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Bruckner et le mystère enfoui de la Jarana

16 Sep

Dans le genre vin et musique ou musique et vins, on ne fait guère mieux ! Cette fois-ci, il y a le même souffle, la même respiration, le mouvement identique, la symphonique ressemblante, la communion ; majesté, paix, silence, puis dramaturgie musclée, magnificence, puissance, que sais-je encore…, dans l’émouvante interprétation de la symphonie n°7 d’Anton Bruckner par un Herbert von Karajan vieillissant mais vaillant, romantique, un dernier souffle de vie associé à la précision légendaire du Wiener Philharmoniker, “un disque de légende” comme on aime le claironner sur France Musique où je l’ai entendu pour la toute première fois, disque que j’ai pu récupérer chez mon pote YouTube afin de vous le faire partager en toute bonté de ma part, car ma bonté, elle aussi est légendaire, et elle n’a pas de limites !

Parce qu’il y a un mystère tout aussi dissimulé, mystère difficilement perceptible dans le vin blond et presque rond que je laisse fondre en bouche avant d’affronter mon déjeuner, une demi-heure de réflexion, c’est mon temps de méditation – il s’agit d’une cuvée Jarana de la maison Emilio Lustau à Jerez-de-la-Frontera – offrant au palais une progression que je qualifierai de “dramatique”, un vin “difficile” tellement qu’il est facile de passer à côté, de le voir sans y prêter attention, sans y déceler ce qu’il a à cacher. Et pourtant, j’aime ces vins émotifs, cette manière qu’ils ont de nous calmer, de nous faire adopter une lente respiration, encore une fois un mouvement en retenue, mais si joliment rythmée, respiration allègre perceptible uniquement les yeux clos, dans la discrétion, tant elle est faite d’élégance et de subtilités infimes entrecoupées de vastes paysages, espaces tantôt langoureux puis devenant subitement majestueux – je sais, je me répète – s’étirant en plein éveil, guettant la pleine lumière, celle de la création, celle de l’Andalousie (pourquoi pas puisque c’est le royaume de ce vin) qui s’accorde sans que l’on ait besoin de prier en ce précieux moment alors que résonne cette sublime « numéro sept » du cher Anton. Des choses que je ne ressens que chez lui ? Évidemment, non puisqu’il y a en réserve bien d’autres musiques planantes et dansantes même en allant flâner quelques fois vers le jazz et ses compositeurs de génie ; j’y reviendrai un jour en examinant d’autres vins aussi inspirants que celui-ci, ce Jerez (xérès chez certains sommeliers) Fino qui, au passage, me laisse encore en bouche cette saveur particulière comme une étrange salinité liée au cuir et à la sueur, un sucré-salé-amer, goût bizarre, me direz-vous, mais une saveur qui colle avec ces grands espaces, paysages arides et montagneux que l’on rencontre dans certains westerns bien filmés, du Technicolor certes, mais bien édulcoré, grâce à une étrange palette brumeuse, un peu comme ces montagnes douces, pourtant sévères, de nos Corbières ou des Cévennes.

Et comme s’il fallait en rajouter, je vous propose de communiquer un peu plus en sirotant quelques lampées de cette mystérieuse Jarana jusqu’à plus soif, tandis que vous laisserez voyager en vous le vin pour en apprécier chaque mouvement, chaque note, chaque instant le plus calmement et le plus longuement possible. Profitez-en, le vin n’est pas ruineux, du moins là où je l’achète. Je n’ai pas à ce jour meilleur exercice à vous proposer !

Alors, bien sûr, il y a Brahms, Ravel, Dvorák, Strauss, Debussy, Haydn, Beethoven et les autres… Tenez, j’ai aussi retenu pour vous cette merveilleuse symphonie numéro neuf de mon bien-aimé Gustav (Mahler) avec le même Karajan et son équipage dynamique du Berliner Philharmoniker. C’est beau et suave comme un Tokaji de Hongrie, ou comme un Danube bleu, bien bleu, sage et argenté comme la Loire vers Les Rosiers, entre Saumur et Angers quand on la descend, ou bucolique comme les rives de la Gartempe en Charente, comme un verre de Condrieu bu à Condrieu au bord du Rhône, ou encore tendre comme un coucher de soleil sur les Carpates, ou bien alors romantique comme une promenade nocturne dans un Venise désert un soir de pleine lune ! Amusez-vous donc à les marier ces rythmes avec les jus des treilles les jours de solitudes (oui, j’ai plusieurs solitudes !) lorsque vous ne savez guère que faire. Laissez votre “vague à l’âme” voguer au fil de votre rêverie, laissez-le vous guider sans opposer de résistance. Vous verrez, c’est un sacré bon moment à passer.

Michel Smith

Finomania, la grande dégustation

4 Sep

Comme vous le savez, la Finomania est ancrée en moi pour de bon, et ce, depuis belle lurette ! Ce jour là, c’était en 2014, bien avant que ne se rapplique la grande dépression. Et j’avais éprouvé l’envie de rassembler chez moi avec l’aide précieuse de quelques amis du Fino parmi lesquels Isabelle Brunet et Bruno Stirnemann, un maximum d’échantillons de vins de Jerez de la Frontera, de Sanlucar de Barrameda, de Puerto Santa Maria, sans oublier quelques flacons de Montilla-Morilles. Une journée de dégustation à la fois folle et sérieuse, à l’image du Fino, à deux pas du Centre du monde, la gare de Perpignan.

Bruno Stirnemann. Photo©MichelSmith
Bruno

Pour cette session, pas de cinoche « à l’aveugle » : les bouteilles étaient alignées par mes soins, mélangeant volontairement (la folie, vous dis-je) les trois appellations – Jerez, Manzanilla, Montilla-Moriles – sachant, je le rappelle, que la dernière D.O. est la seule, du moins dans la qualité Fino, à ne pas être mutée, renforcée à l’alcool si vous préférez. À charge pour moi, par la suite, de mettre tout cela en ordre et par écrit. En queue de dégustation, sept bouteilles d’un type Fino, certes, mais un vin élevé plus longtemps, flirtant avec le style Amontillado. Là encore, j’entends l’armée des puristes et spécialistes se manifester dans les rangs, mais nous autres, simples amateurs, n’avons rien trouvé à redire de cette manière de voir les choses.

Isabelle Brunet. Photo©MichelSmith
Isabelle

Cette dégustation n’est certainement pas parfaite. Pas d’étoiles ni de notations chiffrées, tant pis pour les amateurs de classements. Je sais, il manque des marques et cela ne plaira certainement pas aux aficións, donc pas la peine de m’en tenir grief. Vous ne lirez rien, hélas, sur l’Inocente de Valdespino, par exemple… la Quinta, le cheval de bataille d’Osborne et Coquinero d’Osborne également, le Fino Superiore de Sandman, le Hidalgo Fino d’Emilio Hidalgo, le Pavon de Luis Caballero, le Harveys Fino de Harveys, le Fino Romate de Sanchez Romate, le Gran Barquero de Pérez Barquero (Montilla-Moriles), etc. J’ai dû faire avec les moyens du bord ! Tous les vins de cette série titrent 15°. En gras, se distinguent nos vins préférés, nos coups de cœur. Pour ces premiers douze vins, les prix en grandes surfaces, comme chez certains cavistes en Espagne, oscillent entre 6 et 8 euros. Un seul est en dessous de 9 €, tandis qu’un autre est à 12 € en France. Bien sûr, tous les autres sont plus chers en France et ce n’est pas toujours justifié. Bref, pour ceux qui vont se ravitailler en Espagne, vraiment pas de quoi se ruiner ! À noter aussi que dans les bonnes boutiques espagnoles, beaucoup de ces vins sont aussi disponibles en demi-bouteilles, ce qui est un avantage pour préserver la fraîcheur du vin. Les bouteilles sont alignées : allons-y !

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– Muyfina, Manzanilla, de chez Barbadillo (bouchon à vis). Robe jaune pâle. Un goût cireux, étrange, poussiéreux, notes de vieux cuir… Puissant, gras et long en bouche mais sur une tonalité rustique. Dur, manquant à la fois de fraîcheur et de finesse.

Comportement acceptable sur des tapas : olives, anchois…

– Carta Blanca, Jerez, de chez Blazquez (distribué par Allied Domecq). Robe paille étonnement soutenue. Densité, profondeur, quelque chose d’inhabituel, rusticité, plus proche de l’oxydation que de la flor, avec des notes de caramel et (ou) de Pedro Ximenez. Très léger rancio en finale.

Bien sur des tapas genre tortillas. À tenter sur un fromage comme le Manchego (brebis) ou un Picón de Valdeón, persillé de chèvre et de vache.

– Tio Pepe, Jerez, de chez Gonzalez Byass (DLC Novembre 2014. Robe bien pâle. Nez de voile. Très sec en bouche, comme c’est annoncé sur l’étiquette. Le vin joue son rôle, sans plus. Il ne surprend pas. Simple et court.

Sans hésiter à l’apéritif sur du jambon, clovisses ou salade de poulpe.

– La Gitana, Manzanilla, de chez Hidalgo (bouchon à vis). Robe très pâle. Nez frais. Excellente prise en bouche, du nerf, de l’attaque, notes de fruits secs, bonne petite longueur qui s’achève sur la salinité.

Exquis sur de belles olives, beignets d’anchois, gambas, ratatouille froide.

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– San Leon, Manzanilla, des Bodegas Arguezo. Robe moyennement pâle. Nez pas très net, simple et rustique. Bouche réglisse et fumée.

Ça fonctionne sur le gras du jambon et sur le boudin noir de campagne.

– La Ina, Jerez, de chez Lustau. Robe pâle. Nez plutôt complexe sur la flor et l’amande grillée avec de légères notes de fumé. Belle amplitude en bouche, de la fraîcheur, du mordant, rondeur en milieu de bouche, finale sans bavures sur des notes salines.

