Finomania, la grande dégustation

4 Sep

Comme vous le savez, la Finomania est ancrée en moi pour de bon, et ce, depuis belle lurette ! Ce jour là, c’était en 2014, bien avant que ne se rapplique la grande dépression. Et j’avais éprouvé l’envie de rassembler chez moi avec l’aide précieuse de quelques amis du Fino parmi lesquels Isabelle Brunet et Bruno Stirnemann, un maximum d’échantillons de vins de Jerez de la Frontera, de Sanlucar de Barrameda, de Puerto Santa Maria, sans oublier quelques flacons de Montilla-Morilles. Une journée de dégustation à la fois folle et sérieuse, à l’image du Fino, à deux pas du Centre du monde, la gare de Perpignan.

Bruno Stirnemann. Photo©MichelSmith
Bruno

Pour cette session, pas de cinoche « à l’aveugle » : les bouteilles étaient alignées par mes soins, mélangeant volontairement (la folie, vous dis-je) les trois appellations – Jerez, Manzanilla, Montilla-Moriles – sachant, je le rappelle, que la dernière D.O. est la seule, du moins dans la qualité Fino, à ne pas être mutée, renforcée à l’alcool si vous préférez. À charge pour moi, par la suite, de mettre tout cela en ordre et par écrit. En queue de dégustation, sept bouteilles d’un type Fino, certes, mais un vin élevé plus longtemps, flirtant avec le style Amontillado. Là encore, j’entends l’armée des puristes et spécialistes se manifester dans les rangs, mais nous autres, simples amateurs, n’avons rien trouvé à redire de cette manière de voir les choses.

Isabelle Brunet. Photo©MichelSmith
Isabelle

Cette dégustation n’est certainement pas parfaite. Pas d’étoiles ni de notations chiffrées, tant pis pour les amateurs de classements. Je sais, il manque des marques et cela ne plaira certainement pas aux aficións, donc pas la peine de m’en tenir grief. Vous ne lirez rien, hélas, sur l’Inocente de Valdespino, par exemple… la Quinta, le cheval de bataille d’Osborne et Coquinero d’Osborne également, le Fino Superiore de Sandman, le Hidalgo Fino d’Emilio Hidalgo, le Pavon de Luis Caballero, le Harveys Fino de Harveys, le Fino Romate de Sanchez Romate, le Gran Barquero de Pérez Barquero (Montilla-Moriles), etc. J’ai dû faire avec les moyens du bord ! Tous les vins de cette série titrent 15°. En gras, se distinguent nos vins préférés, nos coups de cœur. Pour ces premiers douze vins, les prix en grandes surfaces, comme chez certains cavistes en Espagne, oscillent entre 6 et 8 euros. Un seul est en dessous de 9 €, tandis qu’un autre est à 12 € en France. Bien sûr, tous les autres sont plus chers en France et ce n’est pas toujours justifié. Bref, pour ceux qui vont se ravitailler en Espagne, vraiment pas de quoi se ruiner ! À noter aussi que dans les bonnes boutiques espagnoles, beaucoup de ces vins sont aussi disponibles en demi-bouteilles, ce qui est un avantage pour préserver la fraîcheur du vin. Les bouteilles sont alignées : allons-y !

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– Muyfina, Manzanilla, de chez Barbadillo (bouchon à vis). Robe jaune pâle. Un goût cireux, étrange, poussiéreux, notes de vieux cuir… Puissant, gras et long en bouche mais sur une tonalité rustique. Dur, manquant à la fois de fraîcheur et de finesse.

Comportement acceptable sur des tapas : olives, anchois…

– Carta Blanca, Jerez, de chez Blazquez (distribué par Allied Domecq). Robe paille étonnement soutenue. Densité, profondeur, quelque chose d’inhabituel, rusticité, plus proche de l’oxydation que de la flor, avec des notes de caramel et (ou) de Pedro Ximenez. Très léger rancio en finale.

Bien sur des tapas genre tortillas. À tenter sur un fromage comme le Manchego (brebis) ou un Picón de Valdeón, persillé de chèvre et de vache.

– Tio Pepe, Jerez, de chez Gonzalez Byass (DLC Novembre 2014. Robe bien pâle. Nez de voile. Très sec en bouche, comme c’est annoncé sur l’étiquette. Le vin joue son rôle, sans plus. Il ne surprend pas. Simple et court.

Sans hésiter à l’apéritif sur du jambon, clovisses ou salade de poulpe.

