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La grande comédie des primeurs

17 Fév

Quel gâchis ! Quelle perte de temps et d’argent !

Les voilà partis de nouveau. Chaque année, c’est la même litanie, le même train qui se met en branle, la même comédie. Depuis trois semaines, ma boîte mails, comme ma boîte aux lettres d’ailleurs, ne cessent de recevoir des invitations pontifiantes sur le thème aussi excité qu’éculé, les primeurs. Un air de déjà-vu, du genre : « Venez, venez ! Vous allez vous régaler, c’est super ! Châteaux chics et bouteilles chocs, occasion unique, buffet de rêve, dîner aux chandelles avec le proprio (mais oui mon pote), gigot haricots, coucher au château, palabres avec la baronne, blablabla… »

Comble de malheur, même les sans grades s’y mettent (voir ci-dessous). Et le phénomène, depuis quelques années, gagne les régions jusque-là épargnées. Mais quand, en France, les appellations viticoles cesseront-elles de se copier les unes aux autres ? Bigre, laissons la folie des primeurs aux classés et occupons nos ardeurs et notre argent – celui des vignerons – à des idées plus novatrices et moins bouffeuses de fric.

Avec mon éternel côté naïf du mec qui n’y connaît rien et ne pige que dal en markétinge, j’ai préparé une réponse toute faite pour mes chères copines attachées de presse qui m’adressent leurs invitations par mail, réponse déjà utilisée l’an dernier. Je vous la livre telle quelle :

«Bonjour. Et merci d’avoir pensé à moi. C’est l’occasion de vous redire que depuis 20 ans, je ne participe plus à la comédie des  primeurs. Je préfère goûter les vins une fois mis en bouteilles, tels qu’ils se présentent au consommateur ».

Primeurs

Je n’ai jamais compris, quand bien même se nommerait-on Parker ou Bettane, comment un nez, aussi affûté soit-il, est en mesure, entre deux petits-fours, de se prononcer sur un vin qui est encore au berceau, même pas encore junior, à peine remis du choc de sa naissance. Je sais, je sais, les doctes nez précités – et les autres que j’ai oublié (mille excuses aux membres du Grand Jury) – sont capables de moult prouesses. Soit, je leur accorde ce don de sniffeurs parmi d’autres. Mais le plus grave dans cette histoire, c’est qu’on leur refile le plus souvent un assemblage bichonné, évidemment concocté à partir des meilleures barriques qui, à mon humble avis, n’est que le reflet bien lustré d’un hypothétique vin futur. Vin qu’il reste à élever, à éduquer, à mettre en bouteilles, à transporter.

Bon, je sais, on va me rétorquer que participer à ces pince-fesses aquitains permet à un journaliste peu fortuné ou débutant, à un acheteur potentiel aussi, de se faire une idée assez précise de l’état du millésime. On va me dire que pour un étranger, la campagne des primeurs est l’occasion rêvée de rencontrer les stars du vignoble. Certes. Mais a-t-on besoin de déplacer tout ce beau monde à grand frais pour constater l’état d’un millésime par ailleurs largement décrit par les pros dès sa naissance, voire même avant ? Quand on a l’infime privilège de goûter un vin le plus souvent associé à un jus boisé plus ou moins envahissant, je ne vois pas comment il est possible, à moins d’être devin, d’hypothéquer sur son devenir. Il peut se passer tant et tant de choses d’ici 2012 dans l’évolution du jeune vin, lequel sera de toute façon mélangé – pardon, assemblé – avec des centaines d’autres barrique d’âges et de bois différents.

De fait, la description d’un vin tasté en primeurs, les prédictions que l’on peut en tirer quant à son évolution, me semblent relever du pur hasard. La plupart des grands Mouton et autres Latour étant réservés aux oligarques de ce monde, ces derniers se sentent-ils vraiment rassurés d’apprendre qu’un Master of Wine recommande chaudement d’investir dans un cru que, de toute façon, ils comptaient bien acheter un jour pour parfaire leurs collections ? Du côté de chez moi, je sais pertinemment qu’un vin de Bizeul ou de Gauby sera hautement recommandé quelque soit le millésime. Si je suis fan de Beaucastel, de Trévallon ou de Pibarnon, je l’achète régulièrement sans recourir aux avis autorisés de ces messieurs et dames en mal d’invitations. Quant à savoir s’il vaut mieux acheter un 5ème GCC plutôt qu’un second ou un premier, il suffit de lire les reportages dans la presse spécialisée pour être au parfum. Au moins, ils présentent l’avantage de se baser sur plusieurs références à la fois, plusieurs dégustations, plusieurs millésimes.