L’apéritif presque parfait sur amandes grillées, olives pimentées, jambon bellota, lomo, chorizo, palourdes, anchois frais, sardines grillées…

– La Guita, Manzanilla, de chez Raneira Perez Marin (bouchon à vis, mise en bouteilles décembre 2013). Robe légèrement paillée. Nez fin et discret avec touche d’amande. Une vraie présence en bouche, ça frisotte, léger rancio, manque peut-être un poil de finesse, notes d’amandes salées en finale. C’est bien foutu.

Plus sur des plats de crustacés, langoustines, crevettes, etc.

 El Maestro Sierra, Jerez, des Bodegas Maestro Sierra (Mise en bouteilles en avril 2014). Belle robe pâle. Nez fumé. Dense, ample et riche en bouche, un poil rondouillard, mais bien fait dans l’ensemble.

Apéritif, certes, mais le garder pour un plat de poisson au four, ou pour un plat de morue, une omelette de pommes de terre ou de champignons.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

– Fino Electrico, Montilla-Morilès, de Toro Albala (12 € pour 50 cl. Diffusé par Valade & Transandine chez Soif D’Ailleurs à Paris) Robe pâle. Nez fruité, élégant, notes d’amande fraîche et de fumé. Finesse en bouche, impression de légèreté, complet, finale sur la longueur.

« Une bouche à jambon », quelqu’un. Oui, mais il lui faut un grand pata negra ! Quant à Bruno il le verrait bien sur un turbot. Et pour ma part, je lui propose une brouillade de truffes !

– Puerto Fino, Jerez, de Lustau (élevé à El Puerto Santa Maria). Belle robe légère. Très complexe au nez comme en bouche : notes de fougère, amande fraîche, écorce de citron, iode, silex, épices, vieux cuir, volume… on sent que ce fino est associé à une vieille réserve de type solera tant la longueur le maintient en bouche avec toute sa richesse. Les critiques le propulsent « Roi des Finos » et ils n’ont pas tort.

Un grand apéritif de salon, parfait pour réfléchir aux choses de la vie au creux d’un profond fauteuil. Un bon robusto de Cuba, genre Ramon Allones, pour les inconditionnels du cigare. À essayer aussi sur une cuisine asiatique, Thaï ou Coréenne. Sur une huître tiède à la crème ou sur une mouclade légèrement crémée et épicée.

– Papirusa, Manzanilla, de Lustau (Bouchage vis, aurait dû passer à mon avis avant le précédent). Si je ne me trompe pas, le fino a pour base une solera moins âgée que pour le Puerto Fino. Belle robe blonde. Parfaitement sec en bouche, c’est propre, net, élégant, fraîcheur évidente, salinité bien affirmée, un régal de précision, une touche animale pour finir, genre vieux cuir. Finale exemplaire où le goût du vin reste en bouche pour longtemps. Difficile de dire, en tout cas pour moi, si c’est ce vin qui l’emporte sur l’autre. Question de goût. Toujours est-il que c’est un formidable rapport qualité-prix !

Là encore un vin de cigare, plutôt celui de la fin de matinée. Doit être à l’aise sur de gros crustacés, genre homard thermidor, surtout si on ajoute un peu de fino dans la cuisson. Sinon, parfait pour le jambon de qualité, les fritures de poissons ou de calamars.

Solear, Manzanilla, de chez Barbadillo (Bouchage vis, DLC Avril 2015). Belle robe blonde et lumineuse. Nez discret et fin. Bouche fumée, fraîche avec des notes de fruits cuit (abricot). Un fino assez classique, voire simple et qui s’oxyde assez vite. Il ne fait pas l’unanimité.

Sur des tapas : ailes de poulet, travers de porc, poivrons, sardines à l’escabèche, thon, maquereau.

Photo©MichelSmith
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– 3 En Rama, Jerez, Fino d’El Puerto de Santa Maria, de chez Lustau (50 cl). Blond de robe, fin de nez, exceptionnel de droiture, de finesse et de longueur en bouche, cette série fondée sur la mise en exergue des 3 zones d’élevages de l’appellation confirme la suprématie de Lustau dans l’art de la précision. La complexité en bouche n’est pas absente : noix, amande, touche de bois brûlé, on rêve de le marier à un saumon fumé de belle origine en gravlax. J’ai aussi pensé à un carpaccio de veau avec câpres, huile d’olive, une pointe de vinaigre balsamique et de généreux copeaux de vieux parmesan.

– Sacristia AB, Manzanilla, Secunda Saca 2013, d’Antonio Barbadillo Mateos (37,5 cl, 15°). Robe blonde sans surprise, mais nez surprenant au premier abord, presque moisi. À l’oxydation, le vin devient prenant, dense, entêtant au point qu’il finit par captiver l’auditoire. Huit jours après, il confine au sublime : on devine l’épaisseur, on sent le zeste de citron, le fumé, la salinité et la belle amertume qui vient souligner la finale. Il lui faudrait quelques blocs de maquereau cru avec des feuilles de basilic et des morceaux d’olives vertes et noires, mais là encore on pense au parmesan disposé cette fois-ci sur des asperges vertes légèrement poêlées et servies tièdes avec un filet d’huile de noix. Où alors on lui donne un jeune navet coupé en lamelles fines avec huile d’olive et truffe. Mais on songe aussi à un tartare de cèpes…

– Fino Una Palma, Jerez, Gonzalez Byass (50 cl, mis en bouteilles le 25/10/2013). Un autre monde pour cette palme (la marque repère inscrite à la craie par le maître de chais sur un fût qui se comporte particulièrement bien), la plus jeune d’une série de quatre. Dans ce cas précis, il s’agirait de 3 botas (fûts) assemblées, un Fino de 6 ans d’âge minimum. C’est plein, épais, riche mais bien structuré, rond mais avec ce qu’il faut d’acidité et de jolies notes d’amande grillées. Un très joli vin où l’on ressent la présence excitante de la flor ainsi qu’une longueur assez inhabituelle. Certains pensent au cognac et de ce fait au havane. D’autres évoquent une dégustation de chocolats de différentes origines. De mon côté, je penche pour un très léger curry de crevettes…

Photo©MichelSmith
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– Fino Dos Palmas, Jerez, Gonzalez Byass (50 cl, mis en bouteilles le 15/10/2012). Toujours cette belle étiquette ancienne sur un élégant flacon montrant une robe plus ambrée. Huit ans d’âge au moins, ce qui fait que l’on boit la puissance… Rondeur, intensité, l’acidité se distingue sur la longueur qui, elle même, est assez phénoménale. On boit, on parle, on boit et on reparle, on ne remarque même pas que le vin commence à être chaud depuis le temps qu’il attend son tour dans cette dégustation estivale. C’est un vin de repas, on en convient – Bruno le voit sur un turbot aux morilles -, mais c’est aussi un vin de fauteuil, un vin de méditation.

– Fino Tres Palmas, Jerez, Gonzalez Byass (50 cl, mis en bouteilles le 18/10/2012). Nous sommes sur des vins ayant passé 10 ans sous voile, ce qui est plutôt rare et même rarissime. Au premier abord, on pense à de vieux Château-Chalon. Le style Fino est encore présent, mais on devine quelques touches de rancio caramélisé en finale qui vient s’ajouter à des notes de noisettes grillées. Le vin fait causer. « C’est la mort de la fleur » lance quelqu’un en imaginant le voile qui se déchire et se désintègre petit à petit dans le fût. « Doré, soyeux et tendu en bouche », s’avance un autre dégustateur. Que faire avec ? Lire ? Écouter de la grande musique ? Sombrer dans un profond fauteuil ? Aimer ? Fumer un grand havane ? Contempler la campagne ou la mer, ou le ciel ? Bref, à vous de voir… Sachez qu’il existe un Cuatro Palmas qui est en réalité un très vieil Amontillado tiré d’une très vieille réserve…

– Pastrana, Manzanilla Pasada, La Gitana de Hidalgo. Pour ainsi dire très peu filtré et composée de vins deux fois plus âgés que ceux entrant dans la composition de la Gitana (voir commentaire plus haut), ce vin d’une seule vigne (single vineyard sur l’étiquette) était très mal placé dans notre dégustation. Bien que sa robe ambrée fut agréable à l’œil, je l’ai trouvé un peu éteint, mou, tandis que mes collègues de dégustation ont préféré utiliser le terme « discret ». Certains ont tout de même relevé des volutes de havane et des effluves de fruits secs. On a même envisagé un mariage sur l’huître !

Photo©MichelSmith
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Antique Fino, Jerez, Bodegas Rey Fernando de Castilla (50 cl). Une gamme de vieux Jerez dans toutes les catégories, voilà ce que propose ce négociant, à commencer par ce Fino luxueusement présenté. Je lui ai trouvé un nez légèrement bouchonné, tandis que d’autres, comme Bruno, ont relevé un nez complexe fait de rancio, de cognac et de vanille. Il l’a d’ailleurs examiné sous l’angle d’un digestif, tandis qu’Isabelle, en fait « son » vin de cigare ! Goûté de nouveau quelques jours après, le côté liège avait disparu pour laisser place à un vin que j’ai trouvé dur et massif, en tout cas pas dans l’esprit fino, même vieux.

Michel Smith

Quelques notes complémentaires et pratiques

-Absente de cette dégustation, il convient de noter la série « En Rama » de la maison Tio Pepe, plutôt Gonzalez Byass, dont le chef de cave, Antonio Flores, met chaque année en bouteilles une sélection particulière donnant lieu à un assemblage de finos pour ainsi dire à l’état brut (non filtrés) ayant passé cinq ans au moins sous voile dans deux chais réputés pour leur hygrométrie. Le souvenir de l’un d’entre eux, goûté il y a trois ans (chaque année, une nouvelle étiquette est copiée sur un modèle ancien) est encore présent… Il faut dire qu’il y avait un remarquable jambon à portée de doigts !