– La Gitana, Manzanilla, de chez Hidalgo (bouchon à vis). Robe très pâle. Nez frais. Excellente prise en bouche, du nerf, de l’attaque, notes de fruits secs, bonne petite longueur qui s’achève sur la salinité.

Exquis sur de belles olives, beignets d’anchois, gambas, ratatouille froide.

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– San Leon, Manzanilla, des Bodegas Arguezo. Robe moyennement pâle. Nez pas très net, simple et rustique. Bouche réglisse et fumée.

Ça fonctionne sur le gras du jambon et sur le boudin noir de campagne.

– La Ina, Jerez, de chez Lustau. Robe pâle. Nez plutôt complexe sur la flor et l’amande grillée avec de légères notes de fumé. Belle amplitude en bouche, de la fraîcheur, du mordant, rondeur en milieu de bouche, finale sans bavures sur des notes salines.

L’apéritif presque parfait sur amandes grillées, olives pimentées, jambon bellota, lomo, chorizo, palourdes, anchois frais, sardines grillées…

– La Guita, Manzanilla, de chez Raneira Perez Marin (bouchon à vis, mise en bouteilles décembre 2013). Robe légèrement paillée. Nez fin et discret avec touche d’amande. Une vraie présence en bouche, ça frisotte, léger rancio, manque peut-être un poil de finesse, notes d’amandes salées en finale. C’est bien foutu.

Plus sur des plats de crustacés, langoustines, crevettes, etc.

 El Maestro Sierra, Jerez, des Bodegas Maestro Sierra (Mise en bouteilles en avril 2014). Belle robe pâle. Nez fumé. Dense, ample et riche en bouche, un poil rondouillard, mais bien fait dans l’ensemble.

Apéritif, certes, mais le garder pour un plat de poisson au four, ou pour un plat de morue, une omelette de pommes de terre ou de champignons.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

– Fino Electrico, Montilla-Morilès, de Toro Albala (12 € pour 50 cl. Diffusé par Valade & Transandine chez Soif D’Ailleurs à Paris) Robe pâle. Nez fruité, élégant, notes d’amande fraîche et de fumé. Finesse en bouche, impression de légèreté, complet, finale sur la longueur.

« Une bouche à jambon », quelqu’un. Oui, mais il lui faut un grand pata negra ! Quant à Bruno il le verrait bien sur un turbot. Et pour ma part, je lui propose une brouillade de truffes !

– Puerto Fino, Jerez, de Lustau (élevé à El Puerto Santa Maria). Belle robe légère. Très complexe au nez comme en bouche : notes de fougère, amande fraîche, écorce de citron, iode, silex, épices, vieux cuir, volume… on sent que ce fino est associé à une vieille réserve de type solera tant la longueur le maintient en bouche avec toute sa richesse. Les critiques le propulsent « Roi des Finos » et ils n’ont pas tort.

Un grand apéritif de salon, parfait pour réfléchir aux choses de la vie au creux d’un profond fauteuil. Un bon robusto de Cuba, genre Ramon Allones, pour les inconditionnels du cigare. À essayer aussi sur une cuisine asiatique, Thaï ou Coréenne. Sur une huître tiède à la crème ou sur une mouclade légèrement crémée et épicée.

– Papirusa, Manzanilla, de Lustau (Bouchage vis, aurait dû passer à mon avis avant le précédent). Si je ne me trompe pas, le fino a pour base une solera moins âgée que pour le Puerto Fino. Belle robe blonde. Parfaitement sec en bouche, c’est propre, net, élégant, fraîcheur évidente, salinité bien affirmée, un régal de précision, une touche animale pour finir, genre vieux cuir. Finale exemplaire où le goût du vin reste en bouche pour longtemps. Difficile de dire, en tout cas pour moi, si c’est ce vin qui l’emporte sur l’autre. Question de goût. Toujours est-il que c’est un formidable rapport qualité-prix !

Là encore un vin de cigare, plutôt celui de la fin de matinée. Doit être à l’aise sur de gros crustacés, genre homard thermidor, surtout si on ajoute un peu de fino dans la cuisson. Sinon, parfait pour le jambon de qualité, les fritures de poissons ou de calamars.

Solear, Manzanilla, de chez Barbadillo (Bouchage vis, DLC Avril 2015). Belle robe blonde et lumineuse. Nez discret et fin. Bouche fumée, fraîche avec des notes de fruits cuit (abricot). Un fino assez classique, voire simple et qui s’oxyde assez vite. Il ne fait pas l’unanimité.

