVin

Comment « dire » le vin ?

2 Sep

Il y a peu, je me suis laissé embarquer dans une série de pensées (un peu vaines à dire vrai, pas très claires, je l’avoue) sur l’approche qui m’anime lorsque j’évoque le vin. Il serait temps vous me direz, puisque cela fait bien quarante années que je cause de ce sujet. Ce n’est pas pour attribuer des médailles, encore moins des bons points mais, après plusieurs années et des milliers de pages de lectures, je m’autorise une modeste auto analyse : grognon, brutal, désordonné, peu équitable parfois et souvent un peu trop enjoué ou trop catégorique, je ne me prive pas de clamer mes préférences et de fustiger les modes. Le côté positif de tout cela c’est que l’on sera toujours d’accord au moins sur un point : le vin c’est du ressenti. Comme la peinture, la musique, la littérature, le cinéma (j’en passe), le vin est une forme d’art à l’état pur, de l’art tantôt brut, tantôt sophistiqué, divin, maquillé, copié, tantôt purement et simplement raté

Aussi, je dois dire que ce qui a joué dans cette réflexion m’est venu suite à l’ouverture d’un tour de vis de ma Manzanilla de Barbadillo bien frappée, bien entendu, notes de café/noisette, de brindilles sèches en feu et de la moiteur salée d’un bord de plage, tôt le matin, tandis que les bateaux au loin rentrent au port. Et avec ça une irrésistible envie de filets d’anchois à l’huile d’olive posés sur une biscotte largement beurrée. Est-ce juste au moins d’écrire cela ? Faut-il en dire plus et mieux ? Est-ce suffisant ? Bien sûr ces questions ne sont pas nouvelles et je crois bien que c’est mon quatrième article sur le sujet avec, bien sûr, des arguments différents à chaque fois en fonction du public auquel je m’adressais. Et comme là je n’ai pas encore de public, je vais dire ce que je pense profondément, du moins je le crois.

Comme je viens de le dire, arrive alors l’inévitable et lancinant moment du questionnement qui se répète, du comment parler de tout cela, du comment être au plus juste, au plus près, sans pathos, comment aller plus loin, comment mieux parler du vin ? Il y a comme un air de déjà-vu, comme une vieille rengaine des Moody Blues, dans cette série de questions puisque, mes camarades et moi, mettons des mots et arrangeons des phrases sur le vin en fonction de nos états d’âmes, de nos goûts, de nos couleurs, de nos naissances, de nos mariages, de nos divorces, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Pour ma part, j’ai retrouvé cet article qui date un peu, article long et alambiqué comme d’habitude, et sujet à caution, mais qui à mon avis colle toujours (en partie) au thème qui me turlupine et que je souhaite développer de nouveau. Bien sûr, depuis, j’ai encore le sentiment d’avoir vieilli un peu plus ce qui explique peut-être pourquoi j’ai envie aujourd’hui de revenir sur ma façon de voir les vins. Car même s’il m’est arrivé parfois insidieusement de le penser, je ne crois pas avoir tout vu sur le vaste sujet du vin et surtout sur les femmes et les hommes qui vont avec.

D’un côté il semblerait nous ayons nous les journalistes une propension à la dégustation savante, voire sérieuse, bien encadrée et, accessoirement sensorielle (les 3 «S»), de l’autre nous abordons épisodiquement des dégustations longues mais concises et bien renseignées, y compris le plus important peut-être : le prix. Peut nous passer par la tête ensuite l’envie d’une dégustation plus légère, un brin badine, plus décontractée pour ne pas dire brouillonne, mais efficace tout de même, c’est-à-dire convaincante. Convaincante, certes, mais  dans quel sens l’entendre ? Simple, facile à liresans mots savants bref, utile et capable de déclencher chez le lecteur lambda un intérêt certain. Lesquels de ces travaux d’analyses, de descriptions et de transcriptions, aussi réfléchis soient-ils, sensés, soignés, respectables et honnêtes, quels sont ceux qui conduisent au but final que j’estime noble, celui de délivrer une bonne dose d’envie ? Là, je dois avouer que je sèche un peu face à cette question aussi inattendue que conflictuelle. C’est pourtant à mes yeux le nerf de la guerre, l’essence même de notre métier, du moins dans le temps bouleversant que nous traversons depuis l’an 2010, puisque le simple fait de poser cette question anodine nous dirige systématiquement sur le sujet courant, sujet abordé avec vous et qui consiste en fait à débattre sur les façons que nous avons de parler du vin. Ouf !