Et comme le souligne justement l’ami Jim dans un de ses posts sur le sujet, entre la lecture d’un commentaire de dégustation «primeurs» et le plaisir de voir son cru chéri entrer en cave, outre le risque sur la qualité évoquée plus haut, on a largement le temps de se faire arnaquer par l’intermédiaire qui a encaissé votre chèque à la commande.

Reste à considérer l’aspect purement marketing de cette comedia dell’arte. Est-ce si utile pour un cru ou pour une association de vignerons de dépenser tant pour si peu en retour ? Certes, la presse du monde entier se déplace, se fait choyer couvert et gîte compris, mais cela améliore-t-il pour autant les chiffres de vente du Bordelais ? Paradoxalement, pendant ce temps, les vins étrangers, eux, progressent, y compris dans la catégorie «premium». Tout cela au détriment des vins français. Mais c’est une autre histoire.

(PS Article paru en 2010 sur le site Les5duVin)

Michel Smith

Oh, les Bourges, on se bouge !

9 Fév

Vrai ça ! Du Médoc capitale Pauillac au Libournais capitale Saint-et-Millions, le Mondovino, le monde du vin n’a de mots que pour les Crus Classés au point de nous casser les oreilles et les… Or, ce n’est pas logique. En effet, il m’apparaît par je ne sais quel éclair tombé du ciel que, depuis quelques années, lorsqu’ils ont cherché face à la presse agenouillée à s’acheter une conduite syndicale affichant force bonnes manières et intégrité en même temps qu’un jeu limite grand show, notre chère, noble et illustre confrérie des Crus Bourgeois s’est comme volatilisée de la scène médiatique. Côté communication, les « bourges » du Bordelais, du moins ceux du Médoc, me semblent dangereusement en sommeil. Seraient-ils en manque d’inspiration ? En recherche désespérée d’une bonne attachée de presse ? Ou bien se mettraient-ils volontairement en mode discrétion absolue pour éviter les questions qui fâchent ? Éviter de reparler de procédures judiciaires par exemple lancées au lendemain de leur magistrale réforme de 2010. Dommage, car on aimerait bien – moi en tout cas, puisqu’ils ont fait partie de mon apprentissage  – en savoir plus sur leur devenir. Où en sont -ils ? Que font ils ?

Bon d’accord, il est vrai que, coutumier du fait, j’affirme des choses en vrac, sans savoir. Vrai aussi que cela doit faire une éternité que je n’ai franchi la porte d’un chai médocain fut-il Bourgeois. C’est un fait : je n’ai pas lu toute la presse du vin ces temps-ci et on va dire que je suis en retard d’une guerre chose que je comprends vu que je ne peux plus me payer d’abonnements à la RVF, Vignerons, Terre de Vins ou au Wine Spec et que même, ô sacrilège !, dans un souci bien légitime de vouloir protéger mon pauvre portefeuille, j’ai omis de renouveler ma cotisation au plus vaillant des magazines du vin, j’ai nommé le très respectable Rouge et le Blanc, lequel ne dit que ce qu’il pense sans se laisser influencer par l’ogre publicitaire qui fait marcher au pas la langue de bois à défaut de celle de Molière ou du journalisme.

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Non mais, enfin quoi, qu’est-ce que ça peut bien signifier ce silence radio ? Communiquez les bourges ! C’est le peuple du vin qui le réclame quand bien même je sais pertinemment qu’il n’en a rien à foutre. Vite, ou sinon vous allez sombrer dans l’oubli ! N’y a-t-il plus d’émetteurs côté Médoc ? Serait-ce le calme plat vers l’estuaire ? Nos vignes-trotteurs Bettane & Desseauve ne courent-ils plus le célèbre marathon ? Ça leur ferait pourtant grand bien … (mes excuses les gars, mais faut penser à l’âge et la retraite qui vous guette !). Quant à Bob, soit, je veux bien admettre qu’il ait pu changer son fusil d’épaule en se concentrant sur la revalorisation des « petits » vins à moins de 10 $ tout en se gargarisant avec des grands crus à 200 $ minimum, mais enfin, que fait-il ? Ou alors, que font ses adjoints ? Pourquoi ne vont-ils pas enquêter sur cette extraordinaire source vineuse que le monde entier nous envie, les Crus Bourgeois ?