Sur des tapas : ailes de poulet, travers de porc, poivrons, sardines à l’escabèche, thon, maquereau.

Photo©MichelSmith
Photo©MichelSmith

– 3 En Rama, Jerez, Fino d’El Puerto de Santa Maria, de chez Lustau (50 cl). Blond de robe, fin de nez, exceptionnel de droiture, de finesse et de longueur en bouche, cette série fondée sur la mise en exergue des 3 zones d’élevages de l’appellation confirme la suprématie de Lustau dans l’art de la précision. La complexité en bouche n’est pas absente : noix, amande, touche de bois brûlé, on rêve de le marier à un saumon fumé de belle origine en gravlax. J’ai aussi pensé à un carpaccio de veau avec câpres, huile d’olive, une pointe de vinaigre balsamique et de généreux copeaux de vieux parmesan.

– Sacristia AB, Manzanilla, Secunda Saca 2013, d’Antonio Barbadillo Mateos (37,5 cl, 15°). Robe blonde sans surprise, mais nez surprenant au premier abord, presque moisi. À l’oxydation, le vin devient prenant, dense, entêtant au point qu’il finit par captiver l’auditoire. Huit jours après, il confine au sublime : on devine l’épaisseur, on sent le zeste de citron, le fumé, la salinité et la belle amertume qui vient souligner la finale. Il lui faudrait quelques blocs de maquereau cru avec des feuilles de basilic et des morceaux d’olives vertes et noires, mais là encore on pense au parmesan disposé cette fois-ci sur des asperges vertes légèrement poêlées et servies tièdes avec un filet d’huile de noix. Où alors on lui donne un jeune navet coupé en lamelles fines avec huile d’olive et truffe. Mais on songe aussi à un tartare de cèpes…

– Fino Una Palma, Jerez, Gonzalez Byass (50 cl, mis en bouteilles le 25/10/2013). Un autre monde pour cette palme (la marque repère inscrite à la craie par le maître de chais sur un fût qui se comporte particulièrement bien), la plus jeune d’une série de quatre. Dans ce cas précis, il s’agirait de 3 botas (fûts) assemblées, un Fino de 6 ans d’âge minimum. C’est plein, épais, riche mais bien structuré, rond mais avec ce qu’il faut d’acidité et de jolies notes d’amande grillées. Un très joli vin où l’on ressent la présence excitante de la flor ainsi qu’une longueur assez inhabituelle. Certains pensent au cognac et de ce fait au havane. D’autres évoquent une dégustation de chocolats de différentes origines. De mon côté, je penche pour un très léger curry de crevettes…

Photo©MichelSmith
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– Fino Dos Palmas, Jerez, Gonzalez Byass (50 cl, mis en bouteilles le 15/10/2012). Toujours cette belle étiquette ancienne sur un élégant flacon montrant une robe plus ambrée. Huit ans d’âge au moins, ce qui fait que l’on boit la puissance… Rondeur, intensité, l’acidité se distingue sur la longueur qui, elle même, est assez phénoménale. On boit, on parle, on boit et on reparle, on ne remarque même pas que le vin commence à être chaud depuis le temps qu’il attend son tour dans cette dégustation estivale. C’est un vin de repas, on en convient – Bruno le voit sur un turbot aux morilles -, mais c’est aussi un vin de fauteuil, un vin de méditation.

– Fino Tres Palmas, Jerez, Gonzalez Byass (50 cl, mis en bouteilles le 18/10/2012). Nous sommes sur des vins ayant passé 10 ans sous voile, ce qui est plutôt rare et même rarissime. Au premier abord, on pense à de vieux Château-Chalon. Le style Fino est encore présent, mais on devine quelques touches de rancio caramélisé en finale qui vient s’ajouter à des notes de noisettes grillées. Le vin fait causer. « C’est la mort de la fleur » lance quelqu’un en imaginant le voile qui se déchire et se désintègre petit à petit dans le fût. « Doré, soyeux et tendu en bouche », s’avance un autre dégustateur. Que faire avec ? Lire ? Écouter de la grande musique ? Sombrer dans un profond fauteuil ? Aimer ? Fumer un grand havane ? Contempler la campagne ou la mer, ou le ciel ? Bref, à vous de voir… Sachez qu’il existe un Cuatro Palmas qui est en réalité un très vieil Amontillado tiré d’une très vieille réserve…

– Pastrana, Manzanilla Pasada, La Gitana de Hidalgo. Pour ainsi dire très peu filtré et composée de vins deux fois plus âgés que ceux entrant dans la composition de la Gitana (voir commentaire plus haut), ce vin d’une seule vigne (single vineyard sur l’étiquette) était très mal placé dans notre dégustation. Bien que sa robe ambrée fut agréable à l’œil, je l’ai trouvé un peu éteint, mou, tandis que mes collègues de dégustation ont préféré utiliser le terme « discret ». Certains ont tout de même relevé des volutes de havane et des effluves de fruits secs. On a même envisagé un mariage sur l’huître !