©MichelSmith

Je pense que réussir à faire désirer un vin, ne serait-ce qu’auprès d’un seul de nos lecteurs, devrait suffire à nous rendre heureux. Chaque approche, chaque méthode, chaque écriture est originale, certes, et c’est déjà un point d’importance sur lequel nous devrions tous, journalistes et par essence « informateurs », réfléchir de temps en temps. Avec pour mission principale, aller à l’essentiel. L’essentiel, c’est quoi ? C’est en fait dire que c’est bon ou pas bon ! Soit, mais encore ?

Puisque nous sommes tous ici un peu narcissiques (preuve en est !), qu’il peut y avoir aussi de la frime dans le monde du vin, puisque que chacun de nous a cette liberté qu’il chérit et qui lui donne en plus de l’espace pour rédiger en son nom propre et qu’en outre on cultive volontiers une forme d’entre-soi, je vais mettre mon grain de sel parlant de moi en disant de façon aussi nette que claire, même s’il m’arrive de me laisser prendre au jeu du passé, que j’en ai un peu soupé de ces longs descriptifs des vins pris un par un. Les commentaires qui les concernent, toujours à mon humble avis, n’engagent plus guère le sacro-saint consommateur à acheter à un tel point que ce dernier, me semble-t-il, se détache du vin préférant, hormis le cocktail qui défonce la gueule, l’eau en flacons design, la bière, le soda et le jus de fruit du rayon bio quitte à payer deux fois le prix d’une bonne bouteille. Qu’est ce qui barbe les gens quand on leur cause pinard ?

Les descriptifs par trop lancinants sur les arômes (la cerise, le citron, la rose de grand-mère, la vanille bourbon, la glycine, le tilleul en fleur, la pivoine, le lilas…) que les lecteurs ne retrouvent pas forcément (manque de formation, d’éducation ?) dans les vins et qui apparaissent comme de simples mots jetés en l’air à la manière d’une contre-étiquette excessivement laudative et publicitaire. J’imagine qu’ils buttent aussi sur les sensations lorsque la longueur, l’épaisseur, la rondeur, la fraîcheur sont mises en avant. Ils tiquent encore sur la quantité de vins que, tels des ogres, nous engloutissons et qui, par la force des choses, complique l’envie qu’aurait le consommateur de faire un choix dans un commentaire beaucoup trop riche, détaillé et exhaustif, mais aussi parfois ardu. Quand je relis certains de mes commentaires, je plonge ma tête dans mes bras en me demandant comment le consommateur lambda pourrait-il être capable de faire un choix sur une vingtaine de vins décrits avec enthousiasme et sur bien trop de lignes. Il est vrai que parfois, je ne puis m’empêcher d’en rajouter.

Moi qui jadis était contre, je rêve de revenir à la simplicité d’une notation chiffrée (sur 10 ou sur 20 ou encore 100 pour les anglo-saxons) et je me dis qu’après tout, quelques mots, pas trop, devraient suffire du style «si j’étais à votre place, j’achèterais avec certitude ce vin, oui en grosse quantité, ou non, à moins que peut-être pour une occasion spéciale…, quant à cet autre flacon, je n’achèterai jamais». Ce qui explique, toujours à mon avis, que certains blogs professionnels et commerciaux, comme celui de l’ami Tim Atkin, fonctionnent sachant aussi que tout ou presque est commercial chez nos amis d’Outre-Manche que je salue au passage pour leur pragmatisme et leurs dons pour la spéculation ! Mais c’est une autre histoire puisque oui,  c’est certain, il y a entre nos pays respectifs des manières bien différentes d’approcher le vin. Question de culture… Pragmatisme, le mot est lâché. Et si nous manquions, nous les «spécialistes», d’un chouïa de pragmatisme ?

©MichelSmith

Voyons voir… À titre d’exemple, je vous propose de vous pencher sur trois vins que je déguste pour vous (comme pour moi !), des vins achetés en ligne dans la vraie peau d’un consomme/acteur avec mes propres deniers pour leur bon rapport qualité-prix, vu que je ne suis pas riche. Des vins d’été, bien sûr, arrivés en juin chez moi fort rapidement et dans d’excellentes conditions. Trois vins, trois ambiances pour passer la saison et plus dans le style fino : une manzanilla déjà connue, La Gitana, presque «ordinaire» (5,50 € sans le transport) mais appréciée pour sa régularité et son rôle efficace sur les crustacés; une autre, on ne peut plus classique, de marque Solear de la maison Barbadillo (un peu plus de 6 €); la dernière, avec une étiquette de Montilla-Moriles je dois dire inconnue à mon cerveau reptilien, mais semble-t-il assez bien cotée, du moins auprès de mon oracle Michel Bettanne, un expert, tout de même, vin choisi, avouons-le, à cause de son prix, un peu moins de 3 € (oui, vous avez bien lu !), le tout livré chez moi en ajoutant une trentaine d’euros pour le transport en tenant compte du poids et de la distance sachant que je suis désormais héraultais, donc pas très loin du magasin Grau qui me livre depuis son site en Catalogne. Pour ce dernier vin, je me disais « allons-y, je ne risque pas grand chose : si c’est pas bon, j’en ferais un vinaigre« . 