-À propos de la série des Palmas de Gonzalez Byass (voir plus haut), je recommande le récit d’une dégustation du même type organisée par le maître de chais de Gonzalez Byass à laquelle le journaliste Danois Per Karlsson (BKWine Magazine) a pu assister. Et puisqu’il faut tout de même de temps en temps causer prix, le 3 Palmas de Gonzalez Byass tourne autour de 30 € pour 50 cl quand on en trouve en Espagne, le 2 Palmas est à un peu plus de 20 € et le 1 Palma autour de 15 €. Il existe aussi un cuatro Palmas (Manzanilla) mais en Amontillado à près de 90 € (50 cl). Merci encore à Bruno Stirnemann de nous avoir offert ces vins de grande noblesse extirpés de sa cave.

-Dans le même genre d’idée, la maison n’est pas en reste, elle qui commercialise 3 versions de finos en rama, un Jerez (que nous avons dégusté plus haut), une Manzanilla et un autre Jerez mais d’El Puerto de Santa Maria. Compter près de 17 € pour 50 cl.

-Une boutique en ligne ? La plus sérieuse me semble être celle de Villa Viniteca, une institution à Barcelone, avec quelques raretés chères à notre dégustatrice Isabelle Brunet, comme les finos de l’Equipo Havazos hélas absents de notre dégustation. Bien qu’intéressés par tous les vins espagnols, les membres de cette équipe semblent avoir une prédilection pour l’Andalousie. Leur mission : détecter des pépites dans les caves du royaume, se les réserver, suivre leur élevage, puis leur mise en bouteilles, enfin leur commercialisation. Je vous avais déjà déterré quelques bouteilles ici même. Je me souviens d’une exceptionnelle Manzanilla Bota n° 32 qui fait encore frémir mes papilles de jouvenceau… Introuvable désormais, à moins d’un miracle ! Quelques raretés de cette fameuse équipe sont cependant en vente à la Maison du Whisky qui semble en avoir l’exclusivité en France.

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-Une boutique pas trop mal achalandée et proche de la France, le magasin Grau, en Catalogne, où je me suis largement servi en payant ma note, je le précise, au cas où certains auraient des doutes… Sinon, allez sur le site Univum où un large choix est proposé. Un autre site semble s’intéresser au Fino : Vino Iberico. Quant à Lavinia, pourtant partie de l’Espagne, son offre en ligne en France est plutôt décevante en matière de Finos.

-Enfin, un blog sérieux à consulter régulièrement si vous lisez l’anglais : le Sherry Notes du Belge Robert Luyten.

Fino, le vin fou

4 Sep

Étrange de ma part que de reprendre ainsi pour titre « le vin fou », un vieux slogan sorti de la maison Henri Maire (Jura), chantre, lui aussi, des vins élevés sous-voile. Mais voilà que cela fait bien 40 ans et plus que je suis adepte de ce type de vin. J’ose aussi dire que j’en abuse parfois. D’ailleurs, j’en ai toujours un ou deux flacons en veille (pour pas longtemps) au frigo et il m’a semblé utile de vous livrer un article écrit (bénévolement, je le souligne) pour le livre « La nouvelle épopée des vins oxydatifs secs » paru aux Éditions Trabucaire (Perpignan) sous la direction d’Alain Poirier. En allant vers le bas à l’aide de votre souris, je pense que vous pourrez tout lire. Sinon, écrivez-moi que je vous expédie le pdf.

Dos Amigos Andalous

4 Sep

L’époque où il suffisait de lever mon petit doigt pour recevoir une pluie d’échantillons de vins est heureusement révolue pour ce qui me concerne. Le seul hic, c’est qu’il faut que j’y aille de ma bourse pour picoler ! Comme mes compères de blog, fut un temps où j’organisais des dégustations que je croyais savantes en vue de parutions dans des articles pour revues plus ou moins solides, plus ou moins spécialisées. En ce moment, j’ai très soif d’Andalousie. Et par chance, ça tombe bien, car ces vins ne sont pas ruineux.

Au hasard de mes récentes commandes hispaniques, je pioche pour une fois dans l’appellation Montilla-Moriles qui donne, rappelons-le, à peu de choses près ce que l’on goûte du côté de Jerez sauf que le cépage n’est plus le Palomino mais le Pedro Ximénez et qu’à Montilla-Moriles, par décret, on ne mute pas les vins à l’alcool. On en a déjà causé ailleurs, donc je ne vais pas trop m’étendre et plutôt vous conseiller de revoir cet ancien article

De mes achats récents chez Vinissimus – rappelons que même si je les cite souvent, je ne cherche aucunement à faire leur publicité et que je paie mes vins, je retiens deux “coups de cœur”, deux vins, deux approches et deux plaisirs, deux différences de style, deux esprits que je me suis amusé à classer en deux catégories bien distinctes : le compliqué et le facile.

Photo©Vinissimus

Le compliqué

Fino Los Amigos de Perez Barquero

Bien que déclaré fino, mention qui chez moi sous-entend une approche franche et directe en bouche avec le coup de la joie instantanée en plus, ici, ça ne me la fait pas. Il a beau s’adresser “amicalement” à nos palais, Los Amigos ne me livre pas l’amitié franche, sincère et directe à laquelle je m’attends. Ça, c’était une première impression. Puis, une fois entamé, le vin a traîné quelque peu au frigo. En outre, vu son prix, j’avais acheté 3 bouteilles de ce vin, j’ai donc eu suffisamment le temps de l’évaluer. Première erreur, ne pas le servir trop glacé, car ce n’est qu’autour de 13/14° de température que le vin se révèle enfin : notes réglisse, c’est puissant, bien sec, avec un très joli fond concentré et torréfié. Étonnamment long en bouche, un rien langoureux, je le vois finalement comme le vrai complice qu’il promettait d’être, le vrai copain, surtout sur le fromage frais de brebis. Je l’ai particulièrement apprécié aussi en fin de repas, presque comme une liqueur que l’on s’offre alors qu’arrive le moment du café. 6,95 €.

Le facile

Le Fino CB d’Alvear

Photo©MichelSmith

Ayant fréquenté ce vin jadis lors d’un été de canicule où je le trouvais non seulement rafraîchissant, mais proche de l’idée que je me faisais alors – et que je me fais encore – d’un vin synonyme de vacances, vin de chance et d’insouciance, je retrouve avec le Fino de la marque Alvear tout le plaisir du vin d’apéritif et de début de repas. En dépit d’une ouverture parfois pénible (tête de bouchon un peu trop lisse qui nécessite une bonne poigne), on se retrouve ici dans un univers de franchise et de clarté, tout ce qui sied à un Fino. Le nez, d’abord : amande grillée, atmosphère florales d’orangers et citronniers. En bouche, c’est sec, bien sec et structuré dans l’élégance, mais c’est aussi complet, avec un fond salin rehaussé de notes fumées allant vers une finale anisée. J’en recommanderai volontiers, et ferai en sorte de le servir bien autour de 10° de température pour l’associer à toutes sortes de tapas pas trop pimentées, ou sur une entrée plutôt maritime. 6,76 €.

Michel Smith

Millésime Bio 2021 : dégustation privée.

3 Avr

Bon je ne vous fais pas de dessin : Covid oblige, le salon Millésime Bio 2021 de Montpellier que nous apprécions tous en temps ordinaires a opté cette année pour des rendez-vous cent pour cent digitalisés, What’s Up et autre Zoom, entre «exposants» et «visiteurs» ou bien, dans le même esprit, pour des contacts très directs par écrans interposés afin d’assister à des conférences «live». Désolé, mais pas trop pour moi.

En revanche, les filles (il paraît qu’il y a aussi des gars…) de l’agence Clair de Lune (à Lyon), qui s’occupent de la presse pour le salon, m’ont gentiment proposé de choisir une dizaine d’échantillons parmi les 520 vins médaillés par Sudvinbio, l’organisateur du salon et du Challenge Millésime Bio qui va avec. Ravi de pouvoir faire un choix en vue de cet article, je me suis concentré sur les 217 médaillés d’or de 12 pays. J’avoue que ce chiffre (217) m’a paru énorme. Face à l’inévitable dilemme du choix, je me suis souvenu d’une sage recommandation de Tim Atkin (Master of Wine, svp) qui me rappelait dans son blog, hélas je ne me souviens plus quand avec certitude, qu’il ne fallait en aucun cas attribuer de médaille d’or à moins que l’on soit prêt soi-même à acheter un carton du vin que l’on s’apprête à mettre à l’honneur. Sage remarque toute britannique.

Je me souviens moi-même avoir commis un (ou deux) billet furibard contre la bouffonnerie de certaines compétitions de vins. Et c’est pourquoi je rappelle en préambule, contradiction oblige, que je suis personnellement contre le cinéma – pour ne pas dire le cirque – des médailles que l’on distribue à tout va. Cette démarche toujours très en vogue, à mon avis, ne grandit pas le vin mais l’élève en produit purement, simplement et bassement commercial caché sous l’honorable prétexte de guider le consommateur. Éternel débat dans lequel je ne vais pas m’attarder. Étant plutôt de bonne humeur, pour une fois j’accepte l’idée qu’il est nécessaire de tout faire, surtout en période de crise mondiale, pour doper la vente de vin sachant que, par la force des choses, la médaille d’or garantit au minimum une augmentation des ventes de 30%, ce qui n’est pas négligeable pour un domaine. Tout cela pour dire que, pour une fois, je me plie au jeu des médailles.