Photo©MichelSmith
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Antique Fino, Jerez, Bodegas Rey Fernando de Castilla (50 cl). Une gamme de vieux Jerez dans toutes les catégories, voilà ce que propose ce négociant, à commencer par ce Fino luxueusement présenté. Je lui ai trouvé un nez légèrement bouchonné, tandis que d’autres, comme Bruno, ont relevé un nez complexe fait de rancio, de cognac et de vanille. Il l’a d’ailleurs examiné sous l’angle d’un digestif, tandis qu’Isabelle, en fait « son » vin de cigare ! Goûté de nouveau quelques jours après, le côté liège avait disparu pour laisser place à un vin que j’ai trouvé dur et massif, en tout cas pas dans l’esprit fino, même vieux.

Michel Smith

Quelques notes complémentaires et pratiques

-Absente de cette dégustation, il convient de noter la série « En Rama » de la maison Tio Pepe, plutôt Gonzalez Byass, dont le chef de cave, Antonio Flores, met chaque année en bouteilles une sélection particulière donnant lieu à un assemblage de finos pour ainsi dire à l’état brut (non filtrés) ayant passé cinq ans au moins sous voile dans deux chais réputés pour leur hygrométrie. Le souvenir de l’un d’entre eux, goûté il y a trois ans (chaque année, une nouvelle étiquette est copiée sur un modèle ancien) est encore présent… Il faut dire qu’il y avait un remarquable jambon à portée de doigts !

-À propos de la série des Palmas de Gonzalez Byass (voir plus haut), je recommande le récit d’une dégustation du même type organisée par le maître de chais de Gonzalez Byass à laquelle le journaliste Danois Per Karlsson (BKWine Magazine) a pu assister. Et puisqu’il faut tout de même de temps en temps causer prix, le 3 Palmas de Gonzalez Byass tourne autour de 30 € pour 50 cl quand on en trouve en Espagne, le 2 Palmas est à un peu plus de 20 € et le 1 Palma autour de 15 €. Il existe aussi un cuatro Palmas (Manzanilla) mais en Amontillado à près de 90 € (50 cl). Merci encore à Bruno Stirnemann de nous avoir offert ces vins de grande noblesse extirpés de sa cave.

-Dans le même genre d’idée, la maison n’est pas en reste, elle qui commercialise 3 versions de finos en rama, un Jerez (que nous avons dégusté plus haut), une Manzanilla et un autre Jerez mais d’El Puerto de Santa Maria. Compter près de 17 € pour 50 cl.

-Une boutique en ligne ? La plus sérieuse me semble être celle de Villa Viniteca, une institution à Barcelone, avec quelques raretés chères à notre dégustatrice Isabelle Brunet, comme les finos de l’Equipo Havazos hélas absents de notre dégustation. Bien qu’intéressés par tous les vins espagnols, les membres de cette équipe semblent avoir une prédilection pour l’Andalousie. Leur mission : détecter des pépites dans les caves du royaume, se les réserver, suivre leur élevage, puis leur mise en bouteilles, enfin leur commercialisation. Je vous avais déjà déterré quelques bouteilles ici même. Je me souviens d’une exceptionnelle Manzanilla Bota n° 32 qui fait encore frémir mes papilles de jouvenceau… Introuvable désormais, à moins d’un miracle ! Quelques raretés de cette fameuse équipe sont cependant en vente à la Maison du Whisky qui semble en avoir l’exclusivité en France.

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-Une boutique pas trop mal achalandée et proche de la France, le magasin Grau, en Catalogne, où je me suis largement servi en payant ma note, je le précise, au cas où certains auraient des doutes… Sinon, allez sur le site Univum où un large choix est proposé. Un autre site semble s’intéresser au Fino : Vino Iberico. Quant à Lavinia, pourtant partie de l’Espagne, son offre en ligne en France est plutôt décevante en matière de Finos.

-Enfin, un blog sérieux à consulter régulièrement si vous lisez l’anglais : le Sherry Notes du Belge Robert Luyten.

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