La surprise ©MichelSmith

Maintenant, à ce stade, soyons un peu plus précis : comment en parlerais-je sachant que les trois vins sont honnêtement bons ? C’est la question (le dilemme ?) que je me suis souvent posée pour moi-même, mais aussi lors de mes rares participations en vue d’attributions de médailles et autres concours pour lesquels le petit monde du vin s’extasie et qui fait le bonheur de la grande distribution. Eh bien, je dirai avec conviction de vous saisir sans attendre au minimum de douze bouteilles de Montilla-Moriles car, non seulement son prix est une invite, mais c’est une formidable découverte (pour moi qui suis toujours en retard), et c’est aussi un vin non exempt de finesse qui, mutage en moins, allège quelque peu l’expérience fino encourageant au passage les mariages coquillages, petits crustacés, poissons. Voilà, c’est tout et c’est déjà pas mal, non ? À moins de se prendre pour un respecté critique du Monde des Livres ou de Jazz Magazine et d’aller plus loin dans l’introspection… Ce dernier vin, compte tenu de son prix, je le mettrai en cave deux à trois ans, juste pour voir.

Soyons encore plus clair vis-à-vis de notre lectorat en affirmant que la plupart des vins que nous décrivons nous ne les payons que rarement. Je crois que cela change du tout au tout notre perception car, en agissant ainsi, nous ne sommes plus consommateurs acteurs et notre vison du vin en est quelque peu biaisée. On va me rétorquer que nous ne pourrions jamais nous payer les vins que nous nous offrons en dégustation. Certes, mais alors – en dehors de notre riche expérience du vignoble que nous devons aux voyages de presse toutes dépenses prises en charge – sommes nous de réels prescripteurs ? On va m’objecter encore que nous faisons profession de journalisme et que nous ne faisons en quelque sorte que rapporter ce que nous voyons et goûtons. Bêtes et disciplinés, en somme ! Alors qu’en réalité ce n’est que de la communication, de la pub pour une région, une appellation, un échange de bons procédés, certes émaillé de nos libres commentaires, mais des commentaires qui peuvent être sujets aux influences soit des vignerons eux-mêmes, de leur enthousiasme à « bien faire », soit de leurs attachés de presse qui ne font de leur côté que leur métier de presque lobbying. Pas si couillon, le consommateur nous lira, peut-être, au risque de remarquer bien vite que nous sommes des privilégiés qui peuvent engendrer le doute et que nous écrivons « sous influence« . Libres, mais pas tout à fait. Le métier de journaliste n’est vraiment pas aussi facile qu’on le croit !

Mon adoré ©MichelSmith

Je ne sais si mes camarades approuveront tout ou partie de ce que je viens de pondre sous l’emprise de la Manzanilla (en dehors de Lustau avec sa PipirusaBarbadillo est en fin de compte la meilleure…), toujours est-il qu’il faudrait peut-être que nous réfléchissions sur une nouvelle façons d’aborder ou de parler du vin. J’ai bien dit « peut-être« . Toutes ces réflexions bues pour dire que, bête, pas trop méchant et discipliné, je continuerai «comme avant». Avec mon lot d’échantillons achetés avec ma carte de crédit ou d’autres qui me seront adressés par des vignerons volontaires que je connais et que, par conséquent, il me sera difficile de blesser leur enthousiasme et leur égo. C’est pourquoi je m’efforcerai, à l’instar peut-être de mes camarades quand l’occasion leur est donnée, d’être plus réaliste dans mes commentaires, d’attendre plusieurs jours avant de célébrer un vin, de voir son comportement, son évolution, et surtout de vous fournir l’essentiel, je veux parler du prix public de chaque vin décrit. Et de me demander enfin si oui ou non j’achèterais un tel vin pour le mettre en cave. Du moins, je vais essayer. Avant de me contredire, probablement sous peu.