Millésime Bio 2021 sous Covid ©MillésimeBio

Revenons à ma dégustation. Donc, je reçois les échantillons de médaillés d’or Challenge Millésime Bio 2021 à la maison, certains avec pas mal de retard (toujours ces satanés livreurs qui ne viennent que lorsqu’on ne les attend plus et lorsqu’ils ne sont pas annoncés) et j’arrive tout de même à aligner neuf flacons, un peu plus en réalité car deux domaines déjà connus de mes narines ont jugé bon de me faire une idée de leur travail sur d’autres cuvées. Un dixième échantillon venu d’Espagne étant arrivé hors délai, sera dégusté en dernier, en solitaire. Pour corser l’exercice, pour récompense aussi, je me suis autorisé d’ajouter à la fin deux magnifiques Cornas « Les Ruchets » que venait de m’adresser mon vieil ami Jean-Luc Colombo, vins sur lesquels je reviendrai prochainement.

Je vais donc vous présenter les 10 vins médaillés d’or dans le sens de la dégustation avec leur prix de vente TTC départ cave. Quels ont été mes critères ? Vu la quantité proposée – 217 médaillés d’or – je n’avais que l’embarras du choix. J’ai donc pioché un peu au hasard en prenant deux ou trois domaines déjà connus dans mon Sud d’adoption, puis à l’Ouest un blanc Nantais, un Libournais, un Loire avec bulles, un rosé de Béziers (ma ville de résidence), un Italien, un Espagnol, un Portugais… N’étant pas à l’abri d’une défaillance, pour m’épauler j’ai fait appel à mon ami et talentueux dégustateur-caviste Bruno Stirnemann. Après avoir réparti les vins classiquement (bulles, blanc, rosé, puis rouges) nous voilà partis pour une bonne heure de dégustation non aveugle, mais exempte en principe d’à-priori.

-Crémant de Loire 2019 brut nature, cuvée Ancestrale, Château de Passavant. Entre 13 et 14€

Estampillé Demeter, cet assemblage (chenin 60%, le reste partagé entre cabernet franc et chardonnay) d’un domaine réputé pour son travail exigeant ne nous a pas paru aussi expressif qu’il devrait l’être. Il manquait même à mes yeux d’une indispensable structure acide (un peu plus de 3g/l sur la fiche technique), affichant une rondeur inattendue et décevante. Une certaine franchise tout de même, une matière fournie et des notes croustillantes de pain grillé. Plus un vin de repas (sur un canard aux navets) que d’apéritif. Pour notre part, une médaille d’argent, mais pas en or.

-Muscadet-de-Sèvre-et-Maine 2019, Château de La Gravelle. 15€ environ

Lui aussi d’une attaque un peu mollassonne – est-ce le millésime ou la personnalité du terroir volcanique (gabbro) de Gorges ? -, le vin, bien que long en bouche, manquait de tension et d’expression à la première approche tandis qu’à l’aération, il se complexifiait singulièrement, offrant des notes florales sur une bouche ample et fruitée (poire blette) gratifiée d’une superbe finale. Après débat entre membres d’un jury, on lui aurait volontiers concédé une place d’honneur, mais pas d’or. Goûter sur des légumes en bâtonnets très légèrement cuits avec un aïoli plutôt léger.

-Coteaux de Béziers «Edena» 2020, Domaine Pierre Chauvin. 6,50€

En dépit d’un bouchage vis qui mérite un bon point, hormis quelques notes de fraîcheur et de noyau de pêche, ce vin ne dépassera pas à nos yeux le stade d’un rosé classique, sans autre ambition particulière que de satisfaire la soif des baigneurs attablés dans un restaurant de plage. De là à mériter une médaille d’or… Allez, le bronze à la rigueur.

-Terrasses du Larzac 2018 «La Villa Romaine», Mas des Quernes. 25€

Nez à fond sur les effluves de garrique après la pluie, la bouche se fait dense, profonde, marquée par des tannins d’une belle fermeté et une longueur estimable. Plus d’une semaine après, la bouteille entamée se goûtait rudement bien, reflétant indéniablement l’étoffe d’un vin de garde d’au moins 10 ans. En consultant la fiche technique, on n’est pas surpris d’apprendre que le mourvèdre (40%) s’impose sur un duo carignan/grenache de vieilles souches (moyenne de 40 ans), le tout vinifié parcelle par parcelle en petites cuves inox avant un élevage d’un an en barriques (très peu de bois neuf) par cépage et par parcelle, le tout assemblé en cuve 6 mois avant la mise en bouteilles. L’or ne fait aucun doute pour récompenser l’équipe de ce beau domaine d’une famille de vignerons-oenologues (Pierre et Jean Natoli) que j’ai visité avec bonheur à ses débuts pour ma rubrique Carignan Story. 

-Côtes-du-Rhône-Villages Massif d’Uchaux 2017, Domaine Vincent Baumet. 14,50€

On retrouve la garrigue mêlées ici à des notes dérangeantes de viscères animales, au mieux ventre de lièvre. La bouche est assez fluide, entachée par des tannins quelque peu ordinaires. On attendait mieux de ce grand terroir. Désolé, mais cela ne vaut même pas une médaille. Aux dernières nouvelles il ne resterait plus à la vente que des magnums de ce millésime. 

-Côtes-du-Roussillon-Villages Caramany 2017 «Comme Avant», Domaine Modat. 16,50 €

Il s’agit ici, selon Quentin Modat, de mettre en exergue le carignan, «comme avant» sans oublier pour autant les cépages «obligés» que sont syrah et grenache noir. Le carignan (60 %) est indéniablement responsable de la belle fraîcheur d’ensemble ainsi que du fruit «croquant», tandis que la Syrah (30 %) apporte son lot de tannins fins et soyeux. Nez de pierres chaudes, thym, romarin en fleur, c’est un vin complet, équilibré et fait pour durer au moins 5 ans, même s’il commence à se préparer pour une palette de cochon de Bigorre. Ayant un faible pour ce domaine qui faisait partie de mes préférés lors de mais années roussillonnaises, c’est plus que volontiers que je lui accorde la médaille d’or avec félicitations du jury ! Goûté dans la foulée, le 2018, un tantinet plus léger, résineux et boisé fin au nez, est d’ores et déjà prêt à boire sur une grillade de boeuf. Enfin, j’annonce ici la sortie prochaine (élevage 18 mois en barriques au tiers neuves) d’un super carignan remarquable d’élégance et d’équilibre tiré à un millier d’exemplaires (35 €). Bref, une valeur sûre.

Médaille méritée photo©MichelSmith

-Pomerol 2018, Château Bellegrave. 40€ environ

A 75% merlot, le reste en cabernet franc, 35 ans d’âge moyen pour les vignes, rendement de 42 hl/ha, élevage en barriques au tiers neuves puis d’un et deux vins, on distingue d’emblée l’impression de légèreté, j’ose même dire de facilité, imputable probablement à sa position juste après des vins sudistes en diable, mais plus vraisemblablement au terroir de graves caillouteuses, sable et argile, sur un socle riche en crasses de fer. En dépit de son prix et de sa notoire tendresse en bouche, c’est néanmoins un vin ravissant et de fort belle tenue : boisé noble, juste et plutôt discret sur des notes de maturité, fruits rouges et fraîcheur, avec un fond tannique assez dense en bouche. On peut commencer à l’ouvrir d’ici 3 ans sur un classique carré d’agneau accompagné d’une poêlée de cèpes. Médaille méritée !

Alentejano 2018, Touriga Nacional «HDL». Helena Ferreira Manuel. 13 € environ

Assez joli nez de petits fruits rouges (framboise, cassis), poivré et boisé, ce vin dit «vegan» nous convie à une bouche plutôt tendre malgré un encadrement presque rigide de tannins sans grande complexité. On le boira sur des côtelettes d’agneau ou de porc, mais je note que l’or est ici un peu trop généreux pour un vin auquel on attribuerait de l’argent plus par générosité qu’autre chose, tandis que s’il ne s’agissait que de moi, il n’aurait que le bronze.

Médaille de coeur...Photo©MichelSmith

-Amarone della Valpolicella Classico 2016, La Dama. 40 € environ

Ma dernière dégustation sérieuse de ce vin spécial remonte à 1997 ! Et ce sont les maisons Gini et Allegrini qui m’avaient le plus impressionné durant Vinitaly de cette année-là où j’avais, pour une fois, accepté de faire partie d’un impressionnant jury. Je suis de nouveau conquis par ce vin qui m’accompagnera par petites doses sur plusieurs jours après la dégustation. Grappes triées conduites en pergola véronaise de corvina (70%), rondinella (17%), corvinone (10%) et molinara séchées par ventilation une centaine de jours jusqu’à perdre 40% de leur poids, fermentation lente sur 30 jours, élevage de 36 mois en foudres et repos d’un an après la mise (8.500 bouteilles), le vin en impose en bouche (il titre 16,5°) sans pour autant que l’on ressente la moindre violence. Quelques petits tannins bien mûrs, une belle acidité en milieu de bouche, longueur par la suite, le tout conduisant vers une finale en douceur sans que l’on ait la sensation de sucré mais en allant plutôt vers une belle impression de gelée de fruits rouges, groseille et cerise en tête. On dit qu’il faut le garder 15 ans, mais je l’apprécie dès maintenant sur de petits toasts de viande des grisons avec quelques baies de poivre rose. Mais selon Bruno, il y a tant d’autres mariages en vue !

Bien, mais…

-Tempranillo, Bodegas Parra Jiménez. 6€

Outre qu’il nous vient de la Mancha, ce pur cépage tempranillo se présente bouché vis (encore un bon point), certifié Demeter, donc biodynamique, vegan et sans sulfites. Arrivé bien après notre dégustation, il a donc été goûté plus tard et en solitaire cette fois-ci. Un beau jus à la robe violine, plein de fruit (fraise, pruneau) en bouche, tannins veloutés et chocolatés, presqu’à la manière d’un Beaujolais Nouveau, c’est-à-dire simple, sans longueur, sans rien d’autre qu’un jus agréable à boire frais en été sur une cuisine de barbecue.

