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Pas de Mahler sans Clairette !

4 Avr

Vienne,1952. Bruno Walter dirige le Philharmonique de la capitale autrichienne. Il est accompagné de la contralto Kathleen Ferrier dans le fameux Chant de la Terre de Gustav Mahler qui fut l’ami du chef d’orchestre. Un « disque de légende », comme on dit. Un disque que je ne me lasse pas d’écouter. Et très souvent, je ne sais pourquoi ni comment, lors de mes retours de marché, il m’inspire au plus haut point et me plonge dans la préparation d’un plat spontané, sans suivre de recettes particulière et sans chichis, du type de plat qui va suivre. Sans oublier l’accompagnement.

La dernière fois, ce fut lors de mon retour d’un voyage au Maroc. J’avais soif de vin, de pureté salivante, de délice terrien. Cette soif ajoutée à la musique mahlerienne m’inspirèrent un risotto. J’ai une folle envie de vous le raconter, mon risotto. Mais avant toute affaire en cuisine, une descente en cave s’impose. Là, au bout d’une exploration rapide, je tombais pile au « rayon Rhône » sur trois bouteilles d’un vin IGP Méditerranée « Les Anthénors » de l’ami Jean-luc Colombo, un blanc issu de ses vignes de Clairette plantées quelque part au large de Carry-le-Rouet, plus précisément sur la commune de Sausset-les-Pins, à quelques lieues de Marseille, son port d’attache familial. J’examinai ce beau flacon à la forme légèrement évasée, l’étiquette ornée de trois cyprès – Jean-Luc ne fait jamais les choses à moitié -, pour découvrir le millésime. C’était un 2018 que j’avais volontairement oublié. J’ai toujours entendu, venant de la part de je ne sais quels doctes savants de la vigne et du vin, que la Clairette, par je ne sais quel manque d’acidité, ne saurait « vieillir » au-delà de deux ou trois ans. Sachant que ce cépage ancien était responsable à mes yeux de la finesse et de la profondeur de beaucoup de vins de Châteauneuf-du-Pape et de la méconnue appellation Clairette du Languedoc (goûtez celle du Château La Croix Chaptal, de par chez moi, dans l’Hérault) -, ce genre d’affirmation venant aussi de quelques remarques recueillies au fil des ans auprès de vignerons sudistes, me donna l’idée de conserver quelques exemplaires de ce cépage, comme ça, par curiosité, par esprit de contradiction certainement, enfin bref, juste pour voir. Certes six ans d’âge, ce n’est pas très vieux, mais enfin il faut faire avec ce que l’on a. Résultat, le flacon se retrouva illico au frigo pour dégustation. En un premier verre, le vin que j’avais apprécié dans sa jeunesse, n’avait guère me dire. Mais au bout de l’après-midi dans le verre, à l’air libre, il se décida à me parler, avé l’accent : fenouil des sentiers, garrigues, fleurs de thym, résine, salinité, pêche de vigne, j’étais bien en Provence, à la fois chez Giono, Pagnol et Guédiguian, en plein « Chant de la Terre ». Prenant en compte les origines italiennes, piémontaises je crois, de la famille Colombo, je gardais l’idée première d’un risotto.

Pour moi, faire un risotto, c’est un peu comme un jeu, une sorte de dépaysement, une évasion. Cette fois-ci, spontanément, je voulais donner au plat une connotation végétale et printanière inspiré que j’étais par ce que j’avais rapporté du marché, petits pois, oignons tendres, de l’aillé, ainsi qu’une botte d’asperges vertes.

