Bon je ne vous fais pas de dessin : Covid oblige, le salon Millésime Bio 2021 de Montpellier que nous apprécions tous en temps ordinaires a opté cette année pour des rendez-vous cent pour cent digitalisés, What’s Up et autre Zoom, entre «exposants» et «visiteurs» ou bien, dans le même esprit, pour des contacts très directs par écrans interposés afin d’assister à des conférences «live». Désolé, mais pas trop pour moi.
En revanche, les filles (il paraît qu’il y a aussi des gars…) de l’agence Clair de Lune (à Lyon), qui s’occupent de la presse pour le salon, m’ont gentiment proposé de choisir une dizaine d’échantillons parmi les 520 vins médaillés par Sudvinbio, l’organisateur du salon et du Challenge Millésime Bio qui va avec. Ravi de pouvoir faire un choix en vue de cet article, je me suis concentré sur les 217 médaillés d’or de 12 pays. J’avoue que ce chiffre (217) m’a paru énorme. Face à l’inévitable dilemme du choix, je me suis souvenu d’une sage recommandation de Tim Atkin (Master of Wine, svp) qui me rappelait dans son blog, hélas je ne me souviens plus quand avec certitude, qu’il ne fallait en aucun cas attribuer de médaille d’or à moins que l’on soit prêt soi-même à acheter un carton du vin que l’on s’apprête à mettre à l’honneur. Sage remarque toute britannique.
Je me souviens moi-même avoir commis un (ou deux) billet furibard contre la bouffonnerie de certaines compétitions de vins. Et c’est pourquoi je rappelle en préambule, contradiction oblige, que je suis personnellement contre le cinéma – pour ne pas dire le cirque – des médailles que l’on distribue à tout va. Cette démarche toujours très en vogue, à mon avis, ne grandit pas le vin mais l’élève en produit purement, simplement et bassement commercial caché sous l’honorable prétexte de guider le consommateur. Éternel débat dans lequel je ne vais pas m’attarder. Étant plutôt de bonne humeur, pour une fois j’accepte l’idée qu’il est nécessaire de tout faire, surtout en période de crise mondiale, pour doper la vente de vin sachant que, par la force des choses, la médaille d’or garantit au minimum une augmentation des ventes de 30%, ce qui n’est pas négligeable pour un domaine. Tout cela pour dire que, pour une fois, je me plie au jeu des médailles.
Millésime Bio 2021 sous Covid ©MillésimeBio
Revenons à ma dégustation. Donc, je reçois les échantillons de médaillés d’or Challenge Millésime Bio 2021 à la maison, certains avec pas mal de retard (toujours ces satanés livreurs qui ne viennent que lorsqu’on ne les attend plus et lorsqu’ils ne sont pas annoncés) et j’arrive tout de même à aligner neuf flacons, un peu plus en réalité car deux domaines déjà connus de mes narines ont jugé bon de me faire une idée de leur travail sur d’autres cuvées. Un dixième échantillon venu d’Espagne étant arrivé hors délai, sera dégusté en dernier, en solitaire. Pour corser l’exercice, pour récompense aussi, je me suis autorisé d’ajouter à la fin deux magnifiques Cornas « Les Ruchets » que venait de m’adresser mon vieil ami Jean-Luc Colombo, vins sur lesquels je reviendrai prochainement.
Je vais donc vous présenter les 10 vins médaillés d’or dans le sens de la dégustation avec leur prix de vente TTC départ cave. Quels ont été mes critères ? Vu la quantité proposée – 217 médaillés d’or – je n’avais que l’embarras du choix. J’ai donc pioché un peu au hasard en prenant deux ou trois domaines déjà connus dans mon Sud d’adoption, puis à l’Ouest un blanc Nantais, un Libournais, un Loire avec bulles, un rosé de Béziers (ma ville de résidence), un Italien, un Espagnol, un Portugais… N’étant pas à l’abri d’une défaillance, pour m’épauler j’ai fait appel à mon ami et talentueux dégustateur-caviste Bruno Stirnemann. Après avoir réparti les vins classiquement (bulles, blanc, rosé, puis rouges) nous voilà partis pour une bonne heure de dégustation non aveugle, mais exempte en principe d’à-priori.