Si j’ai bien compté, sur 10 médaillés goûtés, nous arrivons à 4 vins dont la médaille d’or me semble amplement méritée. Bien sûr, un autre duo de dégustateurs en aurait à coup sûr trouvé plus… ou moins. C’est toute l’ambiguïté de ce genre d’exercice qui, tout de même, nous a permis de passer un agréable et studieux moment – et sans masque!

Michel Smith

Le Rancio, c’est pas un rigolo !

12 Nov

Pour une fois, je vais vous jouer cool, pondre un truc sans esbroufe, sans emphase, sans phrases savantes. Quelque chose de pas trop docte non plus, du moins je l’espère, comme un papier qui voudrait utile, destiné aux vrais mordus du vin, aux passionnés, aux inconditionnels, à ceux qui savent s’abandonner, bref, aux honnêtes hommes (et femmes) dont l’esprit est grand ouvert sur le monde du vin et ses mystères.

Brigitte Verdaguer, Domaine du Rancy. Photo©Michel Smith
Brigitte Verdaguer, Domaine du Rancy. Photo©Michel Smith

Pas d’explications trop ardues, juste un peu de rêverie, de poésie teintée de méditation. C’est le style du vin qui l’impose. Car celui dont je vais vous causer n’est pas fait pour les beuveries entre amis. Il s’agit plus, à mon avis, d’un vin de solitaire. Un vin à détacher du repas. Même s’il est difficilement contestable sur les fromages, parfois aussi au moment du dessert, ce type de vin que l’on sirote en fermant les yeux est plus pour moi un vin de réflexion à humer dans la pénombre d’un salon, dans la profondeur d’un fauteuil en cuir avec pour proximité le crépitement d’un feu de bois et, pour accompagner le tout, les volutes d’un havane qui se mêlent avec tendresse au piano d’un Samson François naviguant entre Liszt, Chopin et Ravel. Ou d’une troublante Maria Callas dans la Norma de Bellini. Mieux encore, il a beau être fait pour des plaisirs solitaires, ce vin que l’on nomme « rancio » ou « ranci » en catalan comme en français, qu’il soit sec pur et dur, ou pas trop, n’exclut pas cependant qu’il soit présent dans les ébats érotiques tant il a le don de vous coller à la peau, tant il suinte en vos veines, tant il exhale des parfums mystérieux et autant de voyages orientaux…

Collioure, oùl'on sait faire du rancio depuis des lustres. Photo©Michel Smith
Collioure, oùl’on sait faire du rancio depuis des lustres. Photo©Michel Smith

Tout d’abord, voyons ma définition : Sachant que « ranci » en Catalogne est aussi utilisé chez nous, de l’autre côté de la frontière, où les Banyuls, Rivesaltes et autre Maury sont plus souvent désignés sous le terme « rancio ». Peu importe le mot, les deux sont valables. Il faut savoir qu’en bon français le terme juste est « rance », mot qui, selon mon Larousse, s’applique à “un corps gras qui, au contact de l’air, a pris une forte saveur âcre, à l’image du beurre que l’on aurait oublié dans son beurrier, ou d’un morceau de gras de porc qui aurait mal vieilli. On peut donc, en bon français, parler d’un goût de « ranci » puisque dans nos dictionnaires l’adjectif existe aussi quand on veut évoquer l’odeur ou le goût de ce qui est rance, sachant aussi que ce terme s’applique aussi plus familièrement à une personne qui aurait mal vieilli. Or, en matière de vin, c’est plutôt l’inverse qu’il faut rechercher : le goût d’un vin “à l’oxydation ménagée”, comme disent les pros, un vin qui aurait de préférence « bien tourné » qui aurait survécu tant bien que mal à un long combat avec l’air, mais qui pourrait aussi « mal tourner » dans certains cas hélas lorsque l’aspect ranci du vin est par trop désagréable, lorsque l’aboutissement de cette aventure contre l’air vire au piqué ou au déséquilibre. Dans ce dernier cas, on devrait plutôt parler de « vins occis », vins qui se seraient laissés mourir par l’air ambiant !

Parlons-en de son parfum. Le ranci embaume dès qu’il entre dans le verre. Il marque d’emblée son territoire, montrant de manière flagrante qu’il ne s’agit pas d’un vin conventionnel. Car ce vin est tout bonnement l’ancêtre de nos grands Banyuls ou Maury, l’ancêtre de l’avant mutage, de l’avant législation. Il est sec et « rancioté » et c’est ce qui importe le plus. À moins d’avoir pigé dès le départ, je soupçonne que vous vous demandez où je veux en venir ? Rien de tortueux, rassurez-vous. Je souhaite simplement vous entraîner aujourd’hui au pays qui est devenu le mien par les hasards de la vie. C’est aussi le pays de Gérard Gauby, d’Hervé Bizeul et d’une flopée d’hurluberlus tous aussi curieux et cinglés les uns que les autres. Ce pays est la Catalogne, du moins la partie française de la Catalogne. Certains préfèrent entendre le nom de Roussillon, d’autres ne parlent que de Pyrénées-Orientales. C’est moins poétique, je le concède, mais quelque part plus exotique. Révisez donc votre histoire, moi, cela ne me regarde pas puisque je vois mon pays d’adoption comme un magistral trou du cul de la France riche d’une culture vinique à faire pâlir d’envie bien des vignobles plus tonitruants, notamment ceux de l’autre versant des Pyrénées. Mais passons, car l’important ici est de souligner l’hypocrisie de certains d’entre nous qui s’affirment « connaisseurs » et qui, finalement n’y connaissent pas grand-chose, ou si peu, à moins qu’ils n’oublient leurs classiques et qu’ils ne savent plus laisser parler leur cœur pour mieux s’ouvrir aux différentes approches du vin.

L'incomparable Rancio sec de la Rectorie, à Banyuls-dur-Mer. Photo©MichelSmith
L’incomparable Rancio sec de la Rectorie, à Banyuls-sur-Mer. Photo©MichelSmith

Je pense par exemple aux incultes qui osent dire que le rosé n’est pas un vrai vin ou que le vrai rosé doit se faire d’une manière et pas d’une autre. Et aux couillons qui ne rêvent que de grands crus en caisse bois avec la même force qu’il m’est arrivé d’avoir – en vain – en pensant qu’un jour peut-être Claudia Cardinale finirait tôt ou tard dans mon plumard… Mais ces gens-là ont-ils seulement entendu parler des rancios secs du Roussillon ? Ont-ils trempé une fois dans leur vie, voire effleuré de leurs lèvres le gras de ce vin mordant au possible ? Ont-ils su saisir ces longs moments de grâce où le vin pénètre dans le corps jusque dans les entrailles ? Ont-ils compris la claque ? Ont-ils saisi la jouissance ? Face à de tels vins, on a vite fait de faire le ménage autour de soi, d’évacuer les importuns. Le plus souvent, ils se contentent de placer avec dédain leur nez au-dessus du verre ventru pour le repousser illico presto sur la table. Bande d’ignares ! Incapables qu’ils sont de soulever la jupe de ces vins de bronze et de topaze revêtus du jeu subtil d’ombres et de lumières. La vraie révélation du Sud est bien là, et ils n’y voient que dalle !

Domaine Sire, un des rois du Rancio. Photo©Michel Smith
Domaine des Schistes, un des rois du Rancio. Photo©Michel Smith

Alors, voilà. La catégorie de vins dont je vais vous parler n’a rien à envier aux grands crus de Sauternes, du Jura ou d’ailleurs puisqu’ils sont résolument « à part ». Ce sont des vins « qui fouettent les papilles » comme le dit fort à propos l’ami Gérard Muteaud sur le site du Nouvel Obs dont je vous recommande la lecture.

Sire, Daguerre et Danjou, trois pontes du Rancio sec ! Photo©MichelSmith
Sire, Daguerre et Danjou, trois pontes du Rancio sec ! Photo©MichelSmith

D’abord, on pourrait dire d’eux que ce ne sont pas de vrais vins puisqu’ils vont à l’encontre de tout ce que l’on enseigne dans les cours d’œnologie. Depuis cent ans, on vous serine que l’air ambiant, l’oxygène, est l’ennemi du vin, les variations de températures aussi et la lumière pendant que vous y êtes. Or, reprenant une sorte de vieille tradition paysanne, le « vi ranci », comme l’ont dit ici, se faisait de manière empirique dans un vieux tonneau jamais rempli à ras bord dans lequel on rajoutait chaque année un peu de vin frais, celui que l’on ne vendait pas au négoce local et que l’on gardait pour soi. Il en résultait un vin pas toujours bon selon nos critères actuels, mais parfois miraculeusement fin, que l’on gardait pour les grandes occasions qu’offrait la vie familiale, mariages, communions, etc. Là, je vous parle d’une époque plutôt faste qui remonte aux années 1870 à 1970 où le vin ne connaissait pas trop la crise, en dehors le l’épisode du phylloxera qui dévasta le vignoble : 38.000 ha de vignes dans le Roussillon en 1820, 60.000 en 1907, 70.000 en 1931. Mais il paraît que la tradition est beaucoup plus ancienne, sachant que la vigne a toujours été présente dans le Roussillon en même temps que les cultures des céréales, là où c’était possible, et de l’olivier, bien sûr.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

Souvent caché sous l’escalier ou dans une pièce non chauffée de l’habitation, ou bien encore dans un recoin du chai lorsqu’il y en avait un, parfois même dehors, sous un auvent – les caves étaient rares dans ce pays où le raisin se vendait à des sociétés comme Byrrh ou à des coopératives pour faire des vins mutés à l’eau-de-vie ou aromatisés – ce vin « perpétuel », quelque fois coiffé d’un voile microbien, prenait alors en s’oxydant et en vieillissant le goût étrange de la noix verte mêlé dans le meilleur des cas à quelques notes épicées et fruitées. Des goûts que l’on retrouve dans d’autres pays comme l’Andalousie où ce type d’élevage s’est sophistiqué au fil des temps pour devenir une industrie au service d’une appellation comme le Jerez, par exemple. En ce temps-là, on « éduquait » le vin plus qu’on ne le faisait.

Celui de Ferrer-Ribière. Photo©MichelSmith
Celui de Ferrer-Ribière. Photo©MichelSmith

Côté français, dans le Roussillon, ce goût particulier, celui qu’en Espagne on appelait le « rancio », n’était pas aussi apprécié, sauf dans les campagnes. Notre palais, surtout celui des villes, s’affinait et devait être plus sucré. Les industriels des apéros ont cherché à se débarrasser du sec et du rance en ajoutant de l’alcool afin de conserver les sucres du raisin. Ainsi naquirent les différentes appellations de Vins Doux Naturels qui  à l’époque réjouirent nos mémés et pépés, Rivesaltes, Banyuls et Maury en tête, suivis de toute la kyrielle des vins de marques destinés à l’apéritif, au « quatre heures » aussi. Précisons tout de même que la technique existait depuis le Moyen âge et qu’elle permettait tout simplement aux vins de voyager sans trop d’encombres.

Jean L'Hériritier et Marc Parcé, chevilles ouvrières du Rancio sec auprès de Slow Food. Photo©MichelSmith
Jean L’Hériritier et Marc Parcé, chevilles ouvrières du Rancio sec auprès de Slow Food. Photo©MichelSmith

Aujourd’hui,  il faut être fou et se casser la tête pour oser attendre 5 à 10 ans afin que le goût de rance, le fameux rancio, fasse surface et puisse être embouteillé pour être revendu à un prix conséquent. Il faut être cinglé pour exposer son fût à l’extérieur, lui infliger les variations de températures et les intempéries. Fou, parce qu’il y a de la perte (la fameuse part des anges) dans l’air et pas mal de risques à prendre : soit le rancio se développe de manière élégante et subtile afin de ne point trop heurter le palais des dégustateurs et c’est tant mieux, soit il imprime à un vin la limite repoussante, mais indélébile, quelque chose de vulgaire et de proprement imbuvable. L’autre gageure consiste à faire en sorte que la fermentation du jus de raisin se fasse totalement pour justifier le qualificatif de « sec », chose qui n’est pas évidente quand le taux d’alcool frise ou dépasse les 16°/17°. Pour ma part, il m’arrive de privilégier  certains types de rancios qui virent vers le demi-sec, donc pas tout à fait secs. Affaire de goût. Sur les roqueforts et certains desserts, ils sont incomparables, tandis que les secs peuvent jouer un rôle au moment de l’apéro sur des crustacés, des coquillages ou des anchois.

Le Rancio sec de la Préceptorie. Photo©MichelSmith
Le Rancio sec de la Préceptorie. Photo©MichelSmith

C’est pourquoi il convient de saluer l’initiative de Slow Food, association mondiale qui, sous l’égide de ses Sentinelles, et au début du millénaire, a remis au goût du jour cette production artisanale de qualité. Les cépages concernés sont les différentes variétés du Grenache (gris, blanc, noir), Carignan, Maccabeu. De là, une association de producteurs est née qui rassemble quelques domaines parmi les plus convaincus sous le nom de Rancios Secs du Roussillon. Peu ou prou, je rejoins mon ami Muteaud dans sa liste de favoris. Pour résumer, j’ai été impressionné ces derniers temps en priorité par les Frères Parcé, du Domaine de La Rectorie à Banyuls qui nous offrent un vin proprement divin, religieux, pur. Puis viennent le Domaine de La Tour Vieille à Collioure (« Mémoires », que je trouve d’un extraordinaire rapport qualité prix avec le « Cap Creus »). On remarquera ensuite des vins curieux comme ce « Ranfio Fino » (vin de voile) de Vial Magnères à Banyuls et dont j’aime aussi la cuvée « Al Tragou ». Autre vin semblable quoique plus discret, celui du Domaine Ferrer-Ribière, dans les Aspres. À ne pas négliger, le « Al Padri » de la Cave l’Étoile, également de Banyuls, probablement le moins cher, mais le plus rustique du lot. Avec le cépage blanc catalan Macabeu, il faut retenir les vins du Domaine de Rancy, à Latour de France. Pour le côté « solera » élevage particulier où les vins jeunes sont éduqués par les vins vieux en même temps qu’ils viennent les renforcer, il faut aller au Domaine des SchistesJaques et Nadine Sire font des merveilles aidés de leur fils Michael. Pour compléter la collection, ne pas négliger non plus l’un des noms les plus en vue, celui du Domaine Danjou-Banessy, qui offrait un 1980 d’enfer ! Je pourrais aller plus loin, fouiller de fond en comble le Roussillon des Aspres à la Vallée de l’Agly pour dénicher des vins, que dis-je, des trésors, à des prix défiant parfois l’entendement. Mais après tout, maintenant, c’est à vous de travailler !

Michel Smith

Manzanilla, instinct et tortilla.

16 Sep
©MichelSmith

Depuis ma déclaration à Carmen en début du mois (ne pas oublier au passage celle de nos chers Impôts…), il me semble vous avoir promis une suite incluant une dégustation. Aussi vais-je continuer sur ma lancée en rajoutant quelques grains de sel (andalou) à mon indispensable tortilla, celle qui va si bien avec la Manzanilla. Non pas la camomille, mais bien la Manzanilla. Une tortila faite, ces temps-ci, de pommes de terre, bien sûr, d’oignons et d’oeufs de ferme évidemment, mais aussi agrémentée de quelque restes de vieux jambon et chorizo coupés en petits dés, sans oublier de fines lanières de poivrons rouges archi goûteux, que je trouve en cette fin de saison.

©MichelSmith

Sans tortiller, donc, venons-en à l’instinct qui nous guide en permanence, à ce moment précieux où l’instinct précisément réclame autant de liquide que de solide afin que la pensée puisse fonctionner au mieux. Au fil de l’été, l’instinct a bien voulu me conduire au cœur d’un labyrinthe festif et gourmand dont je me sors, provisoirement, qu’avec l’arrivée d’octobre et les prémices de l’automne, et ce après une entrée tonitruante en juin avec la réception de ma commande spéciale de Manzanilla. Chaque jour étant un détour joyeux, l’instinctif fut plus excitant encore, plus curieux, en particulier les jours de marché. Il y eut, dans le désordre, le craquant d’une peau de mirabelle à peine rosie, la suavité d’une pêche jaune bien mûre, le délicat parfum du fenouil émincé fin ou celui plus terreux d’une purée d’orties, le poivré piquant du radis blanc, la carotte vue sous toutes ses formes et espèces, l’ail nouveau, le goût redécouvert d’une variété de poivron rouge enroulé sur lui-même à la manière d’un chaton endormi, les retrouvailles avec l’échalote rose forme ballon de rugby réduite en miettes par la lame de mon couteau et réparties sur les surfaces luisantes des fines tranches de groin en gelée, spécialité de Michel, le charcutier de Herépian (Hérault), sans oublier la pure merveille tomate de septembre, la meilleure, la plus mûre, la plus aboutie. Et à chaque occasion cet instinct bestial qui me tortillait les tripes sur le coup de midi, l’instant, que dis-je, l’instinct Manzanilla. Souvent, en fond sonore, l’extraordinaire touché de Claudio Arrau gambadant de ses doigts en suivant Claude Debussy, rêvassant, sautillant et virevoltant tel le moineau qui passe de l’herbe à la branche et qui quitte l’arbre pour finir au bord de la flaque d’eau !

©MichelSmith

Et moi qui vais gaiement, le geste machinal, ouvrant la porte du frigo pour saisir le verre vide laissé à portée de main sur un rayonnage (bien froide se boit la Manzanilla !) et, de l’autre main, puisant dans la porte presque au hasard le col d’une bouteille évocatrice, le poignet droit bien entraîné au versement d’un trait de vin blond au fond du verre bien givré. C’est ainsi que j’ai passé l’été en profitant de mes quatre marques de Manzanilla toujours prêtes à l’emploi en me ménageant presqu’au quotidien quelques minutes pour noter des observations ne serait-ce que pour affiner mon prochain renouvellement de commande. À propos, si je ne l’ai déjà fait, je vous conseille de ne pas commander ces vins en trop grande quantité car, même s’ils partent vite tant ils sont faciles à ouvrir autant qu’ils le sont à boire, ils ne supportent pas, à mon avis, de trop longue garde, disons guère plus d’un an. Je ne suis pas un expert en la matière, même si j’ai ma petite idée, mais certaines marques dépassant le million de bouteilles, il doit y avoir plusieurs épisodes de mises en bouteilles, genre tous les deux ou trois mois si ce n’est plus fréquemment en fonction de la saison ou du niveau des livraisons à assurer. Pas toujours indiquée, la date de la mise en bouteilles devrait être un marquage obligatoire (voir plus loin) garantissant ainsi une forme de fraîcheur propre au style fino de la Manzanilla. Si cela vous intéresse, je vous conseille de lire ceci sur l’excellent site Sherry Notes. Il en va de même pour les vins de ChampagneCavaCrémantsProsecco et autres bulles. Et, tant qu’on y est, cette mention devrait même s’imposer, selon moi, sur toutes les bouteilles de vin !

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Tout de suite, j’ai en tête une autre mise en garde qui découle de ce que je viens d’écrire et qui s’impose une fois relues mes notes de dégustations des années passées en les comparant avec celles d’aujourd’hui : hormis une ou deux exceptions (la Guita, la Papirusa), je ne retrouve pas toujours complètement le goût, le style de chaque vin d’une dégustation à l’autre. Un flacon d’un classique Barbadillo, par exemple, ne ressemble que rarement au même flacon ouvert il y a un mois ou deux. Alors, serait-ce un problème d’âge (le mien, d’âge…) ? Une histoire de mise en bouteilles fractionnée (voir plus haut) ? Un goût de lumière dû à une trop longue exposition en magasin ? Faut-il mettre en cause le bouchage vis que je préconise par ailleurs et qui ne serait pas aussi parfait que ça ? Cela vient-il d’une dégustation « anarchique », sous-entendu « tu goûtes le vin le matin en cuisinant puis tu oublies la bouteille entamée au frigo pour t’en servir le lendemain ou une semaine après » ? Serait-ce mon goût qui fluctue entre café matinal, cuisine épicée du jour et salade du soir ? D’autres questions encore… Mais à force de se poser trop de questions, le charme n’opère plus !

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Alors, on peut se poser la question : qu’est-ce qui distingue la Manzanilla de ses semblables andalous ? Pour ma part, il y a, en dehors de l’aspect salin (la mer est proche), une sensation de légèreté qui confine à une sorte de facilité – cette fameuse (fumeuse) buvabilité – de dégustation, surtout en compagnie des fruits de mer et de ceux en particulier que l’on prépare légèrement enfarinés plongés dans l’huile bouillante, je pense aux petits calamars, aux crevettes, au rougets et autres fritures. Je n’évoquerai pas ici les cuvées spéciales « en rama » (non filtrées) et millésimées qui sont de nos jours bien plus nombreuses que je ne le supposais ne serait-ce que quelques années en arrière avec, dernière nouveauté, des vins de crus c’est à dire d’un lieu spécifiquement indiqué, le tout en demi flacons. Cette course à l’originalité me dépasse quelque peu car elles ne fait qu’augmenter les prix vers un univers de luxe alors que jusqu’à maintenant la Manzanilla reste, du moins dans l’esprit de vieux grincheux tel que le mien, un vin festif, expressif certes, mais joyeux et simple, destiné aux bons plaisirs de la table marine et des comptoirs de bars remplis de vraies tapas et non de pâles copies. Pour finir, sachez que les prix donnés sont départ cave TTC et qu’il faut considérer un supplément raisonnable accordé au transport qui se fait rapidement et dans d’excellentes conditions comme j’ai pu le vérifier maintes fois en passant par (pub gratuite, j’insiste) la maison Grau, en Catalogne.

©MichelSmith

Commençons par la Manzanilla Solear des Bodegas Barbadillo (6,24 €) qui, sans viser les sommets – la maison élabore d’autres cuvées bien plus ambitieuses -, n’en offre pas moins une bonne représentation de l’appellation avec une acidité bien marquée, certes, mais réussie même si, parfois, il arrive qu’on la trouve un peu dure. Dès le premier nez on sent la marée monter à l’instar d’un mascaret sur les bords de la Dordogne, juste avant le port de Libourne. Limpide, le vin joue son rôle d’aiguiseur d’appétit du début à la fin avec des notes salines en abondance, légèrement poivrées en finale. On ressent une faim de mer tant ce vin collabore volontiers avec les crevettes charnues et les coquillages, les telinas en particulier.

©MichelSmith

La Manzanilla Macarena, élevée dans les chais des Bodegas Elias Gonzalez Guzman affiche une belle étiquette ressuscitée en 2014 à l’occasion du centenaire de la marque. Elle est une de mes préférées du moment, de par son prix (5,49 €) d’une part, mais aussi pour son allure, sa plénitude en bouche, sa belle et fraîche amertume qui fait qu’elle assure à la fois sur les plats de viandes crues marinées comme sur le poisson. En prime, une bonne persistance en bouche conduisant à une finale nette au jolies notes grillées-salées de pistache.

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Elle a beau mettre en avant son 250 eme anniversaire en plus de sa note élevée dans le Wine Spectator, la Manzanilla La Gitana des Bodegas Hidalgo (5,51 €) est en ce moment une des plus courantes dans le registre du bon rapport qualité-prix, mais ce n’est pourtant pas ma préférée, car je la trouve trop acide (notes de citron) et un peu trop simple dans sa conception. Elle est cependant assez active lorsqu’elle est confrontée aux cochonnailles en tout genre ce qui en fait en résumé un vin facile alors que ses versions Pastrana et En rama sont beaucoup plus intéressantes. Précisons tout de même qu’il y a 5 ans, je trouvais ce vin superbe… Comme quoi.

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La Manzanilla La Papirusa, de la maison Lustau, en plus d’une élégante présentation et d’un prix « raisonnable » (9,99 €), est de loin la plus appréciée et respectée des amateurs, que ce soit en Espagne, en Belgique, en Grande-Bretagne ou chez nous. Ce que j’aime en elle, c’est cette délicate brise marine que l’on devine au nez, au point que l’on sent la grande voile se gonfler ! Son acidité est présente en bouche, mais on la ressent plus dans la finesse tandis que le vin assure généreusement, livrant des notes d’amandes croustillantes et salées en finale, en plus d’une persistance bienvenue. Une valeur sûre pour un apéritif raffiné ou sur un cigare !

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Pour finir, quelques autres Manzanilla goûtées précédemment.

Manzanilla Muyfina, de chez Barbadillo. Robe jaune pâle. Un goût cireux, étrange, poussiéreux, notes de vieux cuir… Puissant, gras et long en bouche mais sur une tonalité rustique. Dur, manquant à la fois de fraîcheur et de finesse. Comportement acceptable sur des tapas : olives, anchois…

Manzanilla San Leon, des Bodegas Arguezo. Robe moyennement pâle. Nez pas très net, simple et rustique. Bouche réglisse et fumée. Ça fonctionne sur le gras du jambon et sur le boudin noir de campagne.

– Manzanilla La Guita, de chez Raneira Perez Marin. Robe légèrement paillée. Nez fin et discret avec touche d’amande. Une vraie présence en bouche, ça frisotte, léger rancio, manque peut-être un poil de finesse, notes d’amandes salées en finale. C’est bien foutu. Plus sur des plats de crustacés, langoustines, crevettes, etc. 

Manzanilla Sacristia AB, Secunda Saca 2013, d’Antonio Barbadillo Mateos (37,5 cl). Robe blonde sans surprise, mais nez surprenant au premier abord, presque moisi. À l’oxydation, le vin devient prenant, dense, entêtant au point qu’il finit par captiver l’auditoire. Huit jours après, il confine au sublime : on devine l’épaisseur, on sent le zeste de citron, le fumé, la salinité et la belle amertume qui vient souligner la finale. Il lui faudrait quelques blocs de maquereau cru avec des feuilles de basilic et des morceaux d’olives vertes et noires, mais là encore on pense au parmesan disposé cette fois-ci sur des asperges vertes légèrement poêlées et servies tièdes avec un filet d’huile de noix. Où alors on lui donne un jeune navet coupé en lamelles fines avec huile d’olive et truffe. Mais aussi un tartare de cèpes…

Manzanilla Pasada Pastrana, La Gitana de Hidalgo. Pour ainsi dire très peu filtré et composée de vins deux fois plus âgés que ceux entrant dans la composition de la Gitana, ce vin d’une seule vigne (single vineyard sur l’étiquette) était très mal placé dans notre dégustation. Bien que sa robe ambrée fut agréable à l’œil, je l’ai trouvé un peu éteint, mou, tandis que mes collègues de dégustation ont préféré utiliser le terme « discret ». Certains ont tout de même relevé des volutes de havane et des effluves de fruits secs. On a même envisagé un mariage sur une huître !

Enfin, je dois signaler l’excellente initiative de ces fous de vin de l’Equipo Navazos qui sélectionnent des cuvées aussi exceptionnelles que rares. Bien qu’intéressés par tous les vins espagnols, les membres de cette équipe semblent avoir une prédilection pour l’Andalousie. Leur mission : détecter des pépites, se les réserver, suivre leur élevage, puis leur mise en bouteilles, enfin leur commercialisation. Je me souviens d’une exceptionnelle Manzanilla Bota n° 32 qui fait encore frémir mes papilles de jouvenceau… Introuvable désormais, à moins d’un miracle !

Michel Smith

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Un amour de Manzanilla

3 Sep

Voudras-tu me pardonner d’avoir osé publier cette lettre qui, franchement, frise le ridicule ? Es-tu toujours du côté de Cadiz ? As-tu des enfants ? Serais-tu grand-mère ? Pardon d’être moi-même, incorrigible maladroit, mais faut dire que par moments, vois-tu, des choses de ma vie antérieure se raniment et remontent à la surface. Pour mon plus grand bonheur, mon cœur ce matin s’est mis à sautiller d’émotion tandis que je me préparais au réveil. La raison est simple, elle est presque enfantine : je venais de rencontrer ton visage dans un songe joyeux où je revisitais l’Andalousie en m’attardant passionnément dans cette poche très spéciale, ce triangle magique qui part de Jerez de la Frontera à El Puerto de Santa Maria pour finir par la ville de Sanlúcar de Barrameda où il me semble que tu avais de la famille. 

Cette lettre vois-tu, je la publie sans honte pour raviver une flamme bien trop brève, un amour de passage comme on dit, une folie douce autour d’un vin, d’un paysage crayeux, rêverie de voyage, instant de doux égarements, nuit enchanteresse au sein de laquelle j’ai trouvé refuge autrefois, le temps d’une rencontre magique, femme et vin à la fois, souvenirs ponctués de regards insistants, de petits plats bigarrés et piquants sur fonds de chant profond accompagné de guitare flamenca.

La carte postale…

Oui, je sais, j’ai cette fâcheuse tendance à exagérer, à tout déformer. Partout, je lis “le” Manzanilla alors que pour moi c’est “la” Manzanilla, quelque chose de définitivement féminin, comme l’eau est à la bouche, la salsa à La Havane, la tomate à la pizza et ainsi de suite. Oui, je persiste encore à vouloir féminiser ce vin andalou qui m’est devenu si familier depuis que je l’ai rencontré presqu’en même temps que j’ai fait ta connaissance à Sanlúcar de Barrameda lors d’une de ces visites professionnelles où je pensais plus à m’enivrer de tapas et de finos qu’à travailler sérieusement. Oui, te souviens-tu de cette visite où je t’ai trouvée grâce au hasard de la rencontre ? Fille étincelante décidée à conquérir le monde, si séduisante dans ton chemisier rose à peine transparent et ton pantalon jaune-orangé si bien adapté à ton allure de jeune étudiante déjà bien engagée dans la vie, forte de ta maîtrise de la langue française (ta maman, si mes souvenirs sont bons, était native de Bordeaux), tu finissais en ce début septembre ton stage de guide touristique dans les chais des Bodegas Barbadillo, une des maisons les plus traditionnelles de cette cité bizarre étalée – écartelée devrais-je dire – de tout son long sur le flanc bas du fleuve, là où ce dernier s’ouvre en une sorte de virgule géante à la rencontre de la Méditerranée

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Le sac de plage en bandoulière encombré de dossiers de presse, les anses reposant sur ton épaule cuivrée, le flot de tes cheveux blonds en partie retenus, je crois, par un élégant foulard blanc filant derrière le cou pour finir presque jusqu’au creux du dos, tu paraissais fière d’accueillir ce petit troupeau de journalistes fans de fino, fière et heureuse de transmettre la culture de cette région de Jerez que tu aimais “par dessus tout”, ainsi que tu nous l’avais confié avec cet air triomphal qui te caractérisait. Cela se passait juste avant d’entrer dans la pénombre d’un chai monumental qui semblait s’imbriquer dans les fondations du château de Santiago en haut duquel, à condition de vouloir gravir les marches sous une chaleur torride, la vue sur le Guadalquivir était grandiose et mémorable. C’est fort probablement à cause de la lumière tamisée qui filtrait en rayures inégales dans l’espace étrange de cette cathédrale remplie de botas empilées les unes sur les autres que tes yeux d’un vert olive teinté de filets dorés me sont apparus, un peu comme s’ils cherchaient à capturer la part infime et inaccessible d’un soleil à peine tiédissant en ce début de soirée. Dans la décontraction la plus totale, un brin d’accent dans la voix qui se voulait enthousiaste, tu nous récitais une leçon bien apprise sur cette flor mystérieuse et microbienne, cette “fleur” qui pour nous n’est qu’un voile le plus souvent d’un blanc disgracieux recouvrant la surface du vin, mince tapis qui se veut avant tout « nourrice », de celle qui accompagne l’apprentissage du vin dans des fûts aux trois quarts remplis, ce vin qui deviendra (ou pas) Fino à Jerez mais qui ici se nomme Manzanilla

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Que la Manzanilla était bonne ! Et que tu étais belle ! Belle au point d’en oublier ton prénom ce qui explique qu’aujourd’hui, tout en écrivant ces lignes, je ne retiens que ce mot, celui qui devient le nom que je te donne provisoirement, ma chère Manzanilla. Peut-être t’appelles-tu Lola, Pilar, CamilaSara ou Carmen ? Peu importe puisque tu restes pour moi LA  fille de LA Manzanilla, ce vin que l’on boit frais, celui qui a l’amertume légère, le goût de la liberté, de la rencontre, de l’amour. Il me semble qu’avec précaution ce soir-là je t’avais dit combien je détestais les danses locales, les « sévillanes » sautillantes et leurs inévitables simagrées. Tu savais aussi – on en avait bien rigolé – comment je suis capable de me retirer comme un escargot au fond de sa coquille dès lors que s’exprime la fougue arabo-andalouse avec ses irritants et cinglants coups de talons, ses cris de torpeur semblables à ceux de la veuve éplorée, que le simple bruit sourd des sabots qui martèlent le sol me fait fuir, sans parler de l’odeur du crottin chaud dans l’arène, du parfum volé et abusé de mes voisins, de la sueur et de la poussière. À cause de ces préjugés qui me font honte aujourd’hui, j’ai eu l’impression que ce soir-là, lorsque mes camarades furent partis pour rejoindre leur hôtel de luxe à Jerez et que j’ai décidé de passer la nuit à Sanlúcar, notre destin était lié, j’en étais sûr, au moins pour une nuit. Même s’il n’y avait pas à l’époque de zéro six, j’avais la certitude que nous allions nous revoir très vite.

©MichelSmith

Peu après cette visite suivie d’une dégustation, je suis sur cette large promenade qui frôle le fleuve et la plage en essayant tant bien que mal d’allumer un robusto dans le vent léger de la mer. Tu me croises, on se regarde un bref instant, on s’aborde franchement et je te demande si tu n’aurais pas une bonne adresse de fruits de mer. Maintenant, j’en suis certain, ça me revient, tu t’appelles bien Carmen. Original n’est-ce pas ? Toi et ton regard Carmen, toi que j’ai osé draguer dans la rue, cette même Carmen qui m’évoque Carmen SevillaCarmen Miranda ou plus proche de nous Carmen Amaya, ou bien encore la mondialement connue Carmen de Bizet, oui toi Carmen, tu me conduis à quelques pas de là aux portes de la Casa Bigote, cet immanquable bar et restaurant du quartier Bajo de Guia.

©CasaBigote

Pas de réservation, mais tu nous a déniché une place de choix pour engager la conversation au seuil de notre nuit agitée arrosée de maintes copitas de vin blanc toujours frais dans un défilé bien orchestré par les demoiselles de la baie de Cadiz : grosses carabineros frites couleur rouge sang, gambas blanches tirant sur le rose ou adorables langostinos tigrées du golfe de Cadiz. Je suis certain qu’à ce moment même où nous trinquions en nous regardant fixement j’ai dû penser à la Belle de Cadiz et à ses yeux de velours. Il me semble aussi que, revoyant à tes yeux coquins, contrairement à la ritournelle, la belle andalouse en face de moi était désireuse d’un amant…

Les crevettes tigres !

Une fois dehors, moi grisé par la bonne fortune de ce repas partagé, le vent séchant quelque peu ma chemise collant à ma peau de par la moiteur tropicale de la salle pleine à craquer, toi tu étais toujours là, vaillante, quoiqu’un peu hésitante. Puis, comme illuminée par ma proposition d’une tournée des bars typiques, avec pour bonne excuse : « goûter la Manzanilla dans ses différences d’un quartier à l’autre de la ville », nous sommes partis en vadrouille. Tu avais le désir fou de me montrer ta cité en partie blanchie de chaux, la volonté de trainer encore en ma compagnie. Vers une heure ou deux du matin, je laissais un instant ton visage radieux pour plonger mes yeux vers ton corsage entrouvert où luisaient quelques perles d’humidité rejoignant l’armature de ton soutien-gorge blanc d’où je devinais, comme par hasard, tes petits seins rondelets.

©MichelSmith

C’est en pensant à toi, à cette nuit ardente et tourbillonnante qui nous a fait passer d’un bar à l’autre jusqu’au lit profond de cette vieille pension au patio andalou, qu’en ce matin lumineux, trente deux ans après, si ma mémoire est bonne, je revois le moment ô combien cruel et détestable où l’envie de quitter tes yeux d’amande pour aller faire semblant de travailler et rejoindre mon groupe à Jerez a finalement été plus forte que le rêve que je caressais en secret et qui me disait de rester à tes côtés. De rester ne serait-ce qu’un jour ou deux pour un bain de mer en ta compagnie, pour un plat partagé de coquillages, pour une nuit de plus dans tes bras.

C’est fou comme la Manzanilla peut-être mauvaise conseillère quand on en abuse !

Michel Smith

Sur un air de Manzanilla

22 Juil

C’est un refrain que j’adore fredonner car il évoque un voyage sur les rives du Guadalquivir, à moins de 30 km de la cité arabo-andalouse de Jerez, dans la moiteur saline de Sanlucar de Barrameda. J’en ai goûté plus d’une de Manzanilla, le vin blanc de Sanlucar ! Rassurez vous, je ne vais pas toutes les passer en revue. Sachez tout de même que ma préférée, celle qui m’étanche avec bonheur lorsque je me jette sur mon riz bien épicé, s’appelle Papirusa. Sous ce joli nom choisi par l’illustre maison Lustau, se cache un vin complet, droit, structuré, rafraîchissant tout en étant lui aussi délicatement épicé. Mais, bue à température idoine (14°), elle est si délicate qu’elle va jusqu’à anoblir mon simple duo de grondins

Je l’achète en ligne autour de 10 € et je garde ce vin uniquement pour mes invités, et je l’avoue pour frimer un peu. Je vous propose que l’on se penche sur deux autres vins de Salucar que je déguste pour vous (comme pour moi !), vins toujours achetés en ligne pour me mettre dans la vraie peau d’un consomme/acteur avec mes propres deniers. Je les ai choisi pour leur bon rapport qualité-prix, vu que je ne suis pas riche.

Des vins d’été, bien sûr, arrivés en juin chez moi fort rapidement et dans d’excellentes conditions. Deux vins parmi d’autres, deux ambiances pour passer les apéros de la saison (et plus, s’il en reste) dans le style fino : une manzanilla déjà connue, La Gitana, presque «ordinaire» (5,50 € sans le transport) mais appréciée pour sa régularité et son rôle efficace sur les crustacés; une autre, on ne peut plus classique, de la marque Solear élaborée par la maison Barbadillo (un peu plus de 6 €) qui sied merveilleusement au casse-croûte matinal fait de quelques filets d’anchois sur du pain beurré.

Compter une trentaine d’euros pour le transport de deux cartons de douze bouteilles chaque, en tenant compte du poids et de la distance sachant que je suis héraultais, donc pas très loin du magasin Grau qui me livre depuis son site en Catalogne. L’affaire est bonne car la Manzanilla est pratiquement absente chez nos cavistes sudistes et si, par hasard, on la trouve, son prix et souvent triplé par rapport à celui que l’on paierait en Espagne où elle est présente presque partout. 

Michel Smith