A partir de là, le reste est simplissime : un peu d’huile de pépin de raisin au creux de la poêle pour faire frémir à feu vif les oignons, leurs tiges vertes et l’aillé émincés, deux ou trois belles louches de riso arborio, on touille bien jusqu’à faire briller et brunir légèrement l’ensemble, puis on y ajoute une louche de bouillon de légumes (ou de volailles), des tiges tendres d’asperges (garder la partie la plus dure des tiges pour un bouillon) taillées en fines rondelles; on touille encore et encore et, de nouveau, une louche de bouillon; lorsque le tout se met à bien saisir, on verse un demi verre du vin blanc de Clairette, quelques lamelles de parmesan pour obtenir un aspect quelque peu crémeux, puis une lichette de vin rancio pour parfumer, puis on touille et re-touille avec la spatule en bois avant de finir la cuisson avec une louche supplémentaire de bouillon, deux ou trois si nécessaire. L’opération prend une vingtaine de minutes et requiert une présence permanente au cours de laquelle on n’hésite pas à trifouiller la surface du plat à coups de tranchant de spatule dans un sens puis dans l’autre, à tourner et retourner le riz et, lorsque la cuisson avance bien, on goûte le grain jusqu’à ce qu’il soit croquant mais aussi fondant; ajouter sel et poivre selon son goût (perso, j’y met une mini cuillère à café de curcuma en poudre), on baisse le feu vers la fin de cuisson, on ajoute deux belles noix de beurre, un peu de thym frais et (ou) fines herbes grossièrement hachés, une louche de petits pois et les pointes d’asperges vertes mises préalablement en réserve lors de la préparation. Lorsque que le riz est à point, on saupoudre éventuellement selon goût un peu de Parmigiano Reggiano râpé (15 mois d’affinage au moins), on coupe le feu et on couvre le plat pour bien infuser les parfums avant de servir au besoin réchauffé une ou deux minutes à feu vif. Il m’arrive de rajouter le parmesan râpé au moment du service quitte à faire hurler les spécialistes.

Qu’il soit légumier, à base de crevettes ou de coquillages, aux truffes ou aux cèpes, à la moelle ou aux viandes blanches (lapin, pintade, poulet…), la rondeur, la suavité de la Clairette servie pas trop glacée se marie bien avec le risotto. La puissance retenue, la persistance en bouche du vin, sans oublier la profondeur, tout cela ressortira encore mieux si l’on tente de transvaser la veille le vin en une carafe ventrue. Après cela, on peut s’offrir une belle sieste en compagnie de la Première de Mahler, ou la Quatrième ou la Sixième, peu importe. Pour ma part, j’ai pu constater que s’il reste une lichette de Clairette en finale, ce n’est pas plus mal pour apaiser l’esprit !

Pour plus de Chant de la Terre, rendez-vous ICI !

Pinoteries et Rythm n’ Rouze

28 Mar

Ce n’est pas la première fois que je vous entretiens de cette tendance qu’ont les vignes du Midi à “pinoter”. La dernière fois, c’était cet hiver où je fourrais mon nez dans les Terrasses du Larzac. Cette fois, la fournaise aidant, j’ai retrouvé cet été la joie pure du “pinotage” à la languedocienne, sensation que je partage avec vous aujourd’hui façon “brut de cuve”, si j’ose dire. 

Photo : MichelSmith

Bouchons qui sautillent de joie, rouges servis frais surtout jusqu’à plus soif, c’est l’été quoi, et quel été ma bonne dame ! Plus que jamais par les temps qui coulent tout en courant, telle une source généreuse et jaillissante cachée dans la roche d’un paradis au milieu du désert brûlant, c’est le moment de boire à gorge déployée, loin, très loin des estivaux festivals, des plages surpeuplées et des autoroutes bondées, le moment de s’enivrer au fil de nos journées haletantes.

Alors, je goûte et re-goûte presque sans retenue le vin joyeux et n’ai d’autres envies que celle de jouir pleinement la simplicité du vin. Le genre pet’ nat’, par exemple, le tendre Pineau d’Aunis, le Gamay sucré de mon cœur, léger, frétillant et gourmand, le Pinot Noir qui, dans bien des cas, libère son fruit avec exubérance, la Négrette de Fronton, la Barbera piémontaise et j’oublie certainement au passage plus d’un raisin qui, vinifié simplement pour être bu sans trop tarder, sans manières, révèlent un fruité d’un goût oublié et avance avec fougue tel un cheval camarguais en pleine course libre dans les hautes herbes.