-Crémant de Loire 2019 brut nature, cuvée Ancestrale, Château de Passavant. Entre 13 et 14€
Estampillé Demeter, cet assemblage (chenin 60%, le reste partagé entre cabernet franc et chardonnay) d’un domaine réputé pour son travail exigeant ne nous a pas paru aussi expressif qu’il devrait l’être. Il manquait même à mes yeux d’une indispensable structure acide (un peu plus de 3g/l sur la fiche technique), affichant une rondeur inattendue et décevante. Une certaine franchise tout de même, une matière fournie et des notes croustillantes de pain grillé. Plus un vin de repas (sur un canard aux navets) que d’apéritif. Pour notre part, une médaille d’argent, mais pas en or.
-Muscadet-de-Sèvre-et-Maine 2019, Château de La Gravelle. 15€ environ
Lui aussi d’une attaque un peu mollassonne – est-ce le millésime ou la personnalité du terroir volcanique (gabbro) de Gorges ? -, le vin, bien que long en bouche, manquait de tension et d’expression à la première approche tandis qu’à l’aération, il se complexifiait singulièrement, offrant des notes florales sur une bouche ample et fruitée (poire blette) gratifiée d’une superbe finale. Après débat entre membres d’un jury, on lui aurait volontiers concédé une place d’honneur, mais pas d’or. Goûter sur des légumes en bâtonnets très légèrement cuits avec un aïoli plutôt léger.
-Coteaux de Béziers «Edena» 2020, Domaine Pierre Chauvin. 6,50€
En dépit d’un bouchage vis qui mérite un bon point, hormis quelques notes de fraîcheur et de noyau de pêche, ce vin ne dépassera pas à nos yeux le stade d’un rosé classique, sans autre ambition particulière que de satisfaire la soif des baigneurs attablés dans un restaurant de plage. De là à mériter une médaille d’or… Allez, le bronze à la rigueur.
-Terrasses du Larzac 2018 «La Villa Romaine», Mas des Quernes. 25€
Nez à fond sur les effluves de garrique après la pluie, la bouche se fait dense, profonde, marquée par des tannins d’une belle fermeté et une longueur estimable. Plus d’une semaine après, la bouteille entamée se goûtait rudement bien, reflétant indéniablement l’étoffe d’un vin de garde d’au moins 10 ans. En consultant la fiche technique, on n’est pas surpris d’apprendre que le mourvèdre (40%) s’impose sur un duo carignan/grenache de vieilles souches (moyenne de 40 ans), le tout vinifié parcelle par parcelle en petites cuves inox avant un élevage d’un an en barriques (très peu de bois neuf) par cépage et par parcelle, le tout assemblé en cuve 6 mois avant la mise en bouteilles. L’or ne fait aucun doute pour récompenser l’équipe de ce beau domaine d’une famille de vignerons-oenologues (Pierre et Jean Natoli) que j’ai visité avec bonheur à ses débuts pour ma rubrique Carignan Story.
-Côtes-du-Rhône-Villages Massif d’Uchaux 2017, Domaine Vincent Baumet. 14,50€
On retrouve la garrigue mêlées ici à des notes dérangeantes de viscères animales, au mieux ventre de lièvre. La bouche est assez fluide, entachée par des tannins quelque peu ordinaires. On attendait mieux de ce grand terroir. Désolé, mais cela ne vaut même pas une médaille. Aux dernières nouvelles il ne resterait plus à la vente que des magnums de ce millésime.
-Côtes-du-Roussillon-Villages Caramany 2017 «Comme Avant», Domaine Modat. 16,50 €
Il s’agit ici, selon Quentin Modat, de mettre en exergue le carignan, «comme avant» sans oublier pour autant les cépages «obligés» que sont syrah et grenache noir. Le carignan (60 %) est indéniablement responsable de la belle fraîcheur d’ensemble ainsi que du fruit «croquant», tandis que la Syrah (30 %) apporte son lot de tannins fins et soyeux. Nez de pierres chaudes, thym, romarin en fleur, c’est un vin complet, équilibré et fait pour durer au moins 5 ans, même s’il commence à se préparer pour une palette de cochon de Bigorre. Ayant un faible pour ce domaine qui faisait partie de mes préférés lors de mais années roussillonnaises, c’est plus que volontiers que je lui accorde la médaille d’or avec félicitations du jury ! Goûté dans la foulée, le 2018, un tantinet plus léger, résineux et boisé fin au nez, est d’ores et déjà prêt à boire sur une grillade de boeuf. Enfin, j’annonce ici la sortie prochaine (élevage 18 mois en barriques au tiers neuves) d’un super carignan remarquable d’élégance et d’équilibre tiré à un millier d’exemplaires (35 €). Bref, une valeur sûre.