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Comment faire pour ne plus cautionner notre Brel national (bien que Belge) qui chantait haut et fort : « Les Bourgeois (remarquez mon « B » majuscule…), c’est comme les cochons plus ça devient vieux plus ça devient… » ? Je vous fais grâce du dernier mot qui pourrait être mal interprété par les temps qui courent et du non-dit qui suit encore plus impubliable. J’ai cherché sur Google avec ces mots : « Crus Bourgeois du nouveau ? » et les premiers articles arrivant en tête datent de 2010. Bon c’est vrai qu’en septembre et octobre 2012, la RVF et Le Point ont évoqué le classement annuel. Dans ce cas, serais-je un petit peu trop impatient ? Qui sait, après tout il se pourrait bien qu’on en reparle dans un petit mois ? Il est vrai que, pour la RVF en tout cas, il ne s’agissait pas d’un véritable article de fond. Plus un truc que l’on met sur un site en mal d’action au cas ou quelqu’un oserait aborder le sujet. Comme une nécro prête à l’emploi au Monde en quelque sorte. C’est pourquoi je vous recommande plutôt la lecture de l’article de Jacques Dupont qui évoque le classement pour le millésime 2010 et qui raconte fort bien la manière dont les choses fonctionnent. Mais depuis, plus rien. Silence radio, ou pas grand chose, sur cette « alliance » composée de 260 châteaux intègres… Allez, on va faire un petit test : lequel parmi vous serait capable de me citer de tête au moins trois noms de châteaux apparaissant pour la première fois en 2010 dans le « classement » (devrais-je dire « dans la liste » puisqu’ils ne sont classés qu’alphabétiquement ?) des Crus Bourgeois ? Et qui serait en mesure sans tricher de me citer le nom du grand vainqueur de la Coupe des Crus Bourgeois2013 toujours vaillamment organisée par Le Point ? Allez, pour ce dernier je vous aide, c’est ici.

Mis à part cet « événement » qui doit faire à chaque fois la « une » de la presse locale, on a vraiment une impression d’immobilisme chez les Bourgeois. Par curiosité (malsaine, cela va de soi), j’ai consulté au passage la liste des membres du Jury de la Coupe. Il y a des gens bien de tous les horizons, y compris un Master of Wine, un vrai, et la charmante Suzanne Methé de L’Amateur, magazine qui semble pourtant avoir fermé ses portes depuis plusieurs mois. On va dire qu’avec l’âge je deviens aigri ou jaloux, mais dans cette honorable liste, je ne vois pas un seul membre de l’équipe des 5 du Vin ! Pourtant, je jurerais volontiers que Hervé et (ou) David y auraient leur place vu qu’ils participent à de nombreux concours. Pour ce qui est de mon auguste personne, je ne recule pas devant l’obstacle qui consisterait à me frotter au monde bourgeois du Médoc. Tiens, au passage, il y a plus de 20 ans, certains châteaux dans les Côtes de Bourg, le Sauternais et les Graves entendaient revendiquer le terme de « Cru Bourgeois ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

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Pas grave tout ça, me direz-vous. On se consolera peut-être avec les Crus Artisans. Ça te dirait bien ça Hervé, non ? Quoi ? Qu’est-ce encore ? Un hochet de plus pour médocains oubliés, pour vignerons du bas de l’échelle ? Un classement pour les exclus et les pauvres de la presqu’île ? Allons, allons, trêve de persiflage master Smith. Les Crus Artisans existent bel et bien. Ce n’est ni plus ni moins qu’une association qui rassemble une quarantaine de domaines obéissant à certaines règles en partie détaillées ici même encore et toujours sous la plume experte de Jacques Dupont. Leurs vins sont bien plus abordables que ceux de la bande des Bourgeois ou ceux de l’aristocratie locale dite des « classés », même si certains de ces Crus Artisans commercialisent autour de 40 € le flacon, notoriété oblige. À l’instar de Château Béhèré, sur Pauillac , lequel a d’ailleurs été repris il y a peu, faute de successeur par, je vous le donne en mile, non pas par un russe ou un chinois, mais par un cinquième Cru Classé, le Château Pédesclaux. D’ailleurs, cela ne me surprendrait pas qu’un jour Béhèré fasse son entrée dans le monde des Bourgeois tant il est vrai que, dans le Médoc, on échappe rarement à son destin.

Michel Smith

PS- À titre personnel, et pour ceux que cela intéresserait, je vous donne la liste dans le désordre de quelques uns de mes Bourgeois préférés :

Bel Air, Belle Vue, Charmail, Lousteauneuf, Les Ormes Sorbet, Paloumey, Meyre, Peyrabon, La Tour Haut Caussan, La Tour de Mons, La Tour de By, Villegeorge, etc. Mais il est vrai que  j’aime aussi Sociando-Mallet, Gloria, Poujeaux et Chasse Spleen qui ne sont ni classés « grand cru », ni « bourgeois », enfin si j ne me trompe pas dans mes gammes…

Précision de l’auteur de ces lignes : ARTICLE PUBLIÉ EN 2013 SUR  les5duVin