Mes camarades et moi avons déjà écrit à maintes reprises sur le Cinsault et les jolis rosés qu’il engendre un peu partout dans le Midi. Je ne vais donc pas trop m’attarder. Sauf pour dire que chez nous, en Languedoc, le Cinsault fait partie de ces jus que l’on n’oublie pas et les vignerons qui s’y attachent sont de plus en plus nombreux. J’ai déjà cité par le passé ceux de Sylvain Fadat, de Thierry Navarre avec ses fameuses “Œillades” – l’autre nom que l’on donne ici au Cinsault, et de bien d’autres vignerons méritants. 

Voici venir un jus réjouissant, celui de Karine et Nicolas Mirouze dont les 25 ha de vignes travaillées en biodynamie s’incrustent joliment dans la garrigue aux pieds du château du même nom, bâtisse à l’allure de forteresse médiévale. Je bois ainsi d’une traite (enfin presque) ce rouge léger (une version Viognier existe aussi en blanc) qui ne dépasse pas 11°, qui affiche une robe insolente de légèreté, entre rouge et rosé foncé, et qui m’offre une jolie coupe de petits fruits, rouges évidemment, avec quelques touches florales pour chatouiller le gosier. Comme annoncé plus haut, il s’agit d’un Cinsault non filtré armé, dans sa version 2021 du moins, d’une belle portion de Carignan et de Mourvèdre qui laissent une impression de petits tannins poivrés en finale. Un parfait vin de soif à boire sans songer à la modération !

Photo : MichelSmith

J’allais oublier le prix : 10 € chez mon pote Bruno, caviste au Nez dans le Verre à Pézenas. Un conseil : si vous ne connaissez pas les vins des Mirouze, prenez le temps de lire l’article printanier de Nadine sur ces lignes. Enfin, par ce lien, vous aurez accès à la chaîne YouTube du domaine qui permet de faire aussi connaissance avec Karine et Nicolas.

Le Jour du Seigneur

28 Mar

Nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas : on ne devrait saisir son clavier, du moins dans le cadre d’un blog tel que le nôtre, que si l’on a quelque chose d’important à dire, non ? Eh bien c’est mon cas puisque je vais vous entretenir du Jour du Seigneur, le Seigneur Carignan, bien sûr.

Tandis que je me gave de cèpes et autres trésors de nos bois à grand renfort de poêlées dignes d’Insta et de Facebook, je me souviens que, demain lundi, je vais participer, à Berlou, au Domaine de Cambis, sous l’égide de l’Union de la Sommellerie Française Languedoc Roussillon et Vallée du Rhône Sud (ouf !), et en étroite collaboration avec l’Association Carignan Renaissance qu’il m’est arrivé à ses débuts de présider, participer donc à une dégustation qui, je l’espère, sera grandiose puisqu’elle concernera les vins de nos associés, une bonne vingtaine je pense et même plus si l’on ajoute les “vieux” millésimes. De mon côté, je me pointerai avec des bouteilles de notre Puch, 2021 et 2014, ce petit domaine fondé avec des copains il y a plus de 10 ans sur une bosse avancée vers la mer, dans la commune de la commune de Tresserre dans les Pyrénées Orientales.

Tout cela va se faire en prélude du désormais célèbre Jour du Carignan autrement connu sous le nom de International Carignan Day, en attendant que le plus jeunes de nos membres ne créent un Carignan Night Fever à l’instar de nos amis du Grenache Day. La date retenue cette année pour ce Jour du Carignan, événement suivi par de plus en plus de cavistes et sommeliers, du moins dans le Sud, est le jeudi 27 Octobre. Je lance donc un appel à nos lecteurs, mais aussi à tous les amateurs et professionnels amoureux du vin méditerranéen de bien vouloir prévoir ce jour-là d’ouvrir une bouteille de ce noble cépage, de trinquer à notre belle humeur et de faire part de vos découvertes sur les désormais indispensables réseaux sociaux. Rendez-vous en particulier ce jour-là sur notre page Facebook que vous trouverez sur ce lien, laquelle, je l’avoue, mériterait un certain rafraîchissement.

Sur ce, pour le fameux Jour du Carignan, je vais faire cuire doucettement les premières girolles du marché avant de les achever avec deux oeufs fermiers en omelette si possible baveuse, ail et persil inclus. Pour les accompagner, j’ai prévu ce très provocateur “Renverse-moi” 2019 de Fabien Reboul, un Vin de France qui a l’audace et le mérite d’associer les deux cépages valeureux que sont Carignan et Cinsault, vin que je compte servir autour de 14° de température car ici on a nettement l’impression que l’été se prolonge.

PS J’ai cherché ici sans le trouver le Spécial Vins du Point où, parait-il, mon ami Olivier Bompas a mis en valeur nos vins carignanisés. Lisez-le si vous le trouvez. Sinon, j’ai vu son article en ligne ici même.

Millésime Bio 2022 : mon petit parcours.

3 Avr

Bio ou pas, le tout dernier jour d’un salon consacré au vin a le plus souvent l’allure d’un vagabondage apaisant, et ce, pour plusieurs raisons, à commencer par le fait que l’on y croise moins d’emmerdeurs, moins d’anciens combattants de la vitisphère aussi, moins de vignerons saisis de grossetêtisme aigu, de journalistes désœuvrés ou sur le déclin (c’est mon cas !), moins de sommeliers starisés, moins d’attroupements aux stands des célébrités vigneronnes. En route pour une journée de dégustations à Millésime Bio 2022.

©Salon Millésime Bio

En réalité, pour bien visiter un tel salon (plus de 1.500 exposants), il faut s’organiser, planifier ses dégustations, parcourir des kilomètres en tentant d’éviter les enseignes amies afin de respecter au mieux un planning et enfin, boire, boire beaucoup d’eau. Autant de choses dont je me sens incapable. Sans organisation précise, il faut donc se fier à l’improvisation et à la liberté qui en découle. Suffit alors d’arpenter une travée prise au hasard, d’éviter les invitations pressantes de commerciaux aux allures de rabatteurs de boîtes de nuit, ne pas trop se fier aux mines souriantes des uns et des autres, marcher droit en levant bien la tête pour repérer les noms d’exposants, noms qui déclenchent l’envie de passer son chemin ou, au contraire, de s’arrêter pour une pause ou une dégustation des plus complètes. Ce faisant, on accepte le principe du choix arbitraire, voire hasardeux : c’est ainsi que, de manière à ne pas trop embrouiller mon palais, et ce, jusqu’à l’heure du déjeuner, j’attaque sans discussion au blanc sec, puis j’accélère aussi sec au rouge jusqu’à ce que la faim, comme réveillée par les tannins, se profile et me tenaille. Pour finir, clore la visite par des bulles. Pas de vins spéciaux, privé de liqueurs, de cidres, poirés ou bières…

On part donc avec l’idée que l’on ne va pas participer à un marathon-dégustation à l’image de ce que l’on savait faire lorsque l’on était jeune et beau, mais que l’on s’autorise juste une promenade curieuse pleine de bonnes surprises. Accepter enfin le fait que l’on ne peut pas tout en même temps goûter, cracher, se concentrer, prendre de notes et photographier. Ceci explique la pauvreté des illustrations dans ce reportage, la plupart de mes photos étant ratées du fait d’un encombrement quelque peu déstabilisant : carnet, stylo, mouchoir en papier, portable, etc.

©PhotoMichelSmith

Il me fallait des blancs en ce début de matinée lorsque je me suis scotché au stand de Jean (le père) et Victor (le fils) Gardiès qui, selon ma propre expérience des vins du Roussillon, sont à mettre en peloton de tête d’un éventuel top ten de cette région qui fut longtemps la mienne. Les Gardiès m’ont présenté 4 blancs secs, tous impeccables, issus de leurs vignes, ce qui prouve une fois de plus que le Roussillon devient de plus en plus un eldorado pour des vins de cette catégorie. Les quatre, de vignes, de cépages sudistes, d’assemblages et d’élevages différents, traduisent la grandeur des paysages de la Vallée de l’Agly et attestent de façon admirable le travail sérieux et réfléchi effectué de longue date par Jean Gardiès. Mon préféré est la Torreta (40 €), un vin nouveau basé sur le Tourbat en majorité (Malvoisie du Roussillon) et le Maccabeu, le tout élevé plusieurs mois en demi-muids et 12 mois en bouteilles. Moins cher, le Grenache gris joliment intitulé « Je cherche le ciel » (19 €) est tout aussi remarquable. Ça commence bien, et j’ai au moins une photo !

©PhotoMichelSmith

Deuxième halte blanche, angevine cette fois, au Domaine Ogereau qui, sur 23 ha de vignes, en possède 5 ha en Savennières, le tout avec des lieux-dits bien répartis en 3 appellations. C’est parfaitement expliqué par Emmanuel Ogereau sur le site maison. Je ne goûte que les 2020 actuellement en vente et, après une “Saponnaire” ample et persistante, je pose mon nez sur la délicatesse des “Bonnes Blanches” (24 €), un sec doté d’une éclatante acidité évoquant cette lumière que l’on ne trouve qu’en bord de Loire. Retour vers le Layon, l’Anjou “Vent de Spilite” est comme cisaillé, sculpté par le temps, offrant droiture et structure, le tout porté par une persistance de toute beauté. On remonte vers Chaume avec cette “Martinière” d’appellation Anjou aux sols chauds et caillouteux qui évoquent puissance et longueur. Vient un Savennières “Le Grand Beaupréau” (27 €), clos situé sur les hauteurs aux pieds du moulin du même nom. Je tombe amoureux de ce vin car, tout en restant sur la fraîcheur tonique, je me laisse prendre par le gras, l’épaisseur, l’opulence… Une veine de grès sur le même coteau me fait tomber sur un Savennières “L’Enthousiasme”, blanc étale à la fraîcheur exemplaire, sans parler de la fougue énergique et de la longueur. Pour finir, un Coteaux-du-Layon Saint-Lambert (20 €), un entre-deux qui associe la finesse du botrytis à l’éclat de la fraîcheur. Je compte bien me rincer en beauté au Crémant, mais il n’y en a pas…

Par bonheur se pointe le Domaine Sauvète et son Touraine Sauvignon 2020 (10 €) très agréable de maturité, prêt à boire et joliment savoureux comme l’est le même cépage en Touraine Chenonceaux 2019 (14 €) à la fois clair et bien dessiné. Au passage, je ne peux passer à côté d’un rouge “Antea” 2018 de même appellation (comme de prix) marqué par 80 % de Côt aux jolies notes de cassis.

Photo©OlivierLebaron

I mix French and English with Deborah and Peter du Mas Gabriel et un délicieux Carignan blanc d’IGP Hérault 2021 (16 €). Bien que j’en sois tenté, je ne vais pas faire appel à la “minéralité”, mais plus à l’éclat fruité que m’évoque ce beau vin : poire et pomme presque blette, soleil, en veux-tu, en voilà, longueur aussi, acidité avec une pointe de verveine citronnée, c’est à mon avis un blanc d’avenir qu’il convient d’encaver. À noter que les “Trois Terrasses”, rouge 2020 (13 €) à majorité Carignan, au joli nez fin, velouté et notes de café en grains, souple, mais long, reste une fort belle affaire.

Languedoc toujours, même secteur de Caux, avec la Font des Ormes, domaine de 20 ha d’un seul tenant et un premier et prometteur millésime (2021, 14 €) blanc à forte majorité Rolle complété par le Grenache gris, aussi intéressant en complexité et longueur que l’IGP Pays de Caux 2021 (18 €), de pur et vieux Terret Bourret, sol de basalte sur calcaire. En rouge, je suis étonné par l’élégance du Coteaux-du-Languedoc Pézenas “Basalte” 2016 (28 €) dont les vignes de Mourvèdre, Syrah et Grenache sont au sommet d’une coulée de lave : notes salées, fumées, harmonie, distinction des tannins et jolis fruits rouges tout en longueur. Noter que ces deux cuvées existent en magnum.

Immanquable arrêt au stand d’Alain Chabanon, un des grands noms du Languedoc. On attaque avec le rosé “Tremier“ 2020 de pressurage direct, IGP Saint-Guilhem-le-Désert (12 €) à 80% Mourvèdre, reste Grenache blanc toujours aussi craquant de franchise ponctuée par un léger grésillement tannique. Un Terrasses-du-Larzac 2020 “Campredon” (Mourvèdre, Syrah, Grenache presque à égalité (16,50 €) vient ensuite : encore un peu perturbé par la mise récente, il ne livre qu’un joli fruit et une belle fermeté. Cependant, mon préféré en rouge reste tout de même le joli clin d’œil au Merlot “Petit Merle aux Alouettes” 2020 (16,50 €) qui, avec une macération de 30 jours, nous offre une magnifique matière, du grain et de formidable tannins équilibrés.

Prochain quai d’amarrage, celui de Rémy Soulié du Domaine des Soulié, à Assignan, un des tout premiers bio de France. J’y vais d’habitude pour son Malbec franc et sincère (7,50 €), ainsi que pour le sourire du vigneron et pour son Saint-Chinian toujours simple, joyeux et équilibré (7,50 € pour le 2021). Mais c’est la version 2020 d’un pur Cinsault (7,50 €), IGP Vin de Pays des Monts de Lagrage, certes un peu vert, mais bigrement frais et décoiffant en bouche, que je retiens le plus.

Photo©DomaineSérol

Puisque le rouge est lancé, c’est au tour du GamayCarine et Stéphane Sérol, comme toujours, sont à la manœuvre avec une Côte Roannaise 2020 “Les Millerands”, vieux plants de Gamay de 70, 90 et 110 ans d’âge à 520 m d’altitude qui d’emblée vous font sourire de plaisir tant la bouche est juteuse autant qu’harmonieuse. Engouement personnel pour le “Perdrizière” 2020 (sol de gorrhe) somptueux malgré une matière en réserve, particulièrement long en bouche et armé de jolis tannins. Sans soufre, 7 mois en amphores, “Chez Coste” 2020, vignes de 30 ans, ne démérite pas non plus : joli nez, souplesse en attaque, mais vif par la suite, bien structuré, il fait preuve d’allant et de charme. Et pour clore la séance, on a droit à une coupe de Méthode ancestrale dégorgée “Turbulent”, un pur jus de Gamay ne titrant que 9,5° (12 €) toujours aussi allègre et si beau à mirer !

Pto©MichelSmith

Au tour du Champagne avec deux maisons (et domaines) en ligne de mire, à commencer par Fleury qui se compose de 15 ha de vignes dans l’Aube. Sur 10 cuvées dégustées, dont deux Coteaux Champenois blanc et rouge, je retiens le brut nature “Notes blanches” 2015, un pur Pinot blanc toujours aussi vif, brillant, dense et plein d’esprit. Le très Pinot noir “Sonate” 2012, à la fois épicé, grillé et blé mûr, avait du mal à aller plus loin, car servi trop glacé. Ce ne fut pas le cas en revanche de mon favori du moment, le pur Pinot noir sans dosage (extra brut) “Boléro” 2008 (90 €), élevé au tiers sous bois, que j’ai adoré à la fois pour son bon rapport acidité/gras/densité, mais aussi pour sa structure et sa longueur. 

Enfin, au stand Leclerc Briant, maison qui dispose de 14 ha de vignes près d’Épernay, j’ai le plaisir de goûter un “Blanc de Meunier” 2015 (140 €), cuvée crée avec le millésime 2013 à partir de cépage Meunier ou Pinot Meunier provenant du nord de la Montagne de Reims. Un zéro dosage large et expressif en bouche, poire et pomme dominantes sur fond presque miellé. Tirage de 3 à 4.000 bouteilles.

Michel Smith

Le Vin de l’Adieu

23 Fév

Il arrive qu’un ami nous quitte, comme ça, sans rien dire.

Un copain de bistro nommé Eric, un camarade parisien exilé dans ce Sud profond…

Robe vieil or ou bronze aux multiples reflets joyeux, le verre tournoie et vient égayer la table de travail pour évoquer le souvenir d’un copain.

A portée de l’œil, proche du nez, pas loin de la bouche, le vin de chenin, l’Anjou, l’ange et le vin, l’Angevin, celui qui balise le chemin, le ch’nin du voyage, le vin de l’adieu, celui qui brille et que l’on trinque plus d’une fois, que l’on boit en pensant à ce personnage mystérieux, chaleureux, cet ancien, Eric, fidèle et courageux compagnon du café à la terrasse animée donnant sur la place des Trois Six.

Le Quarts de Chaume presque éternel, celui d’une grande année et d’un domaine angevin qui fut exemplaire, le sublime cru de lumière et de clarté, une de ces bouteilles que l’on n’oubliera pas de si tôt.

Michel Smith

Picpoul, les raisons d’un succès

17 Fév

Mes amis blogueurs et moi-même avons parfois la dent dure envers le Languedoc viticole. Nous l’aimons bien, trop peut-être, ce qui fait que nous sommes prompts à le critiquer au moindre faux pas. Combien de fois n’ai-je pas décrié l’ambition démesurée de certaines appellations, l’aptitude qu’ont ces mêmes appellations à vouloir se hausser un peu trop du col, la gabegie de certains, la timidité maladive des uns et la médiocrité des autres, l’immobilisme des appellations et, à l’inverse, le trop grand empressement de leurs dirigeants happés dans la politique locale par trop pesante. Parfois, il faut bien l’admettre, je suis allé trop vite en besogne. En cherchant bien, les success stories ne manquent pas en Languedoc. Aussi lorsque ce matin il me vient l’envie de positiver, alors j’en profite. Cela se passe en réalité dimanche soir, sur la terrasse de ce lieu somme toute assez inattendu, au Château Les Carrasses, un castel de conte de fée restauré à grand frais par un Irlandais fortuné, une folie vigneronne transformée en hostellerie de luxe quelque part à proximité du Canal du Midi, grosso modo entre Béziers et Narbonne.

Château Les Carrasses dans les vignes du Languedoc, non loin de Béziers. Photo Michel Smith
Au Château Les Carrasses. Photo©MichelSmith

Ce soir-là, pour quelques privilégiés dont je faisais partie, on exposait une bonne douzaine de flacons estampillés Picpoul de Pinet avec quelques plats d’huîtres du cru, c’est-à-dire en provenance directe de l’étang de Thau, scandaleusement accompagnées de citron et de sauce vinaigrée à l’échalote. Tout en réclamant un poivrier pour réparer cet affront au goût iodé du divin mollusque, je menais d’arrache-pied une épique bataille dans le but illusoire de maintenir les bouteilles à la bonne température vu qu’on nous servait un sorbet de vin. Las de ce combat à la Don Quichotte, je me rapprochais de mon ami Guy Bascou, le président de ce vin récemment admis dans le sacro saint club des crus du Languedoc. Pour m’éviter toute réprimande, je précise que depuis longtemps (1985) l’amateur d’huîtres que je suis pouvait se rincer le gosier avec un Coteaux-du-Languedoc-Picpoul-de-Pinet (ouf !), mais que dès cette année 2013, le 14 Février dernier pour être précis, après une décennie de palabres inaoesques et plusieurs décades de célébrité locale (vdqs depuis 1954) sur les fruits de mer, le territoire caché dans un triangle Pézenas, Agde, Sète, peut désormais se revendiquer aop Picpoul de Pinet à part entière et se targuer par la même occasion d’être, avec 1.400 ha en production (l’aire d’appellation couvre 2.400 ha), la plus grande aop de blanc du Sud de la France, la seule aussi à arborer le nom de son unique cépage, le piquepoul blanc.

Guy Bascou, le président heureux de l'AOP Picpoul de Pinet. Photo: Michel Smith
Guy Bascou. Photo©MichelSmith

Mais pourquoi peut-on parler de succès à propos du Picpoul de Pinet ? D’abord parce que cette appellation y croit depuis longtemps. Aux grands professeurs spécialistes du blanc venus parler à ces culs terreux de vignerons du sud il y a 20 ans en leur disant qu’il serait inimaginable de penser pouvoir faire du blanc en Languedoc-Roussillon, cette appellation prouve le contraire. Non, monsieur dont-je-tairai-le-nom par charité chrétienne, Bordeaux et Bourgogne – on pourrait aussi ajouter la Loire – ne sont pas les seules régions détentrices de terres à blancs !  Ensuite parce que les vignerons des 4 caves coopératives et les 24 caves particulières ont su s’entendre depuis 1994 sur l’utilisation d’une bouteille spécifique nommée « Neptune » réservée au vin blanc sec Picpoul de Pinet et que chaque année plus de 8 millions de cols – beaucoup capsulées vis – circulent à travers le monde. Enfin parce qu’à l’export le Picpoul se porte bien atteignant plus de 40% des ventes avec quelques 600.000 bouteilles vendues aux États-Unis, par exemple.

Bon, certes, les doctes dégustateurs amateurs de Bâtard-Montrachet et autres Sancerre Cul de Beaujeu peuvent dormir paisiblement sur leurs deux oreilles : Picpoul de Pinet ne cherche pas à se mesurer à eux. Il se contente, pour le moment, d’être un super Gros Plant du Sud, assez proche même d’un bon Muscadet. Souvenons-nous cependant qu’il y a 30 ans, seuls quelques illuminés prédisaient un avenir de grand vin dans le Muscadet… Je reste persuadé pour ma part que l’appellation va progresser ces prochaines années et que les duretés ressenties dans quelques vins vont tôt disparaître. Ainsi donc, le Picpoul de Pinet est un agréable vin blanc, sans soucis, pour démarrer un repas, sur une truite fumée ou un hareng pommes à l’huile, par exemple, pour jouer un rôle certain sur les sushis ou pour accompagner des fruits de mer, huîtres et coquillages en particulier, missions où le Picpoul se donne à cœur joie.

Alors, je ne sais si cela sera utile à mes lecteurs, mais j’ai concocté une liste toute personnelle de bons Picpoul de Pinet dans le millésime 2012 : Domaine Félines-Jourdan, les Vignerons de Montagnac « Terres Rouges », L’Ormarine « Préambule », L’Ormarine « Juliette », « Cap Cette » de la cave coopérative de PomérolsBon profit !, comme on dit en Catalogne… et profitez-en bien !

(PS Publié en 2014 sur le site Les5duVin)

Michel Smith