Médaille méritée photo©MichelSmith
-Pomerol 2018, Château Bellegrave. 40€ environ
A 75% merlot, le reste en cabernet franc, 35 ans d’âge moyen pour les vignes, rendement de 42 hl/ha, élevage en barriques au tiers neuves puis d’un et deux vins, on distingue d’emblée l’impression de légèreté, j’ose même dire de facilité, imputable probablement à sa position juste après des vins sudistes en diable, mais plus vraisemblablement au terroir de graves caillouteuses, sable et argile, sur un socle riche en crasses de fer. En dépit de son prix et de sa notoire tendresse en bouche, c’est néanmoins un vin ravissant et de fort belle tenue : boisé noble, juste et plutôt discret sur des notes de maturité, fruits rouges et fraîcheur, avec un fond tannique assez dense en bouche. On peut commencer à l’ouvrir d’ici 3 ans sur un classique carré d’agneau accompagné d’une poêlée de cèpes. Médaille méritée !
–Alentejano 2018, Touriga Nacional «HDL». Helena Ferreira Manuel. 13 € environ
Assez joli nez de petits fruits rouges (framboise, cassis), poivré et boisé, ce vin dit «vegan» nous convie à une bouche plutôt tendre malgré un encadrement presque rigide de tannins sans grande complexité. On le boira sur des côtelettes d’agneau ou de porc, mais je note que l’or est ici un peu trop généreux pour un vin auquel on attribuerait de l’argent plus par générosité qu’autre chose, tandis que s’il ne s’agissait que de moi, il n’aurait que le bronze.
Médaille de coeur...Photo©MichelSmith
-Amarone della Valpolicella Classico 2016, La Dama. 40 € environ
Ma dernière dégustation sérieuse de ce vin spécial remonte à 1997 ! Et ce sont les maisons Gini et Allegrini qui m’avaient le plus impressionné durant Vinitaly de cette année-là où j’avais, pour une fois, accepté de faire partie d’un impressionnant jury. Je suis de nouveau conquis par ce vin qui m’accompagnera par petites doses sur plusieurs jours après la dégustation. Grappes triées conduites en pergola véronaise de corvina (70%), rondinella (17%), corvinone (10%) et molinara séchées par ventilation une centaine de jours jusqu’à perdre 40% de leur poids, fermentation lente sur 30 jours, élevage de 36 mois en foudres et repos d’un an après la mise (8.500 bouteilles), le vin en impose en bouche (il titre 16,5°) sans pour autant que l’on ressente la moindre violence. Quelques petits tannins bien mûrs, une belle acidité en milieu de bouche, longueur par la suite, le tout conduisant vers une finale en douceur sans que l’on ait la sensation de sucré mais en allant plutôt vers une belle impression de gelée de fruits rouges, groseille et cerise en tête. On dit qu’il faut le garder 15 ans, mais je l’apprécie dès maintenant sur de petits toasts de viande des grisons avec quelques baies de poivre rose. Mais selon Bruno, il y a tant d’autres mariages en vue !
Bien, mais…
-Tempranillo, Bodegas Parra Jiménez. 6€
Outre qu’il nous vient de la Mancha, ce pur cépage tempranillo se présente bouché vis (encore un bon point), certifié Demeter, donc biodynamique, vegan et sans sulfites. Arrivé bien après notre dégustation, il a donc été goûté plus tard et en solitaire cette fois-ci. Un beau jus à la robe violine, plein de fruit (fraise, pruneau) en bouche, tannins veloutés et chocolatés, presqu’à la manière d’un Beaujolais Nouveau, c’est-à-dire simple, sans longueur, sans rien d’autre qu’un jus agréable à boire frais en été sur une cuisine de barbecue.
Si j’ai bien compté, sur 10 médaillés goûtés, nous arrivons à 4 vins dont la médaille d’or me semble amplement méritée. Bien sûr, un autre duo de dégustateurs en aurait à coup sûr trouvé plus… ou moins. C’est toute l’ambiguïté de ce genre d’exercice qui, tout de même, nous a permis de passer un agréable et studieux moment – et